Voici pour changer d’année une balade dans un bois ancien et varié. Nous y verrons une fougère qui, bien qu’elle porte un nom à coucher dehors, est facile à identifier. Grâce aux informations qui suivent, vous ne pourrez pas vous tromper!
C’est la Blechne en épi, la fougère des cerfs. Nous profiterons de notre promenade pour la comparer à une fougère assez semblable, le Polypode.
Promenons-nous dans les bois de Rixensart
Aujourd’hui, nous allons cheminer dans un massif forestier de 212 hectares, se trouvant à environ 20 km au sud-est de Bruxelles, dans la province du Brabant wallon. Il comprend 3 parties : à l’ouest, le bois de Rixensart proprement dit, faisant partie de la commune de Rixensart. Au centre, le bois de Limal, et à l’est celui de Bierges, tous deux situés sur le territoire de Wavre. Il est en outre bordé au nord-ouest par une zone humide, un tronçon de la vallée de la Lasne.
Nous longeons d’abord le magnifique château de Rixensart, un quadrilatère doté de 4 tours d’angle. C’est Philippe de Spinola qui fit reconstruire le château tel que nous pouvons l’admirer aujourd’hui. Les travaux débutèrent en 1631 et durèrent jusqu’en 1662. Les Spinola étaient une famille d’aristocrates génois.
En 1715 le domaine passa par héritage aux mains de la Maison de Merode, une illustre famille de la noblesse belge et européenne, originaire du village portant le même nom, non loin d’Aix-la-Chapelle. Une occupation qui s’achève un peu plus de trois siècles plus tard puisque la propriété sera bientôt mise en vente publique.
Tournons-nous maintenant vers le bois de Rixensart. C’est une forêt ancienne, déjà présente sur les cartes de Ferraris, réalisées entre 1771 et 1778 1. Dans les années 1950 sa partie méridionale fut amputée pour céder la place à des lotissements.
Ce qui subsiste occupe un plateau surélevé d’une trentaine de mètres, entaillé par des vallons creusés par de petits rus qui se jettent ensuite dans le Ruisseau du Château, un affluent de la Lasne.
Montons sur le plateau (photo ci-contre) : on ne peut plus parler de forêt ancienne ici : elle a été en effet profondément modifiée par l’homme durant le 19è siècle : beaucoup de feuillus furent alors abattus et remplacés par des pins sylvestres. Le sol y est essentiellement sablonneux et assez sec.
En redescendant, nous constatons que les feuillus se sont par contre maintenus sur les pentes du plateau et dans les vallons (photo ci-dessous).
Cette partie préservée est dominée par les hêtres, accompagnés de chênes pédonculés, de charmes, de bouleaux et de frênes.
Une analyse floristique récente (Weyembergh G., 2016) cite un total de 350 espèces pour le bois de Rixensart proprement dit (la partie occidentale du massif) 2.
Ces petites vallées percées par quelques ruisselets possèdent des versants moyennement humides et oligotrophes (pauvres en éléments nutritifs). C’est là que nous rencontrons une fougère originale : la Blechne en épi (Struthiopteris spicant).
Description de la Blechne
La Blechne en épi est une fougère qui pousse en touffes (plante cespiteuse) et dont les feuilles (les frondes) ne sont divisées qu’une seule fois. Elle dispose de deux types de frondes : les frondes stériles et les frondes fertiles qui portent les spores. Les frondes fertiles ont des segments bien plus étroits que les frondes stériles.
Regardez la photo ci-dessous. Les frondes poussent en touffes aux pieds de feuillus.
Une plante cespiteuse
Les botanistes disent des plantes poussant en touffes qu’elles sont cespiteuses.
Cet adjectif, utilisé seulement en botanique et en mycologie, nous vient du latin caespes signifiant « motte de gazon ».
Dans le cas de la Blechne, comme le montre le dessin ci-dessous, toutes les frondes partent d’un court rhizome. Un rhizome est une tige souterraine qui stocke également des réserves alimentaires.
Ce rhizome est bien une tige, et non une racine. Sa face inférieure donne naissance à des racines, tandis que sa face supérieure porte des bourgeons qui se transforment en écailles et en frondes.
Des frondes divisées une seule fois
Rapprochons-nous et examinons les frondes. Elles sont divisées en segments qui sont appelés pennes. Ces pennes sont placées de part et d’autre du rachis (l’axe central de la fronde). Les plus grandes pennes sont placées au milieu de la fronde. Leur taille diminue vers les deux extrémités. Ces pennes sont coriaces.
Ces pennes sont entières : peu de nos fougères possèdent de semblables frondes.
Prenons par exemple la Scolopendre (Asplenium scolopendrium), qui pousse un peu plus loin, sur les rives du Ruisseau du Château. Les frondes de celle-là ont un limbe entier, non segmenté (photo ci-dessous)
La plupart de nos fougères exhibent en revanche des frondes aux pennes qui sont elles-mêmes divisées en segments plus petits (nommés pinnules). C’est notamment le cas de la Fougère mâle (Dryopteris filix-mas), l’une des fougères les plus courantes chez nous, très fréquente dans le bois de Rixensart (photo suivante).
Attention cependant : comme le montre la photo ci-dessous, d’autres fougères que la Blechne en épi présentent également des frondes aux pennes non divisées! Ce sont les Polypodes (fougères appartenant au genre Polypodium). On en trouve quelques-unes dans le bois de Rixensart.
La Blechne possède deux sortes de frondes à l’aspect différent
Comment diable pouvons-nous alors distinguer la Blechne d’un Polypode?
C’est ici qu’entre en jeu la deuxième caractéristique de la Blechne : elle possède deux types de frondes dissemblables : les frondes stériles et les frondes fertiles.
Sur la photo qui suit, les frondes stériles se trouvent à la périphérie de la touffe. En été, quand elles ont atteint leur maturité, ces frondes stériles se recourbent vers le sol.
Au centre de la touffe se dressent des frondes à l’aspect différent, les frondes fertiles, celles qui portent les spores. Elles sont moins nombreuses et plus longues que les frondes stériles.
Regardons ces frondes fertiles de plus près (photo ci-après). Non seulement elles sont dressées, mais leurs pennes sont aussi nettement plus étroites et plus écartées les unes des autres que celles des frondes stériles. Elles ressemblent à des arêtes de poisson.
Retournons-les. Leur face inférieure montre les sores, qui sont les groupes de sporanges, c’est-à-dire les organes dans lesquels se forment les spores.
Les sores des Blechnes forment un liseré continu de couleur brune, parallèle au bord des pennes.
La photo suivante nous montre que les sores des Polypodes sont quant à eux arrondis et disposés à intervalles réguliers sur la face inférieure des pennes.
Pas de confusion possible, d’autant plus que chez les Polypodes, les frondes fertiles et les frondes stériles ont la même apparence. Seule la présence des sores permet de les distinguer.
Beaucoup de guides affirment que les frondes fertiles des Blechnes disparaissent en hiver, à l’encontre des frondes stériles qui persisteront jusqu’à l’apparition des nouvelles feuilles au printemps suivant. En réalité, les frondes fertiles subsistent souvent pendant la période hivernale, sous la forme de squelettes desséchés (photo ci-dessous). Une observation attentive permet alors de les dépister.
Port cespiteux ou port espacé
Mais que faire si vous ne trouvez pas de frondes fertiles? Deux autres traits vous permettront de différencier les Blechnes des Polypodes.
Nous avons déjà dit auparavant que les Blechnes forment des touffes à cause de leur court rhizome.
Comparez avec la photo suivante montrant une population de Polypodes dans le bois de Rixensart : ceux-ci ne construisent pas de touffes car leurs frondes poussent de manière espacée le long d’un rhizome rampant et nettement plus long.
Fronde lancéolée ou non
Finalement, la forme des frondes est différente. La fronde de la Blechne est la plus large en son milieu, et elle se rétrécit vers les deux extrémités. On parle d’une fronde lancéolée ou sub-lancéolée.
Ce n’est pas le cas de la fronde du Polypode qui ne se rétrécit pratiquement pas à sa base.
Suite au prochain numéro! Il sera consacré à l’habitat de la Blechne et à sa classification.
Super!
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Merci !
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d’une clarté éblouissante !
Merci pour tous vos épisodes, attendus avec impatience
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Merci pour vos commentaires. C’est très encourageant.
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Un grand merci pour ces explications très claires
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Magnifique article, quelle clarté!
Bravo!
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Trouve t’on des Blechnes (polypodium) au Costa Rica. J’ai une photo qui lui ressemble (l’ensemble est vert mais aussi pourpre pour certaines tiges)
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Bonjour,
La Blechne en épi (Struthiopteris spicant) est une espèce qui pousse essentiellement en Europe et en Amérique du Nord.
Voir sa distribution sur le site GBIF : https://www.gbif.org/species/7742948.
Par contre, la famille des Blechnacées est très répandue en Amérique du Sud et en Amérique centrale : https://www.gbif.org/species/2374.
Il s’agirait donc probablement d’une fougère cousine, et il faudrait une flore du Costa Rica pour essayer de l’identifier. En plus le Costa Rica est connu pour sa richesse exceptionnelle en espèces végétales!
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