Voici un article consacré à nos deux Hellébores indigènes, le vert et le fétide. Nous explorerons en particulier leurs fleurs, ainsi que leurs modes de fécondation. Nous dégusterons leur nectar et nous en profiterons pour prendre un verre d’alcool.
Cela va chauffer!
Le Bois du Hautmont à Wauthier-Braine
Dans un billet publié en avril 2016, nous étions partis à la découverte des Hellébores verts du bois du Hautmont, renseignés par un botaniste amateur, Sacha d’Hoop. Ce bois est situé à Wauthier-Braine, dans la commune de Braine-le-Château. Nous sommes dans la province du Brabant wallon, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Bruxelles, tout près de l’autoroute E19.
La région est fortement urbanisée, et il est donc surprenant d’y trouver encore quelques oasis présentant une grande diversité biologique. C’est pourtant le cas du Bois du Hautmont.
L’Hellébore vert (Helleborus viridis) et l’Hellébore fétide (Helleborus foetidus)
En vert, ce qui est spécifique à l’Hellébore vert.
En pourpre, ce qui est spécifique à l’Hellébore fétide.
Et en noir, ce qui est commun à nos deux Hellébores.
C’est en lisière du bois du Hautmont que nous avons pu observer cette plante menacée en Belgique : l’Hellébore vert (Helleborus viridis). Sacha D’Hoop nous a déclaré que cette espèce était présente depuis plusieurs années à la fois dans le bois et à sa périphérie.
L’Hellébore vert est une plante vivace, assez basse. En général il ne mesure pas plus de 40 cm de hauteur, et il forme des touffes.
C’est l’un des deux Hellébores indigènes en Belgique; l’autre étant l’Hellébore fétide. Celui-ci est plus grand : il peut atteindre 80 à 100 cm.
Les fleurs : l’enveloppe extérieure (les sépales)
Les Hellébores fleurissent très tôt, dès la fin de l’hiver.
Ce sont les sépales verdâtres que l’on voit. Ceux de l’Hellébore fétide forment une clochette et sont bordés de pourpre après la fécondation, un signal destiné aux pollinisateurs.
Les fleurs sont en général penchées, afin de protéger les organes reproducteurs de la neige.
Les fleurs de l’Hellébore vert apparaissent en mars et avril. Elles sont assez grandes (3 à 5 cm de diamètre), de couleur vert jaunâtre.
Ce sont les 5 sépales que l’on voit en premier lieu et qui lui confère sa couleur verte. Ils jouent donc le rôle des pétales : ce sont des sépales pétaloïdes. Leur sommet est tronqué et terminé en pointe.
L’Hellébore fétide fleurit entre janvier et avril. Ses fleurs sont plus petites (de 2 à 2.5 cm de diamètre) et les sépales verdâtres sont bordés de pourpre après la fécondation 1. C’est un avertissement indiquant aux insectes pollinisateurs qu’il n’y a plus de nectar disponible 2. Ne trouvez-vous pas que cela ressemble à notre signal « Accès interdit »?
Rétention de l’enveloppe florale et son changement de couleur après la fécondation
On peut se demander pourquoi l’enveloppe de la fleur ne disparaît pas rapidement après la fécondation, comme c’est le cas chez beaucoup d’autres espèces?
Tout simplement parce des enveloppes florales qui demeurent intactes permettent à la plante de rester visible de loin, un gros avantage en début de saison lorsqu’il y a peu de pollinisateurs en route.
Et le signal coloré sur les fleurs déjà fécondées aide les visiteurs qui arrivent à proximité à polliniser plus efficacement 10.
Selon une étude déjà ancienne (1995), cette tactique est utilisée par au moins 393 espèces réparties dans 20% des familles de plantes à fleurs 11.
Citons, parmi les espèces communes de nos régions, le chèvrefeuille des bois (Lonicera periclymenum), dont les fleurs blanches deviennent jaunes après fécondation.
Les deux Hellébores sont précoces. C’est pour cette raison que leurs fleurs sont la plupart du temps penchées. C’est un moyen de protéger les organes mâles et femelles de la neige, fréquemment employé par les espèces fleurissant à la fin de l’hiver (pensez au Perce-neige).
Remarquez aussi que les sépales des 2 Hellébores sont verdâtres et participent par conséquent à la photosynthèse.
Les fleurs de l’Hellébore fétide sont campanulées : elles prennent la forme d’une cloche (voir photo ci-dessous à gauche). Les sépales sont connivents (du latin coniveo : cligner des yeux ou fermer les yeux). En botanique cela signifie « qui se rapproche par le sommet ».
Les sépales de l’Hellébore vert sont en revanche plus étalés, comme une coupe large. Les sommets des sépales sont nettement séparés.
Les sépales plus ouverts de l’Hellébore vert abritent moins sûrement les organes reproducteurs contre les intempéries que ceux, en cloche, de l’Hellébore fétide.
En revanche, ils captent plus de lumière et sont donc plus efficaces dans le processus de photosynthèse. Une étude de 2005 a montré qu’ils sont pour la plante la principale source de sucres au début du printemps, lorsque les feuilles ne se sont pas encore formées 4.
Les fleurs : Les organes reproducteurs
Au sein d’une fleur, les organes femelles sont mûrs avant les mâles, afin de favoriser la fécondation croisée.
Mais un chevauchement existe, et l’autofécondation demeure possible. Cela peut être une solution de secours dans le cas où les insectes pollinisateurs ne seraient pas encore disponibles.
Le schéma ci-dessous nous présente un petit rappel des organes reproducteurs d’une fleur classique.
Revenons à nos Hellébores. Les sépales entourent les nombreuses étamines (les organes mâles). La présence d’un grand nombre d’étamines est une caractéristique des Renonculacées, la famille à laquelle appartiennent les Hellébores. Mais elle est aussi le fait des Rosacées.
La libération des grains de pollen se fait par vagues successives, car toutes les étamines d’une fleur ne deviennent pas mûres en même temps. Cela peut durer d’une à trois semaines, selon les conditions météorologiques. Cette longue période est nécessaire pour la plante, car les abeilles et les bourdons qui la pollinisent ne sont pas très fréquents à la sortie de l’hiver 1.
Le nombre de pièces femelles, les carpelles, est plus réduit et variable : de 2 à 10 carpelles, souvent 5.
Au sein d’une fleur d’Hellébore, les stigmates sont mûrs avant que les anthères ne lâchent le pollen. Cette protogynie (stade femelle plus précoce, du grec protos, « premier », et gynos « femme ») est un moyen qui favorise la pollinisation croisée entre les individus, et par conséquent le brassage génétique.
La protogynie et son opposé, la protandrie
72 % des Angiospermes environ possèdent des fleurs hermaphrodites, qui contiennent à la fois les organes mâles et les organes femelles. A cause de cette proximité, la probabilité d’une autofécondation est à priori très élevée.
Mais beaucoup de plantes préfèrent la fécondation croisée entre individus. Cela permet de brasser les gènes, et de pouvoir donc évoluer afin de s’adapter à des changements de l’environnement.
Comment les plantes hermaphrodites peuvent-elles éviter l’autofécondation?
L’une des solutions (il y en a d’autres) est de faire en sorte que les organes reproducteurs mâles et femelles ne soient pas mûrs en même temps. On parle alors de dichogamie. Elle revêt deux formes : la protandrie et la protogynie.
Commençons par la protandrie (du grec ancien protos, « premier », et andros, « homme »).
Dans ce cas, les anthères (organes mâles) sont mûres avant les stigmates (organes femelles).
La protandrie est très répandue. C’est la règle notamment chez les Astéracées, les Lamiacées, les Apiacées.
Avec la protogynie, les organes femelles sont mûrs avant les mâles. Ce cas est beaucoup moins fréquent au sein des plantes à fleurs. Il se produit plutôt chez des plantes poussant dans les régions tempérées et dont les fleurs éclosent durant les premiers mois de l’année : les Renonculacées, les Brassicacées etc 8.
Mais rien n’est simple chez les Hellébores! En effet, bien que les organes femelles deviennent fonctionnels avant les mâles, les deux se chevauchent dans le temps. De plus, les Hellébores ne sont pas auto-incompatibles. Auto-incompatibles? Pas de panique, Anémone va tout vous expliquer…
Auto-incompatibilité ou autocompatibilité ?
L’auto-incompatibilité est une autre solution dont disposent les plantes pour éviter l’autofécondation.
Dans ce cas, lorsque du pollen se dépose sur un stigmate d’un individu, celui-ci fait le tri entre le pollen provenant d’un autre plant et son propre pollen. Ce dernier n’entraînera pas le développement d’une graine.
Selon les espèces, l’inhibition peut survenir (voir photo ci-dessous) :
– soit dès l’arrivée du grain de pollen sur le stigmate (cas des Astéracées et des Brassicacées),
– soit dans le style (le tube pollinique ne parvient pas à atteindre l’ovaire),
– ou encore dans l’ovaire (la fusion des cellules reproductrices mâles (gamètes mâles) et femelle (oosphère) avorte).
Cette inhibition résulte de la présence de gènes, appelés gènes d’incompatibilité, qui existent sous plusieurs versions (appelés allèles). Lorsque le pollen d’une part, et le pistil (le stigmate ou le style) d’autre part, possèdent un allèle identique, le processus de fécondation se bloque.
La moitié des Angiospermes environ est auto-incompatible. Par conséquent, la moitié est auto-compatible 9. En effet, des mutations des gènes entraînent parfois la perte de l’auto-incompatibilité, et cette perte peut s’avérer avantageuse dans certaines conditions environnementales, notamment lorsque les insectes pollinisateurs déclinent ou que leurs services ne sont pas certains.
Les espèces qui peuvent s’autoféconder ne sont donc pas rares : citons des Rosacées (Rosier des chiens, Benoîte commune, Reine-des-prés etc.), des graminées (blé, orge etc.), des Solanacées (tomates etc), quelques Orchidées, les Fabacées (Pois de senteur etc)…
Les Hellébores sont donc autocompatibles et l’autofécondation reste par conséquent possible quand les organes femelles et mâles sont mûrs en même temps (les botanistes disent que les Hellébores peuvent être autogames, du grec ancien gamos « union »).
Puisque la floraison de ces plantes est très précoce, l’autofécondation peut être une solution de secours dans le cas où les pollinisateurs naturels (diptères et hyménoptères) ne seraient pas encore disponibles. Mettons toutefois un bémol à cette affirmation : une étude réalisée en 2001 sur l’Hellébore fétide n’a en effet pas trouvé de lien entre la fréquence de l’autofécondation et le nombre de pollinisateurs présents 3. Cela montre au moins une chose : c’est que le monde des plantes recèle encore plein de mystères…
Ajoutons également qu’une autre étude (sur les Hellébores fétides) a révélé que l’autofécondation produit moins de graines et des graines plus petites que la fécondation croisée 7.
Les fleurs : les pétales
Les pétales sont cachés par les sépales et transformés en glandes produisant du nectar.
Dans ce nectar vivent des levures (des champignons unicellulaires) qui en consommant les sucres de ce nectar dégagent de l’énergie et augmentent la température à l’intérieur de la fleur, ce qui peut attirer les pollinisateurs.
Mais la relation plante-insecte-levure n’est pas bien comprise.
Nous avons mentionné les sépales, les étamines et les carpelles. Mais où se cachent donc les pétales? Ils sont bien là, mais ils sont très petits, quasiment invisibles, cachés par les sépales et les étamines. Ils ont été complètement transformés en cornets nectarifères (voir photo ci-dessous), remplis jusqu’à la moitié de nectar.
Cette métamorphose des pétales en nectaires (glandes à nectar) est un trait assez courant chez les Renonculacées. Prenez par exemple l’Aconit tue-loup (Aconitum lycoctonum subsp. vulparia), ci-dessous. Ce que l’on voit de la fleur est en réalité le calice formé de 5 sépales pétaloïdes jaune pâle. A l’intérieur se trouvent 2 petits pétales transformés en nectaires.
Des fleurs chauffées en hiver
Le nectar des Hellébores est assez concentré en saccharose et en fructose, une aubaine pour les rares insectes qui pollinisent en cette période (fin de l’hiver et début du printemps). Et les glandes peuvent sécréter du nectar sans discontinuer pendant vingt jours, ce qui permet à la plante de compenser le petit nombre d’insectes visiteurs journaliers.
Mais ce n’est pas tout : les Hellébores semblent gâter leurs pollinisateurs en leur proposant des fleurs chauffées!
Comment expliquer ce phénomène? Le nectar des Hellébores, comme celui de beaucoup d’autres plantes pollinisées par des insectes, contient des levures, des champignons unicellulaires. Rappelons que les levures peuvent provoquer la fermentation des matières organiques et sont employées dans la fabrication notamment de la bière, des pâtes levées et des antibiotiques. Elles sont également un constituant des lichens.
Dans le cas du nectar des plantes, seules quelques espèces de levures très spécialisées sont capables de vivre dans cet habitat. Comment arrivent-elles dans le nectar? Tout simplement en étant transportées par les insectes pollinisateurs 5.
Une étude de 2010 concernant l’Hellébore fétide a montré que ces levures consomment les sucres contenus dans le nectar. C’est un processus qui dégage beaucoup d’énergie et va donc augmenter la température à l’intérieur de la fleur de 1° environ 6.
La même observation a été réalisée pour une autre plante qui fleurit à la fin de l’hiver, la Primevère acaule (Primula vulgaris) 6, une espèce dont les variantes cultivées se naturalisent de plus en plus souvent dans nos régions. Cette primevère produit également un nectar colonisé par des levures, et dans ce cas aussi, la température est plus élevée à l’intérieur de la fleur.
Ce réchauffement pourrait avoir un effet positif pour la plante. En effet, une étude antérieure avait déjà prouvé que les insectes préfèrent les fleurs plus chaudes que l’air ambiant. Toutefois, la différence devrait avoisiner les 4° pour qu’il y ait une préférence nette 12, et c’est loin d’être le cas ici.
De surcroît, les levures modifient la composition du nectar en diminuant sa concentration en sucres, et donc sa valeur nutritionnelle et son attractivité vis-à-vis des pollinisateurs.
Malgré cela, des expériences récentes (2013) prouvent que les insectes choisissent systématiquement les fleurs abritant des levures par rapport à celles sans levures 13.
Les levures sont-elles ici des pique-assiettes qui parasitent simplement la relation entre les plantes et les pollinisateurs? Ou bien leur présence offre-t-elle d’autres avantages, comme une augmentation de la teneur en d’autres substances (éthanol, acides aminés, vitamines…), qui compenseraient une moins grande quantité de sucres?
Une autre question qui demeure ouverte est l’effet de la présence des levures sur la fécondité de la plante. Les rares études publiées sur ce sujet présentent des conclusions contradictoires 13 – 14.
Il reste donc beaucoup de pain sur la planche pour les botanistes!
Un bel article, passionnant.
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Merci Christian!
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un éclairage limpide sur la physiologie des plantes, du jamais lu !
merci beaucoup au rédacteur
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Merci beaucoup Marianne !
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Je reste pantoise quant aux informations lues dans ton article.
Beaucoup de reconnaissance à toi pour la compilation, la restitution claire et concise de toutes ces données ainsi que pour tout le travail que cela représente. Merci beaucoup.
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Merci beaucoup Pascale, c’est gentil et très encourageant!
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