Actualité : Les plantes entendent ; la preuve par l’Onagre

Un complément tout chaud au dernier article qui était consacré au sens du toucher chez les plantes.
Une nouvelle étude montre en effet que les plantes peuvent entendre le bourdonnement des abeilles qui passent et augmentent alors la teneur en sucre de leur nectar pour attirer les insectes volants.


Dans le dernier article de la Gazette, Chantez mais ne touchez pas les plantes, nous avions découvert qu’une plante « entend » les vibrations émises par une chenille mastiquant ses feuilles, ce qui lui permet de mettre en place des défenses chimiques appropriées contre le prédateur.

Voici un nouvel exemple, tout chaud, de la perception de certains sons par les plantes. Un domaine de recherche tout récent, baptisé phyto-acoustique (du grec ancien phytón, « végétal »).


Des fleurs exposées au son d’une abeille volant dans les parages augmentent temporairement la teneur en sucre de leur nectar.

Les résultats d’une nouvelle étude viennent d’être publiés cette semaine. Une équipe de chercheurs de l’Université de Tel Aviv a montré que des fleurs d’une espèce d’Onagre, lorsqu’elles sont exposées au son d’une abeille volant dans les parages, augmentent temporairement la teneur en sucre de leur nectar, augmentant par conséquent les chances de pollinisation croisée.

« Oui, bon. Une étude de plus, mais qu’est-ce qu’elle apporte de neuf par rapport à l’article précédent ? »

« Eh bien, plusieurs différences et éléments inédits que nous allons détailler ci-dessous. »


La plante entend l’arrivée d’insectes utiles pour elles, les pollinisateurs.

Il ne s’agit plus, comme dans notre billet précédent, du bruit provoqué par un prédateur, une chenille mastiquant une feuille. Ici on se rend compte que la plante entend également les insectes utiles pour elle, les pollinisateurs,  et réagit à leur présence d’une autre façon.

L’expérience a porté sur 650 fleurs. Les chercheurs ont passé un enregistrement du bourdonnement d’une abeille en vol (0.2 à 0.5 kilohertz) 7, et ils ont observé que les fleurs accroissaient très rapidement (de 20 % en moyenne), en l’espace de trois minutes à peine, la concentration en sucre du nectar 1.

La Centaurée jacée est l’une des très nombreuses plantes
qui met du nectar à la disposition des pollinisateurs

La réponse de la fleur est sélective : elle ne réagit pas à d’autres bruits ayant une fréquence différente. Cela concorde parfaitement avec les expériences mentionnées dans le premier article.

Cette capacité ne devrait pas nous étonner. C’est l’inverse qui eût été surprenant du point de vue de l’évolution.
« Les plantes ont beaucoup d’interactions avec les animaux, et les animaux font et entendent des bruits », a déclaré Lilach Hadany, membre de l’équipe de Tel Aviv 2.

Être capable d’entendre un pollinisateur s’approcher, et mettre ensuite et rapidement à sa disposition une bonne quantité de nectar sucré, permet d’abord d’attirer l’insecte et l’incite aussi à rester sur la fleur plus longtemps.
Ce n’est pas tout, car les chercheurs ont également remarqué que les pollinisateurs étaient plus de neuf fois plus fréquents autour des plantes qu’un autre pollinisateur avait visitées au cours des six minutes précédentes 8.
La plante améliore donc la probabilité que son pollen soit embarqué par un visiteur et déposé ensuite sur une autre fleur de la même espèce.


« Mais pourquoi attendre le passage d’une abeille ? Pourquoi la plante ne fabrique-t-elle pas directement du nectar plus sucré ? »

« Pour plusieurs raisons économiques ! »

Le nectar est la carotte que la plante offre aux insectes pour les attirer, et leur faire transporter (à leur insu) son pollen. Plus le nectar est sucré, plus il est attirant pour le pollinisateur. Mais la production de ce cadeau est coûteuse physiologiquement pour la plante.
Et il peut pourrir, en étant dégradé par des microbes.
Oh, et il pourrait aussi être volé par des fourmis 4 !

Cependant, si une plante est capable de détecter un pollinisateur qui s’approche, elle peut alors élaborer le meilleur nectar à la dernière minute, maximisant la probabilité de pollinisation tout en minimisant le risque de pertes.

Les scientifiques reconnaissent volontiers que la découverte de cette nouvelle capacité des plantes engendre de nouvelles questions.

L’une des premières qui vient à l’esprit des spécialistes est celle-ci :  pourquoi l’Onagre rend-elle son nectar beaucoup plus sucré (20 % d’augmentation) alors qu’on sait que les abeilles sont capables de détecter des changements dans la concentration de sucre aussi faibles que 1 à 3 pour cent 9 ?


Les chercheurs se sont intéressés cette fois au comportement non pas de l’Arabette de Thalius, mais bien d’une Onagre.

Lorsqu’ils veulent tester leurs hypothèses, les chercheurs en biologie végétale prennent le plus souvent comme « cobaye » l’ Arabette de Thalius (Arabidopsis thaliana), une Brassicacée (famille des choux) que l’on rencontre fréquemment sur les trottoirs.
Ce fut encore le cas dans l’étude portant sur la détection du bruit généré par un insecte herbivore (cf. le billet précédent : Chantez mais ne touchez pas les plantes).

L’Arabette de Thalius, une vedette de la recherche scientifique


C’est promis, la Gazette publiera prochainement un billet sur cette plante rudérale, devenue bien malgré elle une vedette scientifique, notamment à cause de son cycle de vie rapide et de son petit génome.


l’Arabette de Thalius se pollinise elle-même

Mais pour vérifier leur supposition, que les plantes sont capables d’entendre le bruit d’un insecte pollinisateur, les chercheurs de Tel Aviv ne pouvaient pas s’appuyer sur l’Arabette de Thalius.

Pour la raison suivante : l’Arabette de Thalius n’a pas besoin des abeilles car elle se pollinise elle-même (elle est autogame).
La reproduction croisée ne se produisant que dans 0.3 % des cas 3.

Il y a donc peu de chances que cette plante ait développé des moyens de détecter les pollinisateurs.

Les scientifiques devaient donc trouver une autre plante dont les fleurs sont, elles, bien pollinisées par des abeilles.

Ce ne fut pas une tâche bien difficile puisque l’on estime que 75 % environ des Angiospermes sont pollinisées par des insectes 6.

Les chercheurs ont choisi une Onagre, Oenothera drummondii, une espèce des sables, originaire d’Amérique et devenue envahissante en Israël.

Oenothera drummondii, Cadiz (© Xemenendura via Wikimedia Commons)

Oenothera drummondii ne se rencontre pas à l’état naturel en Belgique. Le pays compte toutefois 27 représentants du même genre  5.  Les plus communs sont l’Onagre à petites fleurs (Oenothera deflexa), l’Onagre bisannuelle (Oenothera biennis) et l’Onagre de Glaziou (Oenothera glazioviana).

Le genre Oenothera est difficile pour les botanistes (un de plus !). Les espèces sont en effet fertiles entre elles, et leurs limites sont de ce fait très floues.  Autrement dit, les « onagrologues » ne sont pas d’accord entre eux et proposent chacun leur classification !

Une Onagre à petites fleurs (Oenothera deflexa)


Dans ce cas-ci, les fleurs sont les « oreilles » de la plante.

Les chercheurs ont tenté la même expérience mais avec des plantes auxquelles des pétales avaient été enlevés. Aucun changement dans la production habituelle de nectar n’a été noté dans ce cas, ce qui indique que ce sont bien les fleurs qui jouent le rôle des « oreilles », du moins pour ce type de son.

« Allô j’écoute ! »
Fleur de l’Onagre à sépales rouges (Oenothera glazioviana), commune dans nos villes

Dans le cadre de cette étude, les scientifiques n’ont pas essayé de comprendre comment les vibrations des insectes sont décodées et comment elles déclenchent la production de nectar plus sucré. On peut toutefois raisonnablement supposer qu’il s’agit du même type de processus que celui qui permet à la plante de détecter le bruit provoqué par une chenille mastiquant des feuilles. Un processus basé sur la présence de mécanorécepteurs dans les tissus de la plante.


Lisez ou relisez l’article précédent pour plus de détails à ce sujet.
Bon, puisque vous êtes sympathiques, en voici quand même un bref rappel.
Ces mécanorécepteurs sont des protéines qui, lorsque leur forme est altérée par une contrainte mécanique,  comme une vibration acoustique par exemple, vont s’ouvrir comme une porte et libérer presque instantanément des signaux électriques ou biochimiques (des flux d’ions) qui déclencheront des réponses cellulaires spécifiques.

Soumise à une contrainte mécanique, la protéine se déforme
pour laisser passer des signaux électriques ou bio-chimiques (ions)
© Wikimedia commons


Les fleurs en forme de bol amplifient les sons comme une antenne parabolique

L’aspect des fleurs varie considérablement d’un genre à l’autre, mais pas mal d’entre elles adoptent une forme de bol. Or cette forme est idéale pour recevoir et amplifier les ondes sonores, un peu comme le fait une antenne parabolique.

Cette constatation a incité nos chercheurs à mener d’autres tests. Et ils ont trouvé que, soumises aux fréquences produites par une abeille en vol, les fleurs d’Onagre vibrent et amplifient le son, se comportant donc comme notre oreille externe.

La fleur du Liseron des champs (Convolvulus arvensis)
a également une forme de bol


En guise de conclusion (provisoire), on peut évidemment se demander si les sons produits par l’homme peuvent nuire à la capacité des plantes d’attirer les pollinisateurs.


Sources :

1 : Marine Veits et al.; Flowers respond to pollinator sound within minutes by increasing nectar sugar ; preprint sur BioRxiv ; décembre 2018

2 : David Nield; Plants May Not Have Ears, But They Can ‘Hear’ Way Better Than We Thought ; Science Alert; 19 janvier 2019

3 : Wikipedia; Arabidopsis thaliana ; Oecologia; janvier 2019

4 : Toi Staff ; Israeli scientists find a flower they say can hear approaching bees ; The Times of Israel ; 8 janvier 2019.

5 : Rostañski Krzysztof & Verloove Filip ; The genus Oenothera (Onagraceae) in Belgium ; Dumortiera ; n° 106 ; pp. 12-42 ; 2015 ;

6 : David Grimaldi ; The Co-Radiations of Pollinating Insects and Angiosperms in the Cretaceous ; Annals of the Missouri Botanical Garden ; Vol. 86 ; No. 2 ; 1999 ; pp. 373-406

7 : Michelle Z. Donahue; Flowers can hear buzzing bees—and it makes their nectar sweeter ; National Geographic ; 15 janvier 2019

8 : Michelle Z. Donahue; Flowers can hear buzzing bees—and it makes their nectar sweeter ; National Geographic ; 15 janvier 2019

9 : Michelle Z. Donahue; Flowers can hear buzzing bees—and it makes their nectar sweeter ; National Geographic ; 15 janvier 2019

A propos La gazette des plantes

La gazette des plantes, un blog qui part à la découverte des végétaux qui nous entourent en Belgique
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2 commentaires pour Actualité : Les plantes entendent ; la preuve par l’Onagre

  1. marianne molter dit :

    passionant comme toujours ,merci !

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  2. Le Guellec dit :

    Bonjour.
    Suivre cet excellent Doc sur « des insectes et des hommes », la série documentaire (LSD) de France Culture du mercredi 3 août 2023.
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/ecouter-et-communiquer-7027381
    Un plaisir de reellement

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