Pétales ou sépales ?


C’est Goethe, le grand romancier allemand, qui eut le premier cette intuition géniale (en 1790 !) :

les différents éléments composant une fleur, les sépales, les pétales, les étamines et les carpelles (pistil), ne sont en fait que des feuilles modifiées 1.

Il aura fallu attendre 1991 pour voir cette idée confirmée par des recherches biologiques 2.
Ces 4 éléments sont disposés en cercles (que les botanistes appellent souvent verticilles) comme le montre la photo ci-dessous. En partant de l’extérieur nous rencontrons d’abord les pièces stériles : les sépales (1), puis les pétales (2) qui constituent ensemble le périanthe. Ils entourent les pièces fertiles :  les étamines (3) (ou androcée) et le pistil (ou gynécée) formé d’un ou de plusieurs carpelles (4).

Épilobe cilié (Epilobium ciliatum)

Mais ces éléments ne sont pas toujours tous présents. Certaines fleurs n’ont pas de carpelles, ce sont des fleurs mâles. Inversement, les fleurs femelles n’ont pas d’étamines.

L’anneau le plus externe est le calice ; il est composé des sépales verdâtres dont la fonction principale est de protéger les organes reproducteurs dans le bouton floral.

Les sépales protègent les organes reproducteurs dans le bouton floral
(Arabette des sables – Arabidopsis arenosa)

Les sépales sont généralement verts car ils possèdent de la chlorophylle : ils participent donc à la photosynthèse.

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Sépale est un mot créé en 1790 par un botaniste allemand. Ce n’était pas Goethe, mais Necker.
Il forgea le terme en mariant le grec sképē, « enveloppe, protection » avec pétale
5.
Pour la petite histoire, Necker s’intéressait surtout aux mousses (pas celles qui chapeautent les bières, mais les bryophytes). Le genre Neckera lui est d’ailleurs dédié.

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Neckera complanata,
une mousse que l’on peut rencontrer dans nos régions
© Kurt Stueber via Wikimedia Commons


Le calice entoure la corolle qui est constituée par les pétales généralement colorés dont la mission est d’attirer les pollinisateurs.

Les pétales de l’Arabette des sables attirent les insectes pollinisateurs

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Pétale vient d’un mot latin, petalum, qui fut utilisé pour la première fois en 1649 par un botaniste italien, Fabio Colonna, en se basant sur un mot grec, petalon, qui signifiait feuille.
Avant lui, les pétales se nommaient simplement « feuilles florales »
4.

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Bon, nous avons planté le décor. Mais comment pouvons-nous maintenant distinguer les pétales des sépales ?

Premier cas (le plus facile) :

Vous voyez deux verticilles distincts composés de pièces stériles dissemblables.
Il y a donc des pétales (cercle intérieur), généralement colorés, et des sépales (cercle extérieur), généralement verts.

Sépales (s) et pétales (p) du Géranium mou
(Geranium molle)

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Puisqu’elles possèdent deux enveloppes différentes, ces fleurs sont appelées hétérochlamydes, du grec heteros, autre et klamus, manteau.
On peut rencontrer, mais plus rarement, le terme dichlamyde (deux manteaux). Il est plus fréquent en anglais (dichlamydeous), mais il est ambivalent car il peut s’appliquer également au cas suivant.


Deuxième cas :

Il y a bien deux verticilles distincts, mais ils sont composés de pièces identiques ou se ressemblant fortement.

Première solution : on se base sur la position des pièces : on nomme celles placées à l’extérieur les sépales, tandis que les plus internes sont appelées les pétales.

Ceci revient en fait à considérer la fonction de chaque verticille : le cercle externe,  qui sert d’enveloppe protectrice,  est donc le calice.

Sépales (p) et pétales (p) de la Nivéole de printemps (Leucojum vernum)

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Ces fleurs sont appelées homochlamydes.
Logique n’est-il pas ?

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Sachez que vous n’êtes pas obligés de les différencier :

vous pouvez aussi les appeler tépales, un terme que les botanistes utilisent lorsque les sépales et les pétales sont de forme et de couleur similaires.

On rencontre fréquemment les tépales parmi les Monocotylédones, notamment dans la famille des Amaryllidacées à laquelle appartient la Nivéole de printemps (photo précédente).

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Tépale est un vocable inventé par Augustin Pyrame de Candolle, un botaniste suisse (1778-1841), en inversant les deux premières consonnes de pétale 7 .

de Candolle fut le premier à mettre en avant l’idée de « guerre de la nature », décrivant des plantes  « en guerre les unes contre les autres » car se disputant l’espace et les ressources. Il influença probablement Darwin qu’il rencontra en 1839 6 .


Troisième cas :

Un seul verticille est présent.
On admet alors (généralement) que le verticille qui persiste est le calice.

Ces fleurs n’ont donc que des sépales et pas de pétales 8 .
Ceci revient à nouveau à se baser sur la fonction principale du cercle unique : protéger les organes sexuels.

Les fleurs sans pétales sont communes. On en trouve entre autres chez les Anémones,  les Chénopodiacées, les Polygonacées et les Urticacées.

Le Chénopode blanc (Chenopodium album)
est une espèce très présente dans les lieux cultivés

La fleur du Chénopode blanc ne possède que des sépales

Ces fleurs sont appelées monochlamydes (un seul manteau) ou encore haplochlamydes.
Haplo est un préfixe indiquant un élément simple, unique. On le retrouve dans haploïde qui s’applique à un organisme dont les noyaux de ses cellules ne possèdent qu’un seul jeu de chromosomes, par opposition à diploïde.

Vous trouvez ces mots trop compliqués? Qu’à cela ne tienne, dites simplement que ces fleurs sont apétales (sans pétales), et cela suffira!


Quatrième cas :

Il n’y a aucun verticille. Pas de sépales, ni de pétales.

On évite par conséquent de se casser la tête et d’attraper une migraine.
Un exemple ? Regardez les fleurs des Euphorbes.

Fleurs nues de l’Euphorbe des jardiniers (Euphorbia peplus)

Ces fleurs sont dites achlamydes,
ou apérianthées.



Nous avons jusqu’à présent fondé la distinction entre les sépales et les pétales sur  leur fonction : les sépales abritent les organes intérieurs, les pétales attirent les pollinisateurs.
Mais les botanistes ont également remarqué que les pièces les plus externes d’une fleur (les sépales donc) partagent généralement certains traits caractéristiques, qu’il y ait ou non un cercle plus interne (de pétales).

Les pièces externes sont plus robustes (ceci est bien sûr dû à leur fonction de protection des verticilles internes). Leur base est large et leur sommet est pointu.
Les pétales ont en revanche une structure plus légère, une base étroite, un sommet plus large 9 .

Ces caractéristiques sont assez bien visibles dans certaines familles, comme les Géraniacées et les Caryophyllacées. Examinez par exemple les sépales et les pétales du Bec-de-grue à feuilles de ciguë (Erodium cicutarium) :

Fleur de Bec-de-grue à feuilles de ciguë (Erodium cicutarium),
famille des Géraniacées

Robustesse et morphologie sont toutefois des propriétés assez subjectives.
Une autre différence permet heureusement de distinguer habituellement les sépales des pétales :  le nombre de vaisseaux conducteurs de sève.

Les sépales possèdent le plus souvent trois vaisseaux conducteurs de sève, tandis que les pétales n’en ont qu’un seul (voir photo ci-dessous) 10 .

Fleur d’Ancolie commune (Aquilegia vulgaris)
Les sépales (S) et les pétales (P) se ressemblent
(les pétales sont terminés par un éperon recourbé).
Mais les sépales possèdent 3 vaisseaux conducteurs
(schématisés par les lignes blanches),
tandis que les pétales n’en ont qu’un seul.

Malheureusement, l’évolution qui s’est poursuivie sur plus d’une centaine de millions d’années a eu le temps de brouiller les pistes. Par exemple, les pétales de certaines espèces ont repris la fonction protectrice des sépales ; ils sont devenus plus robustes et ont développé une base plus large. Ils possèdent également trois vaisseaux conducteurs de sève 11 .
C’est ce qui est arrivé dans le groupe important des Astéridées, qui comprend notamment les familles des Astéracées et des Campanulacées.

Campanule raiponce (Campanula rapunculus) :
les pétales sont bien plus vigoureux que les sépales effilés.

Il n’existe donc aucun critère morphologique qui permettrait dans tous les cas de distinguer un pétale d’un sépale.

Lorsqu’on se trouve face à une espèce ne possédant qu’un seul verticille (ou plus de deux), il vaut mieux se référer au plus proche parent pourvu de deux cercles afin de pouvoir clarifier la situation 12 .

Un cas d’école nous est donné par la famille des Rubiacées (contenant entre autres le caféier). Bien que certaines espèces de ce groupe disposent encore de sépales bien développés, la tendance générale est à la réduction du calice 18.
Les botanistes en déduisent donc que les Rubiacées qui ne possèdent qu’un seul verticille, les Gaillets (Galium) et les Croisettes (Cruciata) notamment, ont perdu totalement leurs sépales.

La Croisette commune (Cruciata laevipes) ne possède que des pétales

On voit donc ici l’une des rares exceptions au principe qui stipule qu’un verticille unique est formé de sépales.


Heureusement, et comme c’est le cas dans d’autres domaines de la botanique, les analyses génétiques viennent désormais à notre rescousse.

En 1988, deux biologistes (George Haughn et Chris Somerville) ont étudié des mutants de l’Arabette de Thalius (Arabidopsis thaliana), c’est-à-dire des individus qui n’avaient pas développé un ou plusieurs des quatre verticilles composant une fleur.  Ils ont ainsi montré que ces verticilles sont fabriqués par l’activation de certains gènes bien précis.

L’Arabette de Thalius est la plante qui sert de « cobaye » aux biologistes

En simplifiant, on peut dire que les sépales sont ainsi produits par l’activation des gènes de type A, les pétales sont produits par les gènes de type A et de type B, les étamines par les gènes de type B et de type C et les carpelles n’ont besoin que des gènes de type C pour être créés. Ils ont nommé « modèle ABC » cet ensemble de processus menant au développement d’une fleur complète 3.

Le modèle ABC
traduit d’après Ian Alexander via Wikimedia Commons

On remarque que les sépales sont produits par l’activation des gènes de type A uniquement, tandis que les pétales nécessitent l’expression conjointe des gènes de type A et de type B.


Les sépales et les pétales résultent donc de l’activation de gènes différents.

Tous les mécanismes menant à la floraison ne sont pas encore connus, mais ses  aspects fondamentaux, ainsi que sa généralisation à l’ensemble des plantes à fleurs, ont été largement étayés par des décennies de travail dans des laboratoires du monde entier. Les gènes qui remplissent les fonctions A, B et C varient cependant d’une espèce à l’autre et sont loin d’avoir été tous identifiés 13.

Eh bien, aucun scénario ne fait actuellement l’unanimité parmi les scientifiques.

Il semble néanmoins plausible que les premières fleurs n’aient été pourvues que d’une seule enveloppe protégeant les organes fertiles placés au centre (étamines et carpelles). Cette enveloppe était constituée d’éléments semblables que vous pouvez appeler, à votre gré, sépales ou bien tépales 14.

Selon les théories les plus communément admises aujourd’hui, ces sépales/tépales résultèrent de la transformation de bractées 15.

Petit rappel : les bractées sont des petites feuilles qui se trouvent placées à la base de la fleur ou de l’inflorescence.
Une bractée est bien une feuille et non un organe floral comme un sépale. En effet, pareille à une autre feuille, la bractée porte toujours à son aisselle un petit bourgeon axillaire, que l’on peut découvrir grâce à une bonne loupe.

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Bouton floral de la Véronique petit-chêne (Veronica chamaedrys) :
bractée et sépales

Il y a (bractéo)pétales et (andro)pétales.

L’origine des pétales est plus complexe, et aussi plus discutée. Les analyses phylogénétiques suggèrent qu’ils sont apparus plusieurs fois au cours de l’évolution des plantes à fleurs.

Dans un grand nombre de lignées, ils paraissent provenir de la transformation des premiers tépales, qui découlent eux-mêmes de bractées comme nous venons de le voir ci-avant. On les nomment donc des bractéopétales. On les rencontre dans de nombreux groupes (Astéridées, Santalales et Rosidées) 16.

Dans la majorité des cas, les pétales proviendraient de la transformation d’une partie des tépales originels.
Exemple : Arabette de Thalius (Arabidopsis thaliana)

D’autres pétales sont des étamines modifiées. Ce sont les andropétales (du grec ancien  andros , « appartenant à l’homme », puisque les étamines sont les organes mâles). Plus rares, on ne les trouve que dans quelques groupes (Ranunculales et Caryophyllales notamment),  dans lesquels les pétales ont probablement d’abord disparu puis auraient été « réinventés » 17.

Les andropétales que l’on rencontre dans la famille des Renonculacées sont souvent assez dissemblables des pétales typiques. Chez les Hellébores par exemple (photo suivante), ils prennent la forme de tubes nectarifères.

Étamines et pétales nectarifères de l’Hellébore vert (Helleborus viridis)

L’aspect des pétales des Renoncules est plus habituel, mais ils possèdent cependant eux-aussi une zone nectarifère à leur base.

Pétales et étamines de la Renoncule rampante ( Ranunculus repens)


Sources :

1 : Serge Jodra ; Goethe and the metamorphosis of parts; Cosmovisions ; 2006

2 : Wikipedia ; Evolutionary history of plants ; 15 mars 2019

3 : Wikipedia ; ABC model of flower development ; février 2019

4 : CNRTL ; Pétale

5 : CNRTL ; Sépale

6 : Wikipedia ; Augustin Pyramus de Candolle ; mars 2019

7 : Littré ;  Tépale

8 : Wikipedia ; Périanthe ; mai 2018

9 : Soltis et al. ; Developmental Genetics of the Flower ; Advances in Botanical Research ; Volume 44 ; p. 13 ; Elsevier ; 2006

10 : Pandey et al. ; A Text Book of Botany: Plant Anatomy and Economic Botany, Volume 3; p. 221 ; Vikas Publishing House Pvt Ltd ; 1993 ;

11 : Soltis et al. ; Phylogeny and Evolution of the Angiosperms ; p. 354 ; University of Chicago Press ; 2018 ;

12 : Soltis et al. ; Phylogeny and Evolution of the Angiosperms ; p. 353 ; University of Chicago Press ; 2018 ;

13 : Vivian Irish ; The ABC model of floral development ; Current Biology ; Volume 27 ; Issue 17 ; 11 septembre 2017 ; pp. R887-R890

14 : Andre S. Chanderbali et al.; Evolving Ideas on the Origin and Evolution of Flowers: New Perspectives in the Genomic Era ; Genetics ; vol. 202 ; pp. 1255–1265 ; mars 2016

15 : Louis P. Ronse De Craene et al. ; Are Petals Sterile Stamens or Bracts? The Origin and Evolution of Petals in the Core Eudicots ; Annals of Botany ; Volume 100 ; Issue 3 ; septembre 2007 ; pp. 621–630

16 : Monniaux M. & Vandenbussche M. ; How to Evolve a Perianth: A Review of Cadastral Mechanisms for Perianth Identity ; Frontiers in Plant Science ; 29 octobre 2018

17 : Monniaux M. & Vandenbussche M. ; How to Evolve a Perianth: A Review of Cadastral Mechanisms for Perianth Identity ; Frontiers in Plant Science ; 29 octobre 2018

18 : Somayeh Naghiloo & Regine Classen-Bockhoff ; Developmental analysis of merosity and sexual morphs in Rubiaceae: A case study in Rubia and Cruciata ; Flora ; Volume 222 ; juin 2016 ; pp. 52-59