L’hiver est arrivé, du moins sur nos calendriers. Il n’y a plus rien à voir pour les botanistes amateurs, pensez-vous? Que nenni : la Gazette commence une série consacrée aux plantes visibles en cette saison. Aujourd’hui : la fougère la plus facile à identifier.
Dans le bois aux ours
Pour le premier numéro de cette série, la Gazette est partie chasser les plantes vertes (photographiquement bien sûr!) dans le bois d’Arche, situé entre Sart-Bernard et Maillen, au sud-est de Namur.
Nous sommes dans l’Ardenne condrusienne, un plateau étroit, long d’une centaine de km, mais large seulement de 4 à 7 km, coincé entre la vallée de la Meuse au nord et le Condroz au sud.
Le sous-sol du vrai Condroz est surtout composé de grès sur les crêtes et de calcaires dans les vallées qui abritent prairies et champs. Celui de l’Ardenne condrusienne est par contre constitué des mêmes roches schisteuses et gréseuses que l’on trouve plus au sud, en Ardenne (d’où son nom d’Ardenne condrusienne). Imperméables, elles rendent le sol pauvre et très humide, donc peu propice à l’agriculture : on y retrouve par conséquent surtout des massifs forestiers.
Le bois d’Arche est profondément entaillé d’est en ouest par le vallon creusé par le ruisseau de Tailfer, qui se jette dans la Meuse à Lustin. Ce vallon est un biotope très intéressant, présentant des fonds humides, des érablières de ravin et des chênaies.
Le nom de ce ruisseau « Tailfer » provient de l’extraction du fer qui fut pratiquée jusqu’au 19è siècle près de son embouchure.
Le bois d’Arche est lui un reliquat d’une plus grande forêt qui s’étendait au Haut Moyen Age entre Dave et Andenne. Arche vient du gaulois artio, signifiant ours 1 , qui est d’ailleurs l’emblème de la ville d’Andenne. Nous sommes donc dans le bois aux ours.
La Scolopendre ou Langue de cerf (Asplenium scolopendrium)
C’est dans le vallon du ruisseau de Tailfer que nous avons croisé la scolopendre. Non, il ne s’agissait pas de cet arthropode carnassier que l’on rencontre fréquemment dans le pourtour méditerranéen et dans tous les pays tropicaux.
Nous parlons ici de Asplenium scolopendrium, la fougère la plus facile à identifier parmi la trentaine d’espèces présentes en Belgique. Regardez plutôt : c’est notre seule fougère qui possède des feuilles (que l’on appelle des frondes) entières, non divisées (si on omet la pilulaire, une fougère aquatique dont les frondes sont linéaires).
Ses feuilles persistent toute l’année. Elles sont d’un vert sombre, allongées en ruban, et leurs bords ondulent. Nos ancêtres, qui avaient beaucoup d’imagination, trouvaient qu’elles ressemblaient à des langues de cerf.
La scolopendre est assez commune dans notre pays. Le vallon du ruisseau de Tailfer est son milieu typique. En effet, on la rencontre le plus souvent dans les forêts de ravins : c’est-à-dire sur les versants ombragés, humides et plus ou moins abrupts des rivières, là où le sol est fait d’éboulis rocheux. Mais on peut aussi la voir pousser sur de vieux murs, sous les ponts, sur les parois des puits. Elle préfère les roches calcaires mais ne dédaigne pas pour autant les sols schisteux, lorsque ceux-ci ont été enrichis par des colluvions (les dépôts qui s’accumulent au pied d’une pente).
🔍 C’est la plante type du groupe des hygrosciaphytes des sols riches, c’est-à-dire l’ensemble des plantes qui poussent dans des stations fraîches et ombragées, sur des sols moyennement humides et assez riches 2.
Sciaphyte vient du grec skiá « ombre » et phuton « plante ».
Nos aïeux étaient assurément très imaginatifs : non seulement trouvèrent-ils que la fronde ressemblait à une langue de cerf, mais ils crurent voir, en la retournant (voir photo ci-dessous), les nombreuses pattes d’une scolopendre, l’animal cette fois-ci . Ce sont en réalité les alignements de sores.
Rappelons que les fougères ne se reproduisent pas par l’intermédiaire de graines, comme les plantes à fleurs, mais bien par des spores.
La reproduction sexuée chez les fougères
Les structures brunâtres que l’on voit au revers des frondes en automne ou en hiver ne sont pas les spores (nom féminin), mais bien les sores (nom masculin). Les sores sont constituées du regroupement d’autres organes appelés sporanges (nom masculin). Ce sont les sporanges qui produisent les spores. A un moment déterminé les sporanges s’ouvrent et les spores sont alors disséminées par le vent.
Par temps humide la spore germera et donnera naissance non pas à une nouvelle fougère, mais bien à un organe ressemblant à une feuille de couleur verte, appelé prothalle.
C’est sur le prothalle que vont se former les organes reproducteurs : les archégones, contenant le gamète femelle, et les anthéridies, contenant les gamètes mâles.
Par temps humide une pellicule d’eau recouvrant le prothalle permet aux gamètes mâles de nager vers les archégones où ils féconderont le gamète femelle.
Cette fécondation donnera naissance à une nouvelle fougère qui se développera sur le prothalle, celui-ci disparaissant ensuite.
Spore vient du grec ancien spora » semence « .
Sore vient du grec ancien soros » tas « .
Sporange vient de spore et du grec ancien aggeion » vase « .
Prothalle vient du latin pro » qui précède « , et du grec thallos » brindille « .
Archégone vient du grec ancien archè « commencement » et gonos » procréation « .
Anthéridie vient du grec ancien anthêrós « en fleur » et eidos » forme « .
Très souvent, les sores prennent une forme arrondie ou réniforme. Ceux de la scolopendre sont caractéristiques comme on peut le remarquer sur la photo ci-dessus : ils sont allongés.
La scolopendre était autrefois réputée efficace dans les affections du foie et de la rate, d’où son surnom d’herbe à la rate. Le nom du genre Asplenium dérive d’ailleurs du grec ancien splēn qui désignait la rate 3. Le mot anglais spleen a d’ailleurs la même origine et la même signification.
De nos jours elle est considérée comme étant astringente car elle contient beaucoup de tanins : resserrant les tissus, elle serait efficace pour cicatriser les plaies ou pour lutter contre les diarrhées.
Elle renferme également des mucilages, des substances, constituées de polysaccharides, qui gonflent au contact de l’eau en devenant visqueuses comme de la gélatine. Elles confèrent à la plante des vertus émollientes (adoucissantes) qui lui permettent de soulager les symptômes des affections des voies respiratoires. Elle serait aussi un bon expectorant 4 5.
Ajoutons que les feuilles de la scolopendre produisent des protoflavonoïdes qui pourraient avoir un intérêt dans la lutte contre le cancer 6.
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Sources :
1 : Jespers Jean-Jacques; Dictionnaire des noms de lieux en Wallonie et à Bruxelles; Editions Racine; 2005
2 : Dulière, Tanghe et al.; Répertoire des groupes écologiques du fichier écologique des essences; Ministère de la Région wallonne
3 : Wikipedia; Asplenium petrarchae; Avril 2016
4 : Debuigne et Couplan; Le Petit Larousse des plantes qui guérissent; Larousse; 2013
5 : Danie Poiret; Scolopendre (Asplenium scolopendrium); Mr plantes; 2016
6 : Isabelle Pouny et al.; Protoflavonoids from Ferns Impair Centrosomal Integrity of Tumor Cells; Planta Medica; Octobre 2010
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