Des arbres qui nous portent secours

6239850369_49f914c1b9_qCertains arbres, aidés de champignons et de bactéries,  utilisent une partie du dioxyde de carbone contenu dans l’air pour fabriquer du calcaire et le stocker à long terme dans le sol. Ils permettent ainsi de lutter (un peu) contre le réchauffement climatique.


En un coup d’oeil :

Une lectrice de la Gazette a envoyé un lien très intéressant : il s’agit d’une vidéo, publiée sur Universcience.tv, qui nous parle des arbres oxalogènes.

L’homme rejette de grandes quantités de dioxyde de carbone (appelé aussi gaz carbonique : CO2) dans l’atmosphère, et c’est la raison principale de l’augmentation de l’effet de serre durant les dernières décennies.

Parfois cependant des arbres, aidés de champignons et de bactéries,  utilisent une partie de ce carbone pour fabriquer du calcaire et le stocker à long terme dans le sol, permettant ainsi de restreindre quelque peu la quantité de gaz carbonique présent dans l’atmosphère. Ce sont les arbres oxalogènes.

Regardez donc la vidéo (5 min ) :


Le cycle du carbone organique

Puisque ces arbres oxalogènes transforment du carbone en calcaire, nous allons commencer par décrire brièvement le cycle du carbone organique sur la Terre.

Regardez le dessin ci-dessous. Nous sommes à la campagne, dans un petit coin paisible. Tout paraît immobile, mais il est pourtant parcouru de flux invisibles.

Une légère brise fait bouger doucement les feuilles. Cet air qui remue les feuilles est composé essentiellement d’azote (78%), d’oxygène (21%), d’argon (0.9 %) et de dioxyde de carbone (0.4 %).
Les plantes captent ce dioxyde de carbone afin de produire les sucres dont elles ont besoin pour vivre : c’est le processus de photosynthèse (flèche n° 1 sur le dessin ci-dessous). Du carbone est donc stocké dans les plantes (et dans les animaux qui les mangent directement ou indirectement) et est ainsi retiré de l’atmosphère.

Mais pas pour très longtemps : une grande partie de ce carbone retourne en effet assez vite dans l’atmosphère :
– d’abord lors de la respiration des êtres vivants : la respiration transforme en effet les sucres en énergie et rejette du dioxyde de carbone (flèche n° 2) ;
– ensuite lors de la mort de ces êtres vivants : leurs matières organiques se retrouvent dans le sol (flèche n° 3) et y sont décomposées grâce à l’action de champignons et de bactéries. Cette décomposition rejette également (directement et indirectement) du dioxyde de carbone dans l’atmosphère (flèche n° 4).

Le cycle du carbone organique

Le cycle du carbone organique

Ceci est le cycle court. Mais ce n’est pas tout : une petite partie du carbone organique va être progressivement enfouie dans les roches sédimentaires (flèche n° 5) et transformée en combustibles fossiles. Cela se déroule sur des échelles de temps beaucoup plus longues (des millions d’années). Si les quantités accumulées dans les sédiments sont en fin de compte énormes, les flux annuels et même séculaires sont en revanche minuscules. Inversement, lorsque ces roches sédimentaires sont altérées et reviennent à la surface, du carbone s’en échappe et rejoint l’atmosphère.

Le cycle du carbone organique est en équilibre : la quantité soustraite à l’atmosphère est égale à la quantité qui est réinjectée.

Mais ce panorama est bien sûr idyllique et erroné. Il y manque l’acteur principal : l’homme.

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Urbanisation : immeubles récents à la périphérie de Bruxelles

Depuis le 19e siècle, les êtres humains rejettent en effet de plus en plus de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Les causes principales sont l’utilisation massive de combustibles fossiles, la déforestation, les pratiques agricoles et l’urbanisation.
Or le CO2 est l’un des principaux gaz à effet de serre et l’augmentation de sa concentration dans l’atmosphère est l’une des raisons essentielles du réchauffement climatique.


En résumé :

Les plantes captent le dioxyde de carbone contenu dans l’atmosphère afin de produire les sucres dont elles ont besoin pour vivre : c’est le processus de photosynthèse. Tout ce carbone retourne un jour ou l’autre dans l’atmosphère essentiellement en raison de la respiration des êtres vivants et de la décomposition des organismes morts. Le cycle est donc théoriquement en équilibre. Mais les activités humaines ont rompu cet équilibre, et le gaz carbonique s’accumule désormais dans l’atmosphère…


La voie de l’oxalate de calcium

Comment les arbres oxalogènes transforment-ils le gaz carbonique en calcaire?
Il nous faut parler ici de l’oxalate de calcium, un sel fabriqué par de nombreuses plantes à partir du carbone. 

Beaucoup de plantes utilisent une partie du carbone atmosphérique pour fabriquer de l’oxalate de calcium, un sel qui revêt la forme de cristaux.  Ce sel, vous le connaissez tous sans le savoir, puisqu’il est aussi le constituant principal de nos douloureux calculs rénaux!
On le trouve à profusion chez les végétaux : dans plus de 1000 genres appartenant à environ 200 familles différentes, des algues aux angiospermes 5. En outre, de nombreux champignons en produisent également 4.

L'Oxalide corniculée (Oxalis corniculata) contient de l'oxalate de calcium, comme beaucoup de plantes de la famille des Oxalidacées

L’Oxalide corniculée (Oxalis corniculata), très fréquente sur les trottoirs des villes, contient de l’oxalate de calcium, comme beaucoup de plantes de la famille des Oxalidacées

Quelles sont les raisons qui poussent tant de végétaux à fabriquer ce composé?
Ce sel prend souvent chez les plantes la forme d’aiguilles (appelées raphides). Elles peuvent occasionner de sérieux dommages aux muqueuses des herbivores qui tenteraient de les manger. C’est donc sans aucun doute un moyen de protection contre les prédateurs 2.

Des recherches récentes semblent montrer que l’oxalate de calcium possède d’autres fonctions. Il sert par exemple à réguler la quantité de calcium présente dans les tissus végétaux 1, et pourrait peut-être contrôler également l’intensité de la lumière durant la photosynthèse 3.

Les oseilles (Rumex) sont des plantes qui contiennent également beaucoup d'oxalate de calcium

Les oseilles (Rumex) sont des plantes qui contiennent également beaucoup d’oxalate de calcium

Les végétaux qui ont accumulé de l’oxalate dans leurs tissus viennent à mourir un jour. Mais déjà au cours de leur vie certaines de leurs feuilles peuvent tomber, et certaines de leurs racines peuvent mourir. Toutes ces matières végétales mortes sont décomposées par des champignons.  Les cristaux d’oxalate qu’elles renfermaient sont alors libérés dans le sol.

La terre est-elle donc saturée en oxalate de calcium? Heureusement non, car l’oxalate est toxique et perturbe la croissance des plantes 6.  Que devient ce sel?

C’est la question que s’est posée le biochimiste Eric Verrechia, de l’université de Lausanne. Et il a trouvé les « voleurs d’oxalate » : ce sont des bactéries, vivant dans le sol, qui utilisent l’oxalate de calcium à la fois comme source d’énergie et comme source de carbone (afin d’élaborer leur propre matière organique)! Ces bactéries voleuses sont appelées oxalotrophes (du grec ancien « trophê », nourriture).
En faisant cela, ces bactéries abandonnent quelques « déchets » : une partie du carbone (la moitié environ) est à nouveau rejetée dans l’atmosphère sous forme de dioxyde de carbone, et l’autre moitié est incorporée au sol en s’associant au calcium pour former du carbonate de calcium (CaCO3), le composé majeur des calcaires, et peut y demeurer très longtemps : des milliers, voire des millions d’années 4. Le processus libère également dans la terre des ions hydroxydes (OH) qui vont augmenter le pH du sol, et donc réduire son acidité 10.


En résumé

Beaucoup de plantes utilisent du carbone atmosphérique pour fabriquer un sel, de l’oxalate de calcium. Ce sel leur sert notamment de moyen de défense contre les herbivores.
Lorsque leurs tissus meurent et sont décomposés par des champignons, ce sel est libéré dans le sol. Il n’est pas perdu pour toute le monde, car des bactéries (appelées oxalotrophes) s’en servent, notamment comme source d’énergie. Une partie du carbone contenu dans ce sel est alors rejetée dans l’atmosphère sous forme de dioxyde de carbone, et une autre partie est éliminée dans la terre sous forme de calcaire. Cette dernière partie peut y demeurer très longtemps, et peut donc être considérée comme un puits de carbone.


Les arbres oxalogènes sont-ils des jardiniers?

Il est maintenant temps de revenir, non pas à nos moutons, mais à nos arbres oxalogènes.

Bien que les plantes produisant de l’oxalate de calcium soient, comme nous l’avons vu ci-dessus, très nombreuses et réparties sur tous les continents, le processus semble être plus efficace dans les zones tropicales. Eric Verrechia et d’autres chercheurs (Cailleau et Braissant) ont en effet découvert dans les années 1990 que certains arbres de ces régions produisent de grandes quantités d’oxalate, et que par conséquent de grandes quantités de calcaire sont ensuite injectées dans le sol, grâce aux champignons et aux bactéries oxalotrophes.

Ces arbres sont notamment l’Iroko (Milicia excelsa) qui pousse en Afrique tropicale, et le Noyer maya (Brosimum alicastrum) en Amérique centrale et du sud.

Un arbre Iroko

Un arbre Iroko à Ibadan, Nigéria (© Deni Bown/IITA)

Ne nous leurrons pas, ces arbres ne sont pas une solution miracle qui permettrait d’arrêter d’un coup de baguette magique le réchauffement climatique. Selon Gauthier Chapelle, « une centrale à charbon de taille moyenne émet, en moyenne, 4 millions de tonnes de CO2 par an. Pour les fixer, il faudrait 1 million d’hectares d’iroko » 7. A titre de comparaison, la forêt belge couvre un peu moins de 700.000 hectares 8.

Pour quelle raison trouve-t-on ces arbres sous les Tropiques? Deux hypothèses ont été avancées. La première a trait au climat :  il pleuvrait sans doute trop régulièrement dans nos régions tempérées. L’oxalate de calcium serait par conséquent lessivé trop rapidement, avant d’avoir eu le temps d’être transformé en calcaire par les bactéries 7.

Brosimum alicastrum au Mexique (© Leonora Enking)

Brosimum alicastrum au Mexique (© Leonora Enking)

La seconde hypothèse est plus intrigante. De nombreuses plantes fabriqueraient de l’oxalate de calcium non seulement pour se protéger contre les herbivores, mais peut-être également pour amender le sol dans lequel elles poussent 4!
Ce ne serait pas si étonnant : nous savons maintenant que les plantes emploient diverses méthodes pour améliorer leur environnement. Elles s’associent par exemple à des champignons afin d’exploiter un plus grand volume de terre : ce sont les symbioses mycorhiziennes. Elles peuvent aussi rejeter dans la terre des composés toxiques dans le but d’éliminer leurs concurrents. C’est l’allélopathie négative.

Or les sols dans les zones tropicales sont normalement pauvres et très acides. Les températures élevées et la forte humidité favorisent en effet une décomposition rapide des matières organiques, et les pluies violentes (la mousson en particulier) entraînent un lessivage rapide des éléments nutritifs et l’érosion chimique du sol 9.

Sol pauvre au Burkina Faso (© International Institute of Tropical Agriculture)

Sol pauvre au Burkina Faso (© International Institute of Tropical Agriculture)

Il se pourrait donc que les végétaux qui vivent dans ces régions et qui parviennent à produire davantage d’oxalate bénéficient d’un gros avantage sur leurs concurrents  : en injectant du carbonate de calcium et des ions hydroxydes (OH) dans le sol avoisinant ils améliorent en effet de façon considérable sa fertilité. Ce seraient peut-être des arbres jardiniers!


En résumé

Bien que les plantes fabriquant de l’oxalate de calcium soient très nombreuses et réparties sur tous les continents, le processus semble être plus efficace dans les zones tropicales.  Des chercheurs ont en effet découvert dans les années 1990 que certains arbres de ces régions (l’Iroko et le Noyer maya notamment) produisent de grandes quantités d’oxalate, et injectent par conséquent de grandes quantités de calcaire dans le sol.
Deux hypothèses ont été suggérées pour expliquer la présence de ces arbres dans les régions tropicales. La première a trait au climat :  il pleuvrait  trop régulièrement dans nos régions tempérées et l’oxalate serait par conséquent lessivé trop rapidement, avant d’avoir eu le temps d’être transformé en calcaire par les bactéries.
La seconde hypothèse est que la production d’oxalate et de calcaire procurerait un avantage à ces végétaux, étant donné que les sols tropicaux sont le plus souvent très pauvres et acides.


Sources:

(1) : Francesci V. &  Nakata; « Calcium oxalate in plants: formation and function« ; Annual Review of Plant Biology; Vol 56; 2005; pp. 41–71.
(2) : Wikipedia; Oxalate de calcium; 4 mai 2016.
(3) : Francesci V.; Calcium oxalate in plants; Trends in Plant Science; Vol.6 No.7; July 2001.
(4) : E. P. Verrecchia et al.; The oxalate-carbonate pathway in soil carbon storage: The role of fungi and oxalotrophic bacteria; Fungi in Biogeochemical Cycles, Chapter 12, Cambridge University Press; Janvier 2006
(5) : Horner, Wagner; Calcium Oxalate in Biological Systems; CRC Press; 1995; pp. 53–71.
(6) : Nurettin Sahin; Oxalotrophic bacteria; Research in Microbiology; July 2003
(7) : Camille Cruz; Découvrez les arbres sauveurs, capables de transformer le carbone en calcaire; Terraeco; 24 juillet 2014
(8) : Wikipedia; Géographie de la Belgique; 22 février 2016
(9) : Wikipedia; Agriculture tropicale; mai 2015
(10) : Andriampiolazana et al.; Exploration of the oxalate-carbonate pathway for soil fertility and carbon storage; Agroecology for Africa; Antananarivo, Madagascar; Novembre 2014

 

A propos La gazette des plantes

La gazette des plantes, un blog qui part à la découverte des végétaux qui nous entourent en Belgique
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