La Digitale pourpre

Le billet précédent était consacré à la Digitale jaune, une plante typique des sols calcaires. Tournons-nous maintenant vers sa grande sœur, la Digitale pourpre qui pousse elle sur les sols acides.
Tout le monde l’a sans doute déjà croisée, car elle est nettement plus commune que la Digitale jaune. Et nettement plus célèbre également, c’est une véritable star!


Description

La Digitale pourpre

La Digitale pourpre est nettement plus grande que la Digitale jaune : elle peut atteindre 2 m, contre 1 m 20 seulement pour sa petite sœur.

Ses fleurs, comme celles de la Digitale jaune, sont placées en grappes allongées, et elles sont toutes tournées du même côté, vers la lumière.
Les pétales sont soudés, formant un tube plus long que celui de sa petite sœur : 4 à 5 cm contre 2 cm.

En examinant les fleurs de près, nous remarquons d’autres différences.
Les 2 pétales supérieurs de Digitalis lutea (ci-dessous à gauche) sont nettement recourbés vers le haut. L’intérieur de la corolle de Digitalis purpurea (à droite) est en revanche parsemé de taches sombres bordées de blanc.

Digitale jaune

Digitale pourpre


Chez les deux Digitales, la lèvre inférieure de la corolle est garnie de poils glanduleux (qui sont plus visibles chez Digitalis lutea). Ils interdisent l’entrée du tube aux petits insectes. Seuls des pollinisateurs de forte taille et possédant une longue langue (comme les bourdons) peuvent y pénétrer.
Les taches foncées dans la corolle de la Digitale pourpre sont des concentrations d’anthocyanes. Ce seraient des signaux optiques guidant les pollinisateurs jusqu’au nectar situé au fond de la fleur 1. Par la même occasion ils se chargent de pollen qu’ils transporteront sur le pistil d’une autre fleur.

Une capsule

Le fruit est une capsule, un fruit sec comprenant deux valves.  Il s’ouvre à maturité pour libérer de nombreuses petites graines. Celles-ci seront transportées par le vent (anémochorie) ou par les animaux (épizoochorie).


La Digitale pourpre en hiver

La Digitale pourpre est une plante généralement bisannuelle, parfois vivace lorsque l’environnement lui est favorable.
Le premier hiver seule une rosette de feuilles est visible. La hampe florale n’apparaîtra que la deuxième année.

Rosette de feuilles en hiver

Les feuilles sont ovales ou oblongues.  Elles sont crénelées et douces au toucher.

La feuille basale de la Digitale pourpre est vert clair, crénelée, douce au toucher et gaufrée

La face inférieure de la feuille est tomenteuse (couverte de poils mous et cotonneux), ce qui lui donne une couleur grisâtre. Les nervures sont très saillantes.

Revers d’une feuille de Digitale pourpre

En hiver, on pourrait confondre les feuilles de la Digitale pourpre avec celles d’autres espèces, la Grande consoude (Symphytum officinale) notamment. La Grande consoude est une Boraginacée (la famille des Myosotis), dont les feuilles sont parfois utilisées en infusion.
Des décès ont été signalés suite à une méprise entre les feuilles de ces deux plantes (la Digitale pourpre étant très toxique, voir chapitre ci-dessous) 10.
Pour les distinguer, touchez-les :  les feuilles de la Digitale pourpre sont douces, tandis que celles des Consoudes sont rugueuses.

Grande consoude (Symphytum officinale)


Habitat

Les 2 Digitales sœurs se côtoient très rarement. En effet, bien que toutes deux fréquentent les clairières,  les lisières et les bords de chemins forestiers, la Digitale pourpre ne supporte que les sols acides (voir son écologie ci-dessous), tandis que la Digitale jaune pousse surtout sur des sols calcaires.

Ecologie de la Digitale pourpre

Alors que la Digitale jaune est rare et cantonnée à quelques régions, la Digitale pourpre est très commune, comme le montre la carte ci-dessous.

Observations de la Digitale pourpre en Belgique (2012-2017) – © Observations.be

De plus, et contrairement à sa petite sœur, la Digitale pourpre peut être très abondante dans ses stations. En effet, lors d’une coupe forestière ou d’un chablis (un ensemble d’arbres renversés par des vents violents), des centaines, voire des milliers de digitales pourpres peuvent apparaître et demeurer quelques années jusqu’à ce que la forêt reprenne le dessus. Les graines qu’elles auront produites resteront dans le sol en attendant une nouvelle trouée.

Digitales pourpres après une coupe forestière


Toxicité


Toutes les Digitales contiennent une substance appelée digitaline. C’est William Withering (1741-1799), un médecin et botaniste britannique, qui découvrit cette substance en 1785.  A faible dose la digitaline est utilisée aujourd’hui comme médicament afin de soulager les symptômes de l’insuffisance cardiaque. A forte dose, elle est mortelle. Etant donné que la concentration de digitaline dans la plante varie fortement selon la nature du sol, la saison et l’exposition au soleil, la quantité létale, en grammes de feuilles sèches, est impossible à déterminer à priori 2.
Les doses intermédiaires provoquent  des troubles digestifs puis neurologiques et cardiaques. En outre, les principes actifs ne sont pas éliminés rapidement et s’accumulent donc lors d’un traitement prolongé 3.


William Withering (via Wikimedia Commons)

La découverte fortuite de la digitaline

William Withering travaille à l’hôpital général de Birmingham. Au printemps 1775,  il est informé de la guérison quasiment miraculeuse d’un patient atteint d’insuffisance cardiaque. Ce patient, le Dr Cawley, supérieur d’un collège d’Oxford, avait été voir une guérisseuse-herboriste réputée de la région de Stafford, qui lui avait recommandé d’absorber une décoction de plantes. Withering se rend à son tour chez la vieille femme qui lui montre la vingtaine de plantes médicinales qui composent son remède.
Le médecin met en évidence que l’herbe curative est la Digitale pourpre. Il étudie la plante et isole la substance active qu’il nomme digitaline 11.


La concentration en substances toxiques peut être plusieurs fois supérieure chez la Digitale jaune que chez la Digitale pourpre 2.

La Digitale jaune est plus toxique


En tant que poison, la Digitale pourpre connut son heure de gloire au 17e siècle, sous le règne de Louis XIV. Souvenez-vous de la marquise de Brinvilliers, célèbre protagoniste de l’Affaire des poisons, qui l’employa dans le but de résoudre de façon définitive bon nombre de problèmes 8. Il paraît que c’est un poison facile à utiliser, car les feuilles perdent leur odeur en séchant, tandis que leurs propriétés délétères se conservent longtemps dans l’alcool 9.


Premier portrait du Dr Gachet par Van Gogh (1890)

Au 19e s, la Digitale pourpre était couramment prescrite par les thérapeutes pour son action diurétique et sédative, due à la présence de saponines et de flavonoïdes.
Elle fut parfois utilisée pour lutter contre l’épilepsie.

Vincent Van Gogh la choisit comme symbole de la plante médicinale lorsqu’il peignit 2 portraits de son médecin le Dr Gachet, un adepte de la phytothérapie. On peut voir deux branches de Digitale pourpre posées dans un verre au premier plan.

Certains ont suggéré que le Dr Gachet aurait prescrit de la Digitale pourpre à Van Gogh pour tenter de le guérir de sa folie. Une intoxication à la Digitale entraîne effectivement des hallucinations ainsi qu’une coloration de la vision en jaune, caractéristique de nombreuses toiles de l’artiste.  Mais cette hypothèse ne semble pas fondée selon des recherches récentes 4 5 .


Le 20e siècle vit la digitaline refaire la une des journaux, mais cette fois en Belgique. La Veuve noire, alias la Veuve Becker, l’utilisa pour envoyer ad patres onze personnes (un homme et dix femmes) qui lui avaient prêté de l’argent ou qui l’avaient couchée sur leur testament 12.
Cette histoire aurait pu être le sujet d’un roman d’Agatha Christie. La « Reine du crime » utilisa en effet elle aussi la digitaline dans 4 de ses romans policiers 13.


Les gants de Notre Dame

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Bien que la Digitale pourpre soit toxique, elle pouvait aussi être bienveillante pour nos aïeux, qui la surnommèrent du reste Gants de Notre Dame.

Comme le dé protège le doigt de la couturière, elle était censée protéger le foyer, repoussant les forces diaboliques qui auraient tenté d’y pénétrer. Pour cela, il suffisait de quadriller le sol par une préparation savante extraite de la plante 6 7.


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Classification

Dans la classification la plus récente, l’APG IV (2016), les Digitales font partie de la famille des Plantaginacées 13, la famille des Plantains et des Véroniques.

Classification APG IV


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Sources :

1 : Wikipedia; Digitalis purpurea; Juillet 2017
2 : Wikipedia; Digitale; Juin 2017
3 : Philippe Courrière; Digitaline; Encyclopædia Universalis; Juillet 2017
4 : Michel Paris; La digitale pourprée dans les deux portraits du Dr Gachet peints par Van Gogh à Auvers en 1890 : symbole ou signe de son utilisation ?; Revue d’histoire de la pharmacie; 1996; Volume 84; Numéro 312; pp. 503-507
5 : Books of Dante; Van Gogh : digitale, absinthe et saturnisme; Décembre 2008
6 : Books of Dante; La digitale pourpre (Digitalis purpurea); Mars 2016
7 : Erika Laïs & Laurent Terrasson; Editions Rustica; Paris; 2015
8 : Pierre Aldebert; Poisons et venins; Chronique sur RCF; 2009
9 : La Digitale pourpre ou les doigts de l’empoisonneuse; Bota +
10 : I-Lin Wu, Jiun-Hao Yu, Chih-Chuan Lin, et al; Fatal cardiac glycoside poisoning due to mistaking foxglove for comfrey; Clinical Toxicology; Août 2017
11 : Wikipedia; William Withering; Juin 2017
12 : Marc Metdepenningen; La veuve Becker aimait trop sa digitaline; Soirmag; 17 août 2015
13 : Amandine Striebig; Les poisons utilisés dans les romans d’Agatha Christie; pp. 68- 72; Université de Bordeaux 2 – U.F.R des Sciences Pharmaceutiques; Décembre 2014

A propos La gazette des plantes

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Un commentaire pour La Digitale pourpre

  1. Frog dit :

    Merci pour ce bel article qui va de la botanique aux arts et à la littérature ! C’est ainsi que l’amour des plantes mène à une appréhension nouvelle de toutes les contrées de l’expérience.

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