La Gazette vous emmène en Calestienne, une région de Belgique que nombre de touristes visitent pour ses grottes remarquables.
Les botanistes, eux, y vont voir d’autres joyaux : ses pelouses sèches sur calcaire, orientées au sud, qui abritent une flore remarquable. Voici une plante emblématique de cette contrée : la Digitale jaune.
Description
La Digitale jaune se reconnaît aisément grâce à ses fleurs de couleur jaune pâle, placées en grappes denses et allongées.
Les fleurs sont de petits tubes dans lesquels on peut introduire ses doigts, comme dans un gant. Digitale vient d’ailleurs du latin digitus » doigt ».
La floraison a lieu de juin à août.
Les fleurs sont toutes tournées du même côté, et sont accompagnées de petites feuilles qui sont en fait des bractées.
Les 5 pétales sont soudés et forment ainsi un tube de 15 à 20 mm de long.
Au cas où vous voudriez y introduire un doigt, jetez-y d’abord un œil : il pourrait déjà y avoir un autre visiteur, un insecte pollinisateur!
Les 2 pétales supérieurs sont dressés vers le haut. L’intérieur de la corolle est garni de longs poils. Les 4 étamines sont bien apparentes de l’extérieur.
Les feuilles de la tige sont lancéolées, presque glabres et finement dentées (denticulées). Les supérieures sont sessiles. Elles sont disposées de manière alterne.
Habitat
La Digitale jaune est une espèce des lisières forestières, qui pousse surtout sur substrat calcaire.
Il faut comprendre le terme de lisière forestière (ou d’ourlet forestier) dans une acception assez étendue : cela inclut entre autres le bord des routes et des chemins forestiers, la zone de transition entre une clairière et la forêt etc.
Cela s’explique par son écologie : la Digitale jaune préfère en effet les situations moyennement exposées à la lumière (ni l’ombre, ni le plein soleil) et les endroits assez chauds. Elle fuit les sols trop acides.
La carte des observations de la Digitale jaune en Belgique (voir ci-dessous) confirme bien qu’elle est calcicole. Les populations les plus importantes se situent en effet en Calestienne et dans la vallée de la Meuse, en amont de Namur.
En Calestienne on la trouve surtout dans les régions de Couvin (n° 1 sur la carte) et de Rochefort (n° 2).
Une autre population non négligeable s’est installée sur les pelouses et les rochers calcaires de la vallée de la Meuse, de la frontière française jusqu’à Yvoir en amont de Namur (n° 3).
Notez aussi la présence d’une centaine d’individus dans la réserve de Pellenberg, près de Louvain (n° 4), une ancienne décharge réhabilitée en réserve naturelle! Il s’agit de plantes cultivées dans des jardins et qui ont essaimé.
Les plantes calcicoles
Une plante calcicole est une plante qui vit sur les sols riches en calcium et ne supporte pas les terrains acides.
Le sol peut être soit plus ou moins acide (pH < 7), soit plus ou moins basique ou alcalin (pH > 7), soit neutre (pH ≈ 7). C’est la quantité d’ions hydrogène (H+) présents dans la solution du sol qui détermine son acidité : plus il y a de H+, plus le sol est acide et plus le pH est bas.
En revanche, dans un sol basique, les H+ sont remplacés par d’autres ions : calcium (Ca 2+) et magnésium (Mg 2+). Un sol calcaire sera donc normalement basique.
Nous écrivons « normalement », car il faut pour que cela se vérifie que les grains de calcaire soient suffisamment fins pour libérer des ions Ca 2+.
Le pH du sol influence la solubilité des nutriments qui s’y trouvent, mais de manière différente selon les éléments. Or plus un nutriment est soluble, plus il sera facilement assimilé par les racines du végétal.
Dans un sol basique, le magnésium (un constituant de la chlorophylle) est très soluble et donc facilement incorporé dans les plantes.
C’est l’inverse pour le fer : les plantes poussant sur un sol basique souffrent dès lors fréquemment d’une carence en fer.
Classification
La Digitale jaune appartient au genre Digitalis.
Elle a une grande sœur dans nos contrées : la Digitale pourpre (Digitalis purpurea), qui est nettement plus haute, bien plus commune, et qui ne supporte que les sols acides. Il y a donc peu de chances de les voir côte à côte!
La Digitale à grandes fleurs (Digitalis grandiflora), une autre Digitale à fleurs jaunes, n’a plus été observée en Belgique depuis 2008.
Dans la classification la plus récente, l’APG IV (2016), les Digitales font partie du genre Digitalis qui est inclus dans la famille des Plantaginacées 1.
Elles y côtoient les Plantains et les Véroniques (entre autres).
Toxicité
Toutes les Digitales contiennent une substance appelée digitaline.
A faible dose la digitaline est utilisée comme médicament afin de soulager les symptômes de l’insuffisance cardiaque.
A forte dose, elle est mortelle : 40 g de feuilles fraîches ou 10 g de feuilles sèches selon Paul Fournier 2.
Les doses intermédiaires provoquent des troubles digestifs puis neurologiques et cardiaques. En outre, les principes actifs ne sont pas éliminés rapidement et s’accumulent donc lors d’un traitement prolongé 3.
La Calestienne
Puisque la Digitale jaune est emblématique de la Calestienne, brossons maintenant le portrait de cette région belge.
La Calestienne est une bande calcaire étroite, coincée entre la Fagne-Famenne au nord et l’Ardenne au sud.
C’est un ruban (en jaune sur la carte ci-dessous) étroit de 2 à 10 km, qui s’étire du sud-ouest vers le nord-est sur 130 km. L’altitude varie entre 250 et 300 m.
C’est un bourrelet calcaire (Calestienne vient du germanique kalkstein, qui signifie pierre à chaux 4) qui surplombe au nord une dépression creusée dans des schistes (en bleu sur la carte). Cette dépression, dont l’altitude varie entre 150 et 250 m, est appelée Fagne dans sa partie occidentale, et Famenne dans sa partie orientale.
Les schistes résultent de la transformation à l’état solide de roches argileuses, sous l’effet de la pression et/ou de la température, Ce sont des roches contenant des silicates (SiO4)4-. Ils présentent une structure en feuillets parallèles plus ou moins minces et sont très sensibles à l’érosion.
Au sud de la Calestienne, le paysage s’élève vers les hauts plateaux ardennais (en vert sur la carte), une région de sols pauvres (schistes, phyllades, grès et quartzites), acides et imperméables.

Les hauts plateaux ardennais : clairière dans le bois Mignotte près de Vaux-sur-Sûre (500 m d’altitude)
La Calestienne tire donc sa singularité de son sol essentiellement calcaire.
Mais d’où vient ce calcaire?
Le calcaire de la Calestienne remonte au Dévonien moyen (il y a 385 millions d’années) et est d’origine animale.
Prenons notre machine à remonter le temps et admirons la valse lente des plaques tectoniques.
(Plate Tectonic Evolution; Christopher Scotese)
Arrêtons la machine il y a 385 millions d’années. Nous avons atterri au Givétien, une subdivision de la période géologique appelée Dévonien moyen5 6.
Sur la carte suivante, nous constatons que la plupart des terres émergées se trouvent à ce moment dans l’hémisphère sud. Ce qui deviendra la Belgique (le petit point rouge indiqué par la flèche) se situe vers le 30° de latitude sud et remonte doucement vers l’Equateur. Nous connaissons donc un climat tropical.

La Belgique au Dévonien moyen (Cliquez sur la carte pour l’agrandir) (© Plate Tectonics, 540Ma – Modern World – Scotese Animation 022116b)
Zoomons sur ce point (voir carte ci-dessous) : nos régions sont partiellement sous eau et partiellement émergées. La mer passe entre le massif du Brabant au nord et celui de Rocroi au sud. C’est une mer chaude et peu profonde dans laquelle vit une faune aquatique très riche, qui comprend notamment de grands récifs coralliens (semblables à la Grande Barrière de corail actuelle au large de l’Australie).
Tous ces organismes vivent et meurent et leurs squelettes s’accumulent petit à petit au fond de la mer 7.
L’histoire de la Terre se poursuivit : à la suite de mouvements tectoniques, ces squelettes furent ensevelis dans le sol et subirent une forte compression durant une longue période, qui les transforma en roches calcaires.
Il y a 10 à 30 millions d’années de nouveaux mouvements tectoniques remontèrent ce calcaire à la surface dans la bande étroite que nous appelons aujourd’hui Calestienne 8 .
Lorsque ce calcaire affleure sur des pelouses sèches orientées au sud, cela donne naissance à une végétation remarquable.
On y rencontre de nombreuses plantes appréciant les sols secs (xérophiles) et la chaleur (thermophiles).
Remarquable ! Chapeau bas !
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Merci beaucoup!
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Bravo! Très bel article , très documenté .
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Merci Jacques. Cela fait plaisir.
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Superbe région (j’y vis) et superbe explication. Bravo.
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Merci beaucoup Sophie. La Calestienne est en effet une région magnifique, et un paradis pour les botanistes!
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