Ceci n’est pas un trèfle

Nous avons reçu beaucoup de réponses à notre dernière devinette.
Nous vous avions demandé de reconnaître une plante sur la base de trois photos.
Le moment est venu de dévoiler la solution.!


Pour commencer, prenons le cliché montrant la face supérieure d’une feuille. Elle est constituée de trois folioles et ressemble à celle d’un Trèfle.

Est-ce donc un Trèfle ?
Non car chaque foliole a la forme d’un cœur dont la pointe est tournée vers la base.
Les folioles des Trèfles évoquent plutôt des gouttes, comme le montre la photo suivante.

Une feuille du Trèfle fraisier (Trifolium fragiferum)

Vous avez été nombreux à proposer le genre Oxalis. Et vous avez eu raison :  la feuille est bien caractéristique des Oxalis (ou Oxalides).

Notons que les feuilles de la majorité de ces espèces sont trifoliées, mais quelques sortes possèdent plus d’une dizaine de folioles.

Notons aussi que les dictionnaires font d’oxalide un nom féminin mais hésitent entre le masculin et le féminin pour oxalis. 


Pour la suite de l’identification, nous nous baserons sur une clé établie par Ivan Hoste, du Jardin botanique de Meise 1.

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Tournons-nous vers les fleurs : elles sont ici bleuâtres, mais peuvent également prendre des teintes rosées.

Eh oui, les Oxalis peuvent être bleus ou roses. Cela a surpris plusieurs de nos lecteurs.

Cette couleur nous permet d’éliminer les Oxalis les plus communs dans nos régions.

◊ En premier lieu notre seul Oxalis indigène : l’Oxalis petite Oseille ou Surelle (Oxalis acetosella), dont les fleurs blanches veinées de violet égaient les sous-bois au printemps. On les rencontre fréquemment sous les Hêtres.

L’Oxalis petite oseille (Oxalis acetosella)

Oxalis acetosella et Oxalis montana

Une personne nous a proposé l’Oxalis des montagnes (Oxalis montana), une espèce poussant dans l’est de l’Amérique du Nord et ressemblant beaucoup à Oxalis acetosella, avec toutefois des pétales légèrement échancrés.

Le statut de ce taxon n’est pas clair : est-ce vraiment une espèce distincte (Catalogue of Life), ou bien un synonyme d’O. acetosella (Tropicos), ou encore une sous-espèce ?

◊ Nous pouvons aussi écarter les Oxalis à fleurs jaunes, dont celui qui pousse un peu partout dans les jardins et entre les dalles des trottoirs : l’Oxalis corniculé (Oxalis corniculata), le plus souvent prostré et dont les feuilles et les tiges sont généralement brun violacé.

L’Oxalis corniculé (Oxalis corniculata)

La région d’origine de l’Oxalis corniculé est inconnue ; il s’est désormais naturalisé partout dans le monde.


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Récupérons une feuille, et retournons-la afin d’examiner la face inférieure.

Nous n’y voyons aucun point ou trait orange.

Pas de points oranges sur le revers des feuilles

Retourner une feuille et scruter son revers est en effet le bon réflexe à acquérir lorsqu’on tombe sur un Oxalis aux fleurs roses ou pourpres.
Beaucoup de réponses reçues mentionnaient l’Oxalis articulé (O. articulata) ou l’Oxalis chétif (O. debilis), mais ces deux sortes exhibent des points ou des petits traits oranges sur la face inférieure de leurs feuilles. Ces marques peuvent se trouver sur tout le limbe, ou bien seulement le long du bord, et elles peuvent parfois être minuscules. Elles correspondent à des dépôts d’oxalate 5.

Les oxalates

Beaucoup de plantes utilisent une partie du carbone atmosphérique pour fabriquer de l’oxalate de calcium, un sel qui revêt la forme de cristaux.

C’est bien le cas des Oxalis. Leur nom vient du grec oxys,
« acide », et fait référence à la saveur piquante des feuilles due à la présence de ces sels.

L’oxalate de calcium prend souvent chez les plantes l’aspect d’aiguilles (appelées raphides). Elles peuvent occasionner de sérieux dommages aux muqueuses des herbivores qui tenteraient de les manger. C’est donc sans aucun doute un moyen de protection contre les prédateurs.

Des recherches récentes semblent montrer que l’oxalate de calcium possède d’autres fonctions. Il sert par exemple à réguler la quantité de calcium présente dans les tissus végétaux, et pourrait peut-être contrôler l’intensité de la lumière durant la photosynthèse.

Il permettrait également à certaines espèces d’accumuler sans dommage des métaux lourds et toxiques, tels que cadmium, nickel, zinc, etc. dans des sols pollués 6.

La Gazette des Plantes avait déjà parlé des oxalates dans l’article intitulé Des arbres qui nous portent secours.


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Étudions la forme des folioles. Ressemble-t-elle à un triangle inversé, dont le sommet serait presque droit, très peu incisé (feuille A ci-dessous) ? Ou plutôt à un cœur, dont le sommet serait nettement incurvé (feuille B ) ?

La feuille de notre plante mystérieuse

La feuille de notre plante mystérieuse correspond nettement à la proposition B.
Cette feuille est qualifiée d’obcordiforme : elle a le dessin d’un cœur renversé.

Nous pouvons donc exclure l’Oxalis triangulaire (Oxalis triangularis), représenté par la forme A. Les cultivars de cette espèce possèdent en général des feuilles pourpres, mais celles de la sorte sauvage sont vertes.



Il ne reste plus qu’un seul candidat possible : l’Oxalis à larges feuilles (O. latifolia).



Origine et distribution

Oxalis latifolia est originaire des régions tropicales et subtropicales d’Amérique Centrale et d’Amérique du Sud. Il a été introduit en Afrique, en Asie, en Océanie et en Europe, souvent comme plante ornementale, mais parfois pour d’autres motifs.

Il a par exemple été utilisé en tant que couvre-sol sous les caféiers en Ouganda, et pour nourrir les lapins en Inde 2.

Il est à présent classé comme une adventice problématique en Inde, en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Afrique du Sud et en Ouganda, où il prolifère dans des systèmes de culture intensive qui éliminent les autres « mauvaises herbes » concurrentes. C’est notamment le cas des plantations de manioc, de maïs, de riz de montagne, de thé, de canne à sucre, etc.

Il accompagne également subrepticement les plantes en pot vendues par les horticulteurs et les jardineries, ce qui lui permet d’envahir les jardins. Il est alors éliminé et finit dans les déchets, ce qui facilite en fait sa propagation.


Il serait arrivé dans le bassin méditerranéen au début du XXe siècle. En France, il est désormais présent un peu partout, mais surtout dans le sud, l’ouest et en région parisienne.


En Belgique, la première observation d’Oxalis latifolia remonte à 1975. La plante fut trouvée à Baudour, près de Mons, dans un parterre où des fleurs ornementales (des Calcéolaires), achetées sur un marché, avaient été transplantées 3.

Elle est aujourd’hui présente au nord du pays, surtout dans les jardins et les parcs. Sa distribution est sans doute sous-estimée car elle est probablement couramment confondue avec Oxalis debilis, l’Oxalis chétif.


Écologie

Oxalis latifolia préfère les sols relativement secs et basiques, assez riches en nutriments. Il ne supporte pas de longues périodes de gel.


Classification

(La rubrique du professeur Quercus)

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Les Oxalis font partie de la famille des Oxalidacées, une petite famille de plantes dicotylédones qui serait apparue il y a environ 50 millions d’années et qui ne comprend que de 570 à 770 espèces, selon les estimations 4.

Alicia Lourteig
© Creative Commons 1.0

Profitons de l’occasion pour rendre hommage à Alicia Lourteig (1913–2003), une botaniste argentine qui fut la spécialiste mondiale des Oxalidacées durant la seconde moitié du 20e siècle.

Elle s’intéressa également à la taxonomie des Lythracées et des Renonculacées. Elle travailla pour le CNRS à partir de 1955.

Les Oxalidacées sont généralement réparties entre 5 genres, dont un seul est représenté dans nos régions, celui des Oxalis. Constitué de 500 à 700 espèces, c’est de loin le genre prépondérant dans cette famille.

En Belgique, 10 espèces d’Oxalis sont mentionnées.
L’Oxalis petite Oseille (Oxalis acetosella) est le seul qui soit indigène.
Deux sortes exotiques se sont naturalisées et sont désormais bien implantées chez nous : l’Oxalis corniculé (Oxalis corniculata) et l’Oxalis droit (Oxalis stricta).

L’Oxalis droit (Oxalis stricta, anciennement Oxalis fontana)
a un port plus érigé que l’Oxalis corniculé

L’Oxalis chétif (Oxalis debilis) se répand d’année en année ; il a été signalé dans 40 communes (surtout en Flandre) en 2020 et est probablement en passe de se naturaliser. L’Oxalis à larges feuilles (Oxalis latifolia) semble également en expansion ; il est sans doute encore fréquemment confondu avec Oxalis debilis.

Les autres espèces sont généralement cataloguées comme étant des plantes échappées des jardins. Elles méritent cependant d’être suivies, car il est possible que les observations actuelles soient les prémisses d’un futur processus de naturalisation. Il s’agit de l’Oxalis à fleurs nombreuses (Oxalis articulata), l’Oxalis de Dillenius (Oxalis dillenii), l’Oxalis à quatre folioles (Oxalis tetraphylla), Oxalis triangularis et Oxalis valdiviensis.

L’Oxalis de Dillenius (Oxalis dillenii) peut être aisément confondu avec l’Oxalis corniculé.
Remarquez les pédicelles fructifères nettement réfléchis (à droite).

Concernant la France, signalons également l’arrivée de l’Oxalis des Bermudes (Oxalis pes-caprae), originaire – comme son nom ne l’indique pas – d’Afrique du Sud, et qui devient envahissant dans le bassin méditerranéen.

Oxalis pes-caprae en Californie
© Dawn Endico, cc-by-sa-2.0.


Sources :

1 : Ivan Hoste ; Een sleutel voor het genus Oxalis in België, met commentaar bij de waargenomen soorten ; Nationale Plantentuin van België ; Dumortiera 101 ; 2012 ; pp. 9-22

2 : Oxalis latifolia (sorrel) ; CABI ; 21 novembre 2019

3 : F. Buxant ; Deux Oxalis nouveaux pour la flore adventice de la Belgique ; Dumortiera 9 ; pp. 14-16 ; 1978

4 : Stevens, P. F. ; Angiosperm Phylogeny Website : Oxalidales ; Version 14 ; juillet 2017

5 : Guy L. Nesom ; Taxonomic notes on acaulescent Oxalis (Oxalidaceae) in the United States ; Phytologia ; décembre 2009 ; volume 91 ; n° 3 ; pp. 501-526

6 : Prasad & Shivay ; Oxalic Acid/Oxalates in Plants : From Self-Defence to Phytoremediation ; Current Science ; volume 112 ; n° 8 ; pp. 1665-1667 ; avril 2017

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