Selon une étude publiée récemment, les plantes exhibant des fleurs colorées et bien visibles ont plus de chances d’être choisies comme sujets de recherche et de bénéficier d’efforts de conservation ultérieurs, indépendamment de leur importance écologique.
Voici une étude … sur les études. Une équipe internationale a recherché des preuves d’un parti pris esthétique chez les scientifiques. Plaçons d’abord cette enquête dans son contexte.
La cécité botanique
Les plantes dominent la biosphère ; elles représentent environ 80 % de la biomasse sur notre planète 2. Aucun animal ne pourrait vivre sans elles. Ces deux constatations devraient logiquement leur octroyer une place prépondérante dans les efforts déployés pour enrayer la disparition des espèces sous la pression croissante de l’homme.
Et pourtant, il est avéré que les humains ont tendance à ne pas remarquer ni apprécier les plantes dans leur environnement. Ce biais, baptisé « cécité botanique », conduit à moins les respecter et à moins consacrer de ressources à leur étude.
Les explications données à cette déformation font appel à des facteurs perceptifs tels que l’absence de mouvement des plantes et leur tendance à se mélanger visuellement.

Mais les facteurs culturels sont sans doute au moins aussi importants.
Dans la culture occidentale, certainement à partir de Platon, les plantes, dénuées du logos (de la raison), ne furent plus considérées que comme des êtres passifs, de simples ressources pouvant donc être exploitées sans vergogne par les humains. Le christianisme a poursuivi dans cette voie. Plusieurs passages de la Bible dénient même aux plantes le statut d’êtres vivants 1.
Or, cette hiérarchie entre organismes vivants n’est pas une attitude universelle. Bien des peuples autochtones, notamment les sociétés animistes, reconnaissent que les plantes sont apparentées aux êtres humains, les deux ayant une origine commune 3.
Ces peuples considèrent qu’il est nécessaire de les tuer pour vivre, mais que ceci n’empêche pas qu’elles soient des « personnes », qui doivent donc être traitées avec respect.

Un parti pris esthétique chez les scientifiques
Bien qu’ils admettent l’urgence de s’attaquer au travers dont nous venons de parler, mais estimant que cela sort du cadre des sciences végétales, des chercheurs ont souhaité identifier des préjugés plus spécifiques qui pourraient, eux, être traités au sein de la communauté scientifique. L’objectif étant d’en arriver à de meilleures pratiques de recherche 4.
Ce groupe international a analysé 113 espèces végétales présentes dans les Alpes du Sud-Ouest, un haut lieu de la biodiversité mondiale, et mentionnées dans 280 articles scientifiques publiés entre 1975 et 2020.
Le but était de découvrir s’il existe une relation entre les espèces étudiées et des caractéristiques telles que leur couleur, leur forme et leur écologie.
D’une façon surprenante, la rareté des espèces ou leur risque d’extinction ne sont pas apparus comme des facteurs importants dans le choix des sujets.
Pourtant, certaines des espèces endémiques des Alpes du Sud-Ouest sont adaptées à des habitats stressants, caractérisés par une gamme étroite de conditions environnementales, comme les terrains rocheux et les prairies xérophiles. Il paraîtrait donc souhaitable, notamment en ce qui concerne l’étude de l’évolution ou des techniques de conservation, de donner la priorité à ce type de plantes.

© Douchet Quentin CC BY-SA 3.0
En revanche, les résultats ont laissé apparaître une relation significative entre le nombre d’articles publiés et la couleur des fleurs, les fleurs bleues étant les plus étudiées.
Les fleurs blanches et rouges (ou roses) font également l’objet de fréquentes recherches.

© Guy Waterval, Apache License 2.0 via Wikimedia Commons
Ce sont les fleurs brunes ou vertes, celles qui ressortent le moins de l’arrière-plan, qui sont les plus délaissées par les recherches.
Une corrélation entre la hauteur de la tige et le nombre d’études a aussi été découverte.
C’est compréhensible : une tige plus haute rend les espèces visibles de loin. Par surcroît, les inflorescences sont alors facilement accessibles sans que les enquêteurs aient à se plaquer au sol.

Par contre, la taille de la fleur ne semble pas être un facteur prépondérant. Des plantes à petites fleurs peuvent en effet compenser ce handicap grâce à leurs inflorescences bien apparentes. C’est l’effet d’inflorescence.

© Franco Christophe CC BY-SA 2.5
Finalement, les chercheurs ont relevé un lien positif entre la taille de l’aire de distribution d’une plante et le nombre d’études qui lui ont été consacrées.
Cela n’est bien sûr pas étonnant : une plante disposant d’une plus grande répartition géographique est accessible à un plus grand nombre de chercheurs et est donc susceptible d’être plus fréquemment étudiée.
Mais ces espèces sont aussi moins sujettes à un danger d’extinction.

C’est une espèce poussant dans les rochers, que l’on trouve dans tout le massif alpin, ainsi que dans les Rocheuses et en Alaska.
Elle n’est pas menacée de disparition. © Meneerke bloem CC BY-SA 3.0
Pour attirer l’attention des chercheurs, les caractéristiques esthétiques des plantes semblent donc plus importantes que les préoccupations en matière de conservation. Cela n’est pas surprenant en soi, puisque, comme il est rappelé dans cette étude, le grec ancien aisthêtikós signifiait justement « qui est perceptible ».
Mais, bien que ce biais soit compréhensible, les auteurs de l’étude souhaitent que les scientifiques en soient conscients et « le déjouent, étant donné son impact potentiellement négatif sur notre compréhension de l’écologie et de l’évolution des plantes, ainsi que sur la conservation des espèces qui présentent des traits écologiques et des fonctions écosystémiques uniques. »

Les auteurs de cette étude reconnaissent eux-mêmes qu’elle est partiellement biaisée, elle-aussi !
Ils n’y ont inclus que des articles publiés en anglais, tirés d’une seule base de données bibliographiques, le Web of Science.
Ils ont toutefois supposé que ce biais avait été distribué de manière homogène entre les espèces étudiées et était donc peu susceptible d’affecter les résultats obtenus.
Sources :
1 : Matthew Hall ; Passive plants in Christian tradition ; in : Plants as Persons – A Philosophical Botany ; State University of New York Press ; 2011 ; chapitre 3 ↑
2 : Yinon M. Bar-On, Rob Phillips, Ron Milo ; The biomass distribution on Earth ; Proceedings of the National Academy of Sciences ; juin 2018 ; vol. 115 ; n° 25 ↑
3 : « Les peuples autochtones sont – selon une définition – les descendants de ceux qui habitaient dans un pays ou une région géographique à l’époque où des groupes de population de cultures ou d’origines ethniques différentes y sont arrivés et sont devenus par la suite prédominants, par la conquête, l’occupation, la colonisation ou d’autres moyens. » in : Les droits des peuples autochtones ; Haut Commissariat aux droits de l’homme ; Organisation des Nations Unies ; 2004 ↑
4 : Adamo, M., Chialva, M., Calevo, J. et al. ; Plant scientists’ research attention is skewed towards colourful, conspicuous and broadly distributed flowers ; Nature Plants ; n° 7 ; pp. 574–578 ; 2021 ↑