Cherchons l’aiguille

Mais où restent donc Anabelle et Anémone ? Rappelez-vous, Anabelle avait fait des fouilles dans les affaires de son aïeule et avait découvert un vieux document photographique représentant une fleur. Elle vous avait demandé de quelle espèce il s’agissait.


Ah, la voilà…


Quelle famille ?

En chœur vous nous avez répondu que c’était une Apiacée.

Nous n’allons pas vous contredire, l’inflorescence visible en bas à gauche du document est bien une ombelle composée, typique de cette famille.

Les fleurs des Apiacées sont presque toujours regroupées en ombelles terminales. Dans une ombelle, les fleurs sont approximativement placées dans un plan horizontal ou plus ou moins courbé. Elles sont portées par des pédicelles (appelés rayons) partant tous du même point de la tige.

Nous avons restauré, grâce à un logiciel de retouche bien connu, la photo dénichée par Anabelle, pour attester qu’il s’agit bien d’une ombelle.

Les ombelles des Apiacées sont le plus souvent composées. Cela signifie que chaque rayon porte au lieu d’une fleur, une petite ombelle secondaire appelée ombellule. C’est bien le cas ici.

Les ombelles sont tellement caractéristiques des Apiacées que ces dernières portaient auparavant le nom d’Ombellifères (Umbelliferae en latin). Bien qu’Apiaceae soit désormais l’appellation scientifique officielle selon le code de nomenclature botanique (le nom des familles devant se terminer par -aceae), Umbelliferae est toujours autorisé comme nom alternatif conservé.1.


Quelle espèce.?

En effet, selon l’APG.IV, elle est composée de quatre sous-familles regroupant 446.genres et 3.820.espèces.2.
Heureusement, une consultation rapide du site Observations.be nous apprend qu’il n’y a que 107.espèces d’Ombellifères présentes en Belgique.


Comparons donc l’Oenanthe peucedanifolia (ci-dessous) avec notre plante mystérieuse (photo suivante).

Oenanthe peucedanifolia, l’Œnanthe à feuilles de peucédan
© Jean-Claude Calais, CC BY-SA 2.0 fr
La plante mystérieuse

Nous pouvons remarquer que, pour ces deux espèces, les pétales externes des fleurs situées sur le bord des ombellules (flèches bleues) sont nettement plus longs que les autres. Ce premier point est donc positif.


En effet, cigüe est un terme vernaculaire qui peut s’appliquer, dans nos régions, à trois espèces d’Apiacées appartenant chacune à un genre différent.

Avant de les passer en revue, une petite glose orthographique. Depuis les rectifications de 1990, les deux versions ciguë (traditionnelle) et cigüe (rectifiée) sont permises. Nous avons opté pour cigüe qui est plus logique. En effet, le tréma indique normalement que la lettre placée en dessous se prononce. Comme dans Noël, naïf etc., ce qui est bien le cas pour notre cigüe.!


La première espèce est la Grande Cigüe, Conium maculatum.

Elle est qualifiée de grande parce qu’elle peut atteindre une hauteur de 2,5.m. Elle se reconnaît par sa tige totalement glabre et surtout parsemée de taches pourpres ou rougeâtres.

Conium maculatum contient de la conine (ou coniine), de la conicine et d’autres alcaloïdes tout aussi exquis.
La conine et la conicine sont principalement absorbées par voie orale, mais elles peuvent également, bien que plus rarement, pénétrer dans l’organisme par inhalation et par la peau.
Leur action est similaire à celle provoquée par le curare : une paralysie musculaire progressive conduisant à une paralysie des muscles respiratoires, entraînant la mort par manque d’oxygène.19.

Notons que Conium maculatum est considérée comme en recul prononcé sur le site des Plantes protégées et menacées de Wallonie. L’édition la plus récente de la Flore de Belgique mentionne en revanche qu’elle est désormais en forte expansion dans la berme centrale des axes routiers, surtout en Flandre.18. Selon nos propres observations réalisées ces dernières années, cette remarque peut être généralisée à l’ensemble du pays.


Celle-ci dépasse rarement 1.m, est un peu moins toxique et se laisse plus facilement approcher que la grande. Elle pousse dans les champs, les friches, au bord des chemins, et même sur les trottoirs des villes. Ses ombellules sont pourvues de bractéoles pendantes qui lui donnent un aspect barbu.

La Petite Cigüe, Aethusa cynapium, avec ses bractéoles pendantes.

Cicuta virosa (Cigüe vireuse)
Une ombelle de Cicuta virosa peut posséder de 10 à 25.rayons

Vraisemblablement la plus toxique, si l’on se réfère à la promptitude de ses effets.
Son poison diffère de celui de la Grande Cigüe.
Elle utilise la cicutoxine, un violent convulsivant qui perturbe rapidement le fonctionnement du système nerveux central et peut entraîner la mort en 15.minutes.21.

La cicutoxine appartient au même groupe et montre les mêmes effets que l’oenanthotoxine que l’on retrouve dans une autre Apiacée, l’Œnanthe safranée (Oenanthe crocata). La formule moléculaire de ces deux composés est identique, mais agencée dans une structure différente.20.

Oenanthe safranée (Oenanthe crocata)

Qui a tué Socrate.?

Socrate a été condamné à mort par le tribunal d’Athènes en.399 avant notre ère pour ne pas croire aux Dieux reconnus par la Cité et avoir corrompu la jeunesse. Il se soumit à sa peine, en buvant la cigüe.

Son trépas est décrit dans un dialogue de Platon, le Phédon. Phédon d’Élis était un noble capturé par des pirates et vendu comme esclave, qui devint ensuite un élève inséparable de Socrate et assista à la mort de son maître, contrairement à Platon qui était absent ce jour-là.! Ce dernier, dans le livre, fait d’ailleurs dire à Phédon : «.Platon, je crois, était malade.».22.

On lit fréquemment que Socrate fut condamné à boire la cigüe. Ce n’est pas exact. Selon la spécialiste de l’Antiquité Patrizia Birchler Emery, seulement deux sortes de peine capitale sont mentionnées dans les textes classiques.: la précipitation dans un gouffre et l’enchaînement à une planche verticale jusqu’à ce que mort s’ensuive. En ce qui concerne la précipitation, on n’est en outre pas tout à fait certain qu’il s’agissait de la véritable exécution ou plutôt de l’évacuation des cadavres.23.

Selon Patrizia Birchler Emery, les textes du 4e.s. semblent plutôt indiquer que le poison était un «.moyen de se suicider pour échapper à la peine capitale, infamante et entraînant peut-être une privation de sépulture. À part Socrate, ce sont essentiellement des condamnés suite à des procès politiques qui ont eu l’autorisation de se donner la mort. Mais même pour ceux-là, le poison n’était pas garanti. En effet, il fallait pouvoir se le payer et il coûtait cher. On sait que Socrate était pauvre et que la dose mortelle fut achetée par Criton..» Criton était un ami d’enfance de Socrate.

Jacques-Louis David.; La mort de Socrate.; Domaine public

Il faut faire un bond dans le temps avant que quelques auteurs ne mentionnent explicitement la cigüe (kôneion) dans leur récit de la mort de Socrate. Le premier fut Diodore de Sicile, un historien qui vécut au 1er.siècle avant notre ère, soit quand même trois siècles après l’évènement.24.

Premièrement, des extraits d’œuvres antiques confirment que la cigüe était bien utilisée comme poison à Athènes à l’époque de Socrate et au siècle suivant.
Dans la comédie d’Aristophane «.Les grenouilles.» (406-405 av. notre ère), Dionysos demande à Héraclès comment descendre aux enfers par la voie la plus rapide.

(Ἡρακλῆς) ἀλλ᾽ ἔστιν ἀτραπὸς ξύντομος τετριμμένη
ἡ διὰ θυείας.
(Διόνυσος) ἆρα κώνειον λέγεις;
(Ἡρακλῆς) μάλιστά γε.


(Hèraklès) Il y a encore un chemin raccourci et bien battu.:
celui du mortier.
(Dionysos) Tu veux dire la cigüe.?
(Hèraklès) Oui
.25.

Des empoisonnements par la cigüe au temps de Socrate sont aussi rapportés par d’autres auteurs. Xénophon en relate un dans les Helléniques (livre.2, chapitre.3, section.56), passage écrit vers.403-402 av. n. è.
Et Andocide évoque la mort de nombreux citoyens athéniens durant le règne des Trente Tyrans (404-403), également par ingestion de cigüe (Sur la Paix, section.10).

Un deuxième argument en faveur de la Grande Cigüe nous est donné par la géographie.
La Cigüe vireuse (Cicuta virosa) se rencontre principalement en Europe du Nord ou centrale. Elle est rare ou absente de la région méditerranéenne, et son utilisation dans la Grèce ancienne est donc peu probable.

La potion fut peut-être préparée en mélangeant d’autres plantes à la cigüe, comme du pavot. Théophraste mentionne ce cas dans son œuvre Recherche sur les plantes.27.

Terminons en évoquant la confusion taxonomique qui s’installa au fil des siècles entre la Grande Cigüe et la Cigüe aquatique (ou vireuse).

D’abord, les Romains, au lieu de reprendre ou de simplement traduire en latin le nom conféré par les Grecs à la première espèce (kôneion), pratique habituelle pour eux, utilisèrent leur propre mot pour la désigner.: cicuta.
Par la suite, les herboristes médiévaux entrèrent en contact avec les plantes habitant l’Europe centrale et occidentale. Ils durent certainement rencontrer la Cigüe vireuse, mais ne la distinguèrent pas de la Grande et les amalgamèrent sous le même vocable de Cicuta. Il fallut attendre Konrad Gesner, un naturaliste suisse, pour les différencier.
Voyez ci-dessous un extrait de son ouvrage paru en.1561 et intitulé Horti Germaniae. Ce livre inventorie les plantes poussant dans les jardins de l’Allemagne et de la Suisse.

Conrado Gesnero, Horti Germaniae, f..253b, http://www.deutsche-digitale-bibliothek.de

Nous avons entouré en rouge sa description d’une espèce qu’il baptisa «.Cicuta aquatica.». Il ajouta «.herba venenosa, … in paludum marginibus sponte oritur, ut ad lacum Felium agri Tigurini…». Ce qui signifie plus ou moins «.Herbe vénéneuse… poussant librement au bord des marais, et au lac des Chats sur le territoire de Zurich….».
Tigurini est le nom d’un clan, appartenant à la tribu celtique des Helvetii, et les savants du 16e.siècle l’ont ensuite adopté comme vocable néo-latin pour désigner la ville de Zurich. Près de celle-ci existe bel et bien le Lac des Chats (Katzensee).

Remarquez, un peu plus haut sur la même page, la mention de Cicuta vera, la «.vraie Cigüe.».: «.herba gravis & foetidi odoris.», «.herbe à l’odeur forte et fétide….». Ce portrait correspond fidèlement à la Grande Cigüe.28.

Il s’agit ici plutôt des prémisses, des balbutiements de cette nomenclature binominale, d’ailleurs déjà présente bien avant dans les ouvrages de Théophraste et de Pline l’Ancien. Gesner n’attribue en effet pas de binom à chaque espèce qu’il dépeint. Voyez par exemple l’inscription coincée entre Cicuta vera et Cicuta aquatica.: «.Cicutaria, similis cicutae herba, innoxia,….», soit «.Cicutaria, herbe semblable aux cigües, inoffensive,….». Dans ce cas, nous avons affaire à une nomenclature polynominale, qui désigne l’espèce tout en la décrivant.

Si vous désirez en apprendre plus sur l’histoire des nomenclatures botaniques, de la polynominale à la binominale, ne manquez pas de lire notre billet Une introduction à la nomenclature binominale.

Et si vous vous grattez la tête en vous demandant quelle est la plante que Gesner appelait Cicutaria, il s’agit de notre Cerfeuil sauvage, Anthriscus sylvestris (jadis également nommé Chaerofolium silvestre).26.


Examinons les fleurs d’Orlaya grandiflora. Ici aussi, les pétales du pourtour de l’ombelle (1 ci-dessous) sont nettement plus grands que les autres (2), jusqu’à huit fois plus longs. Tout va bien pour le moment.

Orlaya grandiflora sur un chantier à Bruxelles.

Une autre dissemblance est visible lorsque nous regardons les bractées chez Orlaya grandiflora (flèche rouge ci-dessous). Elles sont nombreuses (de trois à huit), assez grandes et bordées d’une membrane blanchâtre.

Rien de pareil chez notre plante inconnue. L’involucre ne comprend qu’une seule bractée qui ressemble à une feuille, sans bord membraneux. En outre, cette bractée est souvent absente.

Involucre de la plante mystérieuse

Bon, prenons une flore pour nous renseigner sur cette espèce. Pour changer, nous utiliserons cette fois Natuur.flora, un excellent guide (en néerlandais) édité par Natuurpunt, une association de protection de la nature active en Flandre.5.

La taille des pétales externes, le nombre de rayons de l’ombelle et la bractée unique, tout correspond bien à la plante énigmatique. Nous devons encore vérifier deux points.: le limbe et le bec du fruit.

Le limbe doit être deux à trois fois penné, selon la flore.
Rappelons d’abord la définition d’une feuille pennée.

Une feuille pennée est divisée en plusieurs petites parties appelées folioles. Celles-ci s’alignent des deux côtés de la nervure principale, comme les barbes d’une plume.

Voici une feuille de la plante inconnue.

Sa structure paraît complexe, parons-la donc de quelques couleurs afin de mieux la comprendre. Sur la photo ci-dessous, nous avons souligné en rouge sa nervure principale (1).
De chaque côté de cette nervure sont disposées les folioles.: nous avons teint en bleu (2) la nervure principale d’une foliole. Nous distinguons des petites folioles (des foliolules) de part et d’autre. Les nervures principales de ces foliolules sont représentées en rose (3). Ces foliolules peuvent elles-mêmes être scindées en segments encore plus courts, dont les nervures ont été peintes en jaunes (4).

En résumé, les feuilles sont de 2 à 4.fois pennées.

C’est le cas, entre autres, des espèces qui ont été proposées par plusieurs lecteurs.: Orlaya grandiflora, Conium maculatum, Cicuta virosa, Oenanthe peucedanifolia.

Feuille d’Orlaya grandiflora

La dernière condition relevée dans Natuur.flora a trait au fruit, et plus particulièrement à la longueur du bec qui le surmonte. Cet élément n’était pas visible dans la photographie dégotée par Anabelle.

Il n’y a en effet plus de doute possible dès le début de la fructification. Voyez plutôt.:

Chaque fruit se termine par un très long bec qui s’accroche à la fourrure des mammifères, favorisant ainsi la dispersion des graines. Il peut atteindre 7.cm.

Nous avons souligné en rouge les points les plus importants.: l’ombelle à 3.rayons (au maximum), une seule bractée et surtout la longueur du bec coiffant le fruit.


Excusez-nous pour ce léger contretemps.

Afin de vous faire patienter, attardons-nous d’abord sur les nombreux noms vernaculaires qui ont été attribués à cette espèce.


Un berger, un mendiant, un diable et une déesse…

Nous trouvons en français l’Aiguille du berger, l’Aiguillette, le Cerfeuil à aiguilles, la Grand dent, la Fourchette, le Peigne de Vénus.6.

Les Anglais l’appellent Adam’s needle (l’Aiguille d’Adam), Beggar’s needle (l’Aiguille du mendiant), Clock needle (l’Aiguille de l’horloge), Crow needle (l’Aiguille du corbeau), Stork’s needle (l’Aiguille de la cigogne), Devil’s needle (l’Aiguille du diable), Puck needle (Puck désigne une sorte de farfadet du folklore celtique), Witches’ needle (l’Aiguille de la sorcière), Old woman’s needle (l’Aiguille de la vieille femme), Sheperd’s needle (l’Aiguille du berger), Tailor’s needle (l’Aiguille du tailleur), Venus’ needle (l’Aiguille de Vénus), Venus’ comb (le Peigne de Vénus).7.

Pour les Allemands, c’est Venuskamm (Peigne de Vénus) ou bien Nadelkerbel (le Cerfeuil à aiguilles) et les Italiens parlent de Pettine di Venere ou Acicula comune (Petite aiguille commune), etc.

Laissons le raton laveur à Prévert et joignons plutôt à cette liste l’épithète du nom scientifique, pecten-veneris, qui signifie (vous ne vous en seriez pas douté), Peigne de Vénus.

Une petite apostille en passant.: le nom du genre, Scandix, serait vraisemblablement d’origine pré-grecque.16. L’une de ses premières apparitions se retrouve dans une comédie d’Aristophane (encore lui.!), Les Acharniens, probablement pour désigner le Cerfeuil sauvage (Anthriscus sylvestris).17.

Leur point commun est l’évocation d’une aiguille ou d’une dent (d’un peigne ou d’une fourchette), suscitée bien entendu par la forme du fruit.

Un peigne ?

Bref. Continuons. À ce premier élément vient, dans la plupart des cas, s’en ajouter un second, comme le mendiant ou le diable. Ces paires peuvent être regroupées en trois grands ensembles.: les couples évidents, ceux qui suggèrent la vie paysanne, et ceux qui invoquent le surnaturel.

Commençons par les couples évidents. Associer l’aiguille avec une horloge ou un tailleur semble aller de soi.
Nous pouvons de même facilement placer dans une deuxième collection tous les termes évoquant la vie simple dans les campagnes des temps passés. Adam, le mendiant, le corbeau et le berger en font partie.

Temple de Déméter, daté de la première moitié du IVe siècle avant notre ère, Lepreon, Grèce
© Carole Raddato – cc-by-sa-2.0.

Les croyances religieuses des peuples sans écriture du Néolithique nous sont inconnues. Mais il est vraisemblable que les graines et les moissons aient été associées très tôt à une divinité, peut-être dès les premières tentatives de semailles et de collectes de plantes utiles à l’alimentation.8.

Ce n’est qu’au troisième millénaire avant notre ère que les écrits sumériens révèlent avec certitude l’existence d’un dieu de l’agriculture, Enkimdu. Ce rôle sera repris dans la religion grecque antique par Déméter.

Le lien ne sera pas rompu à l’ère chrétienne, la divinité étant alors remplacée par la Vierge Marie. On assistera à un retour de balancier sous l’influence de la Réforme et du Puritanisme, Vénus se substituant souvent à la Vierge.9.

Le Peigne de Vénus n’est pas la seule plante faisant référence à la déesse de l’amour. Citons le Nombril de Vénus (Umbilicus rupestris, une Crassulacée), l’Attrape-Mouche de Vénus (Dionaea muscipula, une espèce carnivore) ou bien le Miroir de Vénus (Legousia speculum-veneris, une Campanulacée). Cette dernière fréquente les mêmes milieux que le Peigne de Vénus.

Les pétales du Miroir de vénus sont terminés par une petite pointe, un mucron (flèche blanche).

Lorsque les céréales ondulent sous l’effet du vent, elles semblent comme parcourues par un frisson. Les populations préindustrielles y voyaient la trace d’une créature imaginaire courant à travers le champ.11. Cet être surnaturel était souvent évoqué sous une forme animale (oie, caille, renard, loup, lièvre, cheval, chien, etc.) Selon les résultats des récoltes ou les événements qui altéraient la vie des paysans, il pouvait revêtir une essence maléfique ou bénéfique.

Une fois dans les champs, on ne les quittait plus pendant tout le reste de la promenade qu’on faisait du côté de Méséglise. Ils étaient perpétuellement parcourus, comme par un chemineau invisible, par le vent qui était pour moi le génie particulier de Combray.10.


Habitat et distribution

Sa répartition est centrée sur la Méditerranée et s’étend au nord jusqu’à la Baltique, à l’ouest jusqu’à l’Irlande et à l’est jusqu’en Asie centrale. Cette espèce a été introduite en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique du Nord et du Sud et en Australasie.

En Belgique, on l’observe surtout au nord du pays, là où les sols sont plus riches. Mais elle est en forte régression.

Autrefois commune dans les champs de France, elle se raréfie aujourd’hui dans le nord. Elle est encore abondante en région méditerranéenne.



Le Caucalidion : les voisins du Peigne de Vénus

Rappelons d’abord que la phytosociologie est la discipline qui étudie les groupements végétaux et leur relation avec le milieu. Ces groupements sont hiérarchisés en plusieurs niveaux.: classes, ordres, alliances, associations, de la même manière que les plantes sont groupées en classes, ordres, familles, genres et espèces.

Ces plantes accompagnent les champs cultivés depuis l’âge du bronze pour certaines ou depuis l’époque médiévale pour d’autres, suivant l’évolution des pratiques agricoles.

Les textes publiés par les botanistes des 18e et 19e.siècles soulignent leur abondance à cette époque. Des relevés datant des années.1950 à 1970 nous apprennent que les valeurs de recouvrement du sol par les adventices atteignaient en moyenne entre 35 à plus de 40.%, soit à peine moins que celles des plantes cultivées.15.
Aujourd’hui, beaucoup de ces espèces sont hélas devenues rares à très rares en raison de l’utilisation massive des herbicides et des engrais minéraux, ainsi que par la densification des semis.

Nous vous avons déjà présenté ci-dessus deux espèces appartenant à cette alliance.: le Miroir de Vénus (Legousia speculum-veneris) et Orlaya grandiflora, une Apiacée tout comme Scandix pecten-veneris.
En voici quelques autres.12.

Commençons par la Renoncule des champs (Ranunculus arvensis).

En Belgique, la Renoncule des champs est devenue très rare. En Flandre, on la retrouve parfois mélangée aux semences de céréales ou de Brassicacées. En Wallonie, elle subsiste encore à l’état naturel dans quelques champs calcaires. Elle est aisément reconnaissable grâce à ses feuilles découpées en lanières étroites.

Une Renoncule des champs entourée de Scandix pecten-veneris à Nederokkerzeel (Brabant flamand)

Legousia hybrida, la petite Spéculaire qui appartient à la famille des Campanulacées, figure parmi les autres espèces du Caucalidion ayant fortement régressé dans nos régions. Sa corolle violette est plus courte que les sépales.

Petite Spéculaire (Legousia hybrida) au pré Mouchon à Rochefort (province de Namur).

On pensait jusqu’à récemment que le grand Polycnème (Polycnemum majus) avait disparu de la Belgique. Des botanistes l’ont toutefois retrouvé en 2019, en se basant sur un herbier de 1866. L’étiquette du spécimen était suffisamment détaillée pour que l’on puisse localiser le site qui n’avait presque pas changé depuis plus de 150.ans.13.

Le grand Polycnème (Polycnemum majus), une Amaranthacée qui fait partie du Caucalidion.

La Shérardie des champs (Sherardia arvensis) est aussi une plante commensale des moissons. Contrairement au grand Polycnème, elle ne risque pas de disparaître puisqu’on la rencontre désormais principalement sur les trottoirs des centres urbains. Nous vous en avions parlé dans cet article.: La rubéole arrive en ville.

La Shérardie des champs (Sherardia arvensis), une Rubiacée qui a envahi les villes.

Après avoir montré les voisins du Peigne de Vénus, nous avons demandé au Professeur Quercus de nous parler de sa famille (du Peigne, pas du Professeur.!).


Pour terminer en beauté, la citation du jour :

[Cette citation est le titre d’une chaîne présente sur Youtube.: Crime Pays But Botany Doesn’t]


Sources :

1Appendix iib – conserved and rejected names of families of bryophytes and spermatophytes.; Shenzhen Code.

2 : Stevens, P. F..; Apiaceae.; Angiosperm Phylogeny Website.; Version 14.; 10/4/2024.

3 : Verloove F. et al..; Nouvelle Flore de la Belgique, du Grand-Duché de Luxembourg, du Nord de la France et des Régions voisines.; 7e édition.; p..859.; Jardin botanique de Meise.; 2024.

4 : Verloove F. et al..; Nouvelle Flore de la Belgique, du Grand-Duché de Luxembourg, du Nord de la France et des Régions voisines.; 7e édition.; p..859.; Jardin botanique de Meise.; 2024.

5 : Vermeulen H..; Natuur.flora.; Natuurpunt.; 2020.; p..597.

6 : Lonchamp J.-P..; Scandix pecten veneris L..; INRA.; 2000.

7 : James Britten, Robert Holland.; A Dictionary of English Plant-names.; for the English dialect Society, Trübner & Company.; 1878.

8 : Davidson, Hilda Ellis.; Roles of the Northern Goddess.; Taylor & Francis.; 2001.; p..89.

9 : Davidson, Hilda Ellis.; Roles of the Northern Goddess.; Taylor & Francis.; 2001.; pp..248-250.

10 : Proust, Marcel.; A la recherche du temps perdu.; Du Côté de Chez Swann.

11 : Davidson, Hilda Ellis.; Roles of the Northern Goddess.; Taylor & Francis.; 2001.; p..116.

12 : Erwin Bergmeier et al..; Ackerwildkraut-Vegetation der Kalkäcker (Caucalidion): Pflanzengesellschaft des Jahres 2022.; Tuexenia.; n°.41.; pp..327-329.

13 : A. Jacobs & S. Jacobs.; Rediscovery of Polycnemum majus (Amaranthaceae) in Belgium due to a 152 year old herbarium specimen.; Dumortiera.; n°.114.; pp..3-7.

14 : FloraVeg.EU.; Caucalidion.; page consultée le 1.août.2024.

15 : Erwin Bergmeier et al..; Ackerwildkraut-Vegetation der Kalkäcker (Caucalidion): Pflanzengesellschaft des Jahres 2022.; Tuexenia.; n°.41.; p..300.

16 : Beekes, Robert.; Etymological Dictionary of Greek.; Leiden Indo-European Etymological Dictionary Series.; n°.10.; Brill.; 2010.

17 : Liddell & Scot.; σκάνδιξ.; A Greek-English Lexicon.; Clarendon Press.; 1940.

18 : Verloove F. et al..; Nouvelle Flore de la Belgique, du Grand-Duché de Luxembourg, du Nord de la France et des Régions voisines.; 7e édition.; p..850.; Jardin botanique de Meise.; 2024.

19 : J. Higa de Landoni.; Conium maculatum L..; INCHEM.; page consultée le 2/1/2025.

20 : Edward W. Cetaruk.; Water Hemlock Poisoning.; in Critical Care Toxicology.; Springer.; 12/10/2016.

21 : Water hemlock (Cicuta douglasii).; Agricultural Research Service.; U.S. Department of Agriculture.; 18/10/2024.

22 : Jacques Darriulat.; Commentaire du Phédon.; page consultée le 5/1/2025.

23 : Patrizia Birchler Emery.; La condamnation à mort de Socrate: la ciguë, vraiment?.; Cours public du Département des sciences de l’Antiquité 2015.; Université de Genève.; août 2015.

24 : Diodorus Siculus.; Bibliothèque historique, livre.XIV, chapitre.37, section.7.; Perseus Digital Library.; page consultée le 9/1/2025.

25 : Aristophane.; Les grenouilles (texte bilingue).; vers.100-140.; Bibliothèque historique, livre.XIV, chapitre.37, section.7.; Hodoi Elektronikai.; Université Catholique de Louvain.

26 : K. Wein.; Deutschlands Gartenpflanzen um die Mitte des 16. Jahrhunderts (PDF).; Botanisches Centralblatt.; Volume.31; n°.2.; 1914.; p..478.

27 : Theophrastus.; Recherche sur les plantes, livre.IX, chapitre.XVI,.paragraphe.8.; disponible en anglais sur Internet Archive.

28 : K. Wein.; Deutschlands Gartenpflanzen um die Mitte des 16. Jahrhunderts (PDF).; Botanisches Centralblatt.; Volume.31; n°.2.; 1914.; p..501.

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4 Responses to Cherchons l’aiguille

  1. rosemarievassallo dit :

    Merci, Anabelle et Anémone ! Reposez-vous un brin, puis revenez-nous vite.

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  2. rosemarievassallo dit :

    Selon une « Histoire des Plantes » (M. DCC. LIII), le fameux peigne serait… un « peigne à carder du lin ». Vénus avait donc des cheveux de lin.

    Il est précisé que ce Peigne de Vénus « croît dans les bons & gras terroirs ».

    Incidemment, dans le même ouvrage, Cicutaria renvoie à « Myrrhis Major » (clairement Myrrhis odorata), alias « cicutaire » et « persil d’âne », ainsi qu’au seseli, « Cicutaria latifolia fœtida« , alias « Seseli Peloponense ».

    Merci encore pour le démêlage. (Sacrées ombellifères !)

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  3. foxquickly553d2e2cad dit :

    J’aime beaucoup votre démarche pédagogique. Merci car vous avez soigné cet article qui a dû vous prendre des heures en rédaction ! C’est inspirant et utile.

    Murielle Lefebvre

    http://www.montessori.fr est sur le net depuis 1995 Association AMIS https://www.youtube.com/channel/UCLzX_5t2az5ok8sWa3v34aA https://www.helloasso.com/associations/association-montessori-internationale-de-savoie/boutiques/achat-du-livre-montessori-aux-usa https://www.facebook.com/ToutMontessori

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  4. ChouetteRevoilaLaGazette dit :

    On est bien contents de vous retrouver ! Merci pour cet article et à bientôt !

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