Le lierre est l’une des rares plantes de nos régions à garder son feuillage en hiver. Il a fleuri en automne et commence maintenant sa fructification. C’est donc le bon moment pour en parler, d’autant plus que le lierre est une plante vraiment très spéciale!
Une plante relique
Ce n’est pas un scoop : si vous vous promenez en forêt ou dans les parcs, vous avez constaté que presque tous nos arbres ont perdu leurs feuilles, à l’exception des conifères bien entendu. Et pourtant, le vert n’a pas entièrement disparu de nos bois. Il y a le houx évidemment, mais aussi le lierre.
Pourquoi le lierre a-t-il gardé ses feuilles? C’est une longue histoire, une très longue histoire même. Le lierre serait apparu sur notre Terre il y a plus de 100 millions d’années, au moment où les dinosaures dominaient la faune. Le climat était nettement plus chaud qu’aujourd’hui.
Les plantes de cette époque n’avaient donc pas besoin d’un agenda. Elles pouvaient pratiquer la photosynthèse et garder leurs feuilles toute l’année, comme c’est encore le cas actuellement dans les forêts tropicales.
Le climat a bien changé depuis, et les plantes de nos régions ont évolué pour s’adapter à un climat plus rigoureux.
Mais certaines, des plantes reliques comme le lierre et aussi le houx, ont conservé de ces temps immémoriaux un cycle végétatif décalé par rapport à nos saisons.
Cela leur procure des avantages : par exemple un accès plus aisé à la lumière en hiver, puisque les autres arbres ont perdu leurs feuilles. Mais il y a également des inconvénients, comme une plus grande sensibilité au froid.
Une plante qui grimpe, qui grimpe…
Le lierre est une liane : c’est-à-dire une plante grimpante à tige ligneuse qui utilise un autre support (un arbre, un mur ou un poteau) pour grimper vers la lumière. C’est un autre signe que le lierre était à l’origine une plante tropicale. Les lianes sont effet surtout répandues dans les forêts tropicales humides.
On trouve dans nos régions deux autres lianes : la clématite des haies et le chèvrefeuille. D’autres plantes grimpantes s’y rencontrent aussi, mais elles ne sont pas ligneuses, ce sont des herbacées. C’est le cas du houblon ou de la bryone par exemple.
Lierre, ami ou ennemi ?
Le lierre était jadis considéré comme un ennemi par les jardiniers ou les forestiers. On croyait alors qu’il parasitait les arbres, ou bien qu’il les étouffait et endommageait les vieux murs.
Il n’en est rien. Lorsque le lierre grimpe à un tuteur afin de trouver la lumière, il produit le long de ses rameaux des petites ventouses qui lui permettent de s’agripper à son support. Ce sont des poils modifiés qui n’ont aucune fonction absorbante et ne parasitent donc pas leur hôte. D’ailleurs, comment expliquer dans le cas inverse que le lierre grimpe volontiers le long de poteaux en béton?
Ces ventouses ne se développent que sur la face à l’ombre de la tige, c’est-à-dire la face en contact avec le support.
Rien à voir donc avec le gui, qui est lui une plante hémiparasite.
Hémiparasite signifie qu’il pratique la photosynthèse pour fabriquer ses sucres, mais qu’il prélève aussi, grâce à des suçoirs, de la sève brute (eau et sels minéraux) de l’arbre hôte.
Revenons à nos lierres : des études scientifiques ont montré que loin d’étouffer les arbres, leur présence augmenterait la croissance de ces derniers! C’est assez logique en fin de compte : le lierre grimpant pour trouver la lumière, il va pousser l’arbre à grandir plus vite pour conserver son propre accès aux photons lumineux. Son feuillage va alors priver la liane d’une partie de l’ensoleillement et va donc limiter sa photosynthèse et par conséquent sa croissance. Un équilibre subtil s’installe alors.
Cet équilibre ne sera rompu que si l’arbre est affaibli (par l’âge ou la maladie) : son feuillage sera alors moins dense, et la photosynthèse du lierre en sera par conséquent améliorée. Il croîtra donc plus vite, et pourra dans ce cas submerger l’arbre. Mais en réalité cela n’aura fait qu’accélérer son déclin.
Loin d’être néfaste pour son support, le lierre joue le rôle de climatiseur naturel. La couche d’air circulant entre le tronc de l’arbre et les feuilles serrées du lierre atténuera à la fois les trop grandes chaleurs en été et les trop grand froids en hiver.
Ceci vaut également pour les murs qu’il recouvre, qu’ils soient jeunes ou en ruines. En outre, il met ceux-ci à l’abri des pluies, souvent acides et donc agressives en raison de la pollution. Il protège les pierres du gel qui pourrait les faire éclater si elles étaient gorgées d’eau, et en pompant l’humidité du sol pour ses propres besoins, il évitera que les fondations ne soient sapées.
Ses crampons ne sont pas nocifs sauf si le crépi est en mauvais état ou humide. Dans ce cas il pourrait en effet planter de vraies racines dans les interstices entre les pierres. Il faut aussi éviter qu’il atteigne le toit, car il pourrait alors soulever les tuiles.
Ajoutons qu’en laissant le lierre recouvrir nos murs, nous minimiserions ainsi la pollution autour de nous. Il aurait en effet la capacité de fixer le dioxyde d’azote, les particules fines et le benzène.
Sources :
– Alan Cathersides and Heather Viles, Ivy on walls (document PDF), English Heritage, Mai 2010
– Carnicactus, Plantes et santé !, Novembre 2015
Le lierre, une aubaine pour la diversité
L’hôtel climatisé du lierre abrite en toute saison une faune très diverse. Nombre de petits oiseaux comme les moineaux, les troglodytes, les merles, les rouges-gorges ou les accenteurs aiment y édifier leur nid.
Mais ils ne sont pas les seuls occupants. De petits mammifères, comme les musaraignes, loirs ou lérots, occupent souvent les chambres du rez-de-chaussée. Aux étages supérieurs on pourra rencontrer un écureuil.
Les insectes sont présents en nombre à tous les étages et en toutes saisons. Plusieurs espèces de papillons notamment, dont le Citron.
Le tout pour eux est d’éviter de servir de plat du jour aux oiseaux. Pour cela le Citron en se posant referme simplement ses ailes; ses couleurs chaudes disparaissent et il ressemble dès lors à une vieille feuille de lierre! Il peut dès lors hiberner en paix.
Source : Le Lierre, une plante de saison(s), L’Érable, 4e trim. 2015, Cercle des Naturalistes de Belgique
Le lierre, hétérophylle
Le lierre est une plante hétérophylle, et ceci n’a absolument rien à voir avec ses préférences sexuelles. Cela signifie simplement qu’il possède deux types de feuilles (du grec ancien heteros « autre » et phúllon) « feuille ».
Les feuilles des rameaux stériles (sans fleurs), qu’ils soient rampant ou grimpant, sont ordinairement divisées en 3 à 5 lobes. La disposition des nervures (la nervation) est palmée : les nervures principales partent toutes du même point, là où la feuille se rattache au pétiole.
Ces formes à 3 ou 5 lobes auraient pour but d’augmenter la surface foliaire, et donc de capter plus de lumière dans les zones à l’ombre. Les botanistes les appellent les feuilles juvéniles.
Elles doivent leur aspect brillant à une couche de cutine, une cire imperméable qui recouvre leurs deux faces.
Le lierre pousse pratiquement partout, que ce soit à l’ombre ou au soleil. Mais pour fleurir et puis fructifier, il a besoin de suffisamment de lumière. S’il atteint celle-ci, les rameaux, dits de lumière, porteront des feuilles différentes : elles n’auront pas de lobes, et seront ovales ou losangiques. Cette forme laisse passer plus de lumière et permet donc aux insectes pollinisateurs (les abeilles) de trouver aisément les fleurs.
Chose insolite mais pas unique dans le monde végétal : les rameaux fertiles ont un nombre double de chromosomes par rapport aux infertiles.
Source : Lierre grimpant, Ecotourisme en Gironde, 2012
Les feuilles du lierre persistent en hiver, mais elles ne sont cependant pas éternelles. Elles finissent par tomber les unes après les autres, après 3 ou 4 ans, mais cela ne se remarque pas car la plante ne se dégarnit pas entièrement.
Du bon usage des feuilles
Les feuilles de lierre étaient souvent utilisées (en infusion, en comprimés ou en gouttes alcoolisées notamment) pour soigner les troubles respiratoires, en particulier la bronchite chronique.
Mais les usages internes sont de plus en plus abandonnés. Des études ont montré en effet que des infusions répétées pouvaient provoquer à long terme des cirrhoses hépatiques.
Aujourd’hui, ce sont les applications externes des feuilles qui sont privilégiées, par exemple des compresses à partir de décoction.
Elles sont notamment à la base de beaucoup de pommades anticellulitiques, et agissent contre les vergetures et les crevasses.
Elles sont indiquées dans le traitement des ulcères, des plaies et des brûlures.
Elles sont aussi réputées comme étant un excellent remède contre les douleurs rhumatismales, les névralgies, les migraines, le lumbago et la sciatique.
Attention cependant : leur contact peut déclencher des allergies. Les risques de réactions augmentent en cas d’usage répété.
Cela n’empêchait pas nos aïeules d’employer des décoctions de feuilles de lierre afin de laver le linge délicat.
Sources:
– Debuigne et Couplan, Le Petit Larousse des plantes qui guérissent, 2013
– Lieutaghi Pierre, Le livre des arbres, arbustes et arbrisseaux, Actes Sud, 2004
– Bertrand Bernard, Au royaume secret du lierre, Editions de Terran, 2009
– Phytovox, Lierre grimpant « Hedera helix » : usage médicinal, Octobre 2008
Les sons envoûtants du lierre
Nos aïeux utilisaient parfois des feuilles de lierre comme appeau. Pour cela, il faut faire un trou rond dans la feuille, puis la plier en deux dans sa longueur.
Les plus doués parvenaient même à jouer, après des mois d’un travail forcené, des mélodies superbes. Un exemple étonnant dans cette vidéo :
Une plante qui vit à contre-courant
Le lierre commence à produire de nouveaux rameaux en avril. Rien d’étonnant jusque-là. Mais une seconde pousse débute à la fin de l’été et dure tout l’automne. C’est seulement à ce moment qu’apparaissent les fleurs, sur les rameaux situés en pleine lumière.
Cette floraison tardive a l’avantage, du point de vue du lierre, d’éviter que les insectes pollinisateurs (essentiellement des abeilles) ne soient distraits par les fleurs des plantes qui lui servent de support.
Les petites fleurs sont rassemblées par groupes de 10 à 15 en ombelles sphériques simples : tous les pédicelles partent du même point.
Les fleurs sont petites et de couleur vert-jaunâtre. Si vous agrandissez la photo ci-dessous, vous verrez que chaque petite fleur montre 5 pétales réfléchis (recourbés vers le bas), et 5 étamines dressées.
Au centre de chaque fleur, le réceptacle floral est jaune et bombé et porte de nombreuses glandes nectarifères. Une aubaine pour les différentes espèces d’abeilles qui vont utiliser ce nectar afin de constituer des réserves pour la colonie en vue de passer la mauvaise saison. C’est pour cette raison que les apiculteurs n’extraient et ne vendent que très rarement le miel de lierre. Il paraît d’ailleurs que celui-ci n’est pas fameux, du moins pour nos papilles (*).
* Silberfeld Thomas, Le lierre grimpant (document PDF), Abeilles & Fleurs N° 731, Octobre 2011
Sur la photo ci-dessous, l’ombelle de gauche porte des fleurs en fin de floraison : les étamines sont tombées; au centre subsiste le pistil.
Puisque la floraison n’a lieu qu’en automne, la fructification ne commence qu’en hiver. Les fruits sont d’abord vert clair puis bruns.
Ils sont cerclés au sommet par les vestiges du calice et du style.
Arrivés à maturité (à la fin de l’hiver et au début du printemps), ils acquerront une belle couleur noire. A un moment où les ressources seront très rares, ils tomberont à pic pour une foule de passereaux.
Attention cependant : les fruits sont toxiques pour les mammifères, et en particulier pour les êtres humains. Ils contiennent de la saponine qui détruit les globules rouges.
Par contre, ils étaient utilisés dans l’Antiquité pour garder aux cheveux leur couleur noire.
Histoire et légendes
Demeurant toujours vert, il n’est pas étonnant que le lierre soit devenu le symbole de l’éternité. Il est par exemple utilisé dans la confection des couronnes mortuaires.
Éternité et gloire vont souvent ensemble : dans la Grèce antique, les poètes grecs et les athlètes les plus méritants étaient ceints d’une couronne de lierre. Mais il s’agissait dans ce cas d’une autre espèce, aux baies jaunes, appelée le Lierre des poètes (Hedera poetarum).
L’autre attribut du lierre, image de l’attachement en amour ou amitié, est tout aussi facile à comprendre quand on le voit grimper en entourant un arbre. Cela se traduit par l’expression populaire : « Je m’attache ou je meurs! ». Rappelons ici que son nom scientifique est Hedera helix. Hedera vient du verbe latin haerere qui signifiait s’attacher; et helix voulait dire enlacer en spirale.
Durant la Préhistoire, il était indispensable de se déplacer avec une planchette en lierre. Il brûle bien, même vert. Nos ancêtres l’employaient donc pour allumer un feu par friction. Après avoir creusé un trou conique dans la planchette, ils faisaient tourner rapidement un bâton de pin. Les deux pièces de bois s’échauffaient et ils mettaient du foin sec dès que les premières étincelles apparaissaient.
A Rome, le lierre avait la réputation de guérir les maux de tête dus à l’ivresse. Les Romains trouvaient que le lierre imite en quelque sorte une vigne stérile avec ses tiges grimpantes et ses grappes de fruits noirs. Ils prirent donc bien vite l’habitude de se coiffer d’une couronne de lierre lors de leurs banquets.
Le lierre faisait partie des treize arbres sacrés dans la mythologie celte. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que le mois du lierre correspondait grosso modo à notre mois d’octobre. C’est en effet la période de sa floraison.
Le lierre résista mieux que d’autres plantes sacrées à l’avènement du christianisme, puisqu’on le retrouve abondamment dans les enluminures du Moyen Age.
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Quel article complet, bravo !
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