La guerre chimique chez les plantes

Piloselle

Les végétaux peuvent collaborer entre eux, mais ils peuvent également se livrer une lutte sans merci. Comme les animaux d’ailleurs. Voici l’exemple de la Piloselle, une plante « asociale » qui élimine ses concurrents grâce à des armes chimiques. Cela s’appelle l’allélopathie.

L’allélopathie, c’est l’ensemble des interactions biochimiques d’une plante sur une autre. Allélopathie vient du grec ancien allêlôn (« l’un l’autre ») et -pathie (suffixe employé pour désigner des attitudes ou des maladies).
Ces interactions peuvent être soit positives soit négatives, comme dans le cas de la Piloselle.

La Piloselle (Pilosella officinarum)

Un cimetière au sud-ouest de Bruxelles : le Verrewinkel, un espace vert géré depuis quelques années de manière durable. Dans une partie en friche, une grande majorité de fleurs jaune citron, avec ici et là quelques pâquerettes et géraniums. De loin, ces fleurs ressemblent à des Pissenlits.

Un tapis de Piloselles

Ce sont des Piloselles, des Astéracées comme les Pissenlits, c’est-à-dire des plantes dont les fleurs ne sont en réalité pas des fleurs, mais des bouquets (des capitules) composés de nombreuses petites fleurs (les fleurons). Et comme dans le cas du Pissenlit, ces fleurons sont tous ligulés, c’est-à-dire en forme de languette.

Le capitule

Les fleurs ne montent pas très haut : 15 à 30 cm au grand maximum. Et elles sont plutôt jaune citron, tandis que celles du Pissenlit sont plus orangées.
Celles qui sont situées à la périphérie du capitule sont tachées de pourpre en-dessous.
Les bractées et le pédoncule sont recouverts de poils.

Les bractées sont pubescentes

C’est d’ailleurs parce que toute la plante est recouverte de poils qu’elle a été nommée Piloselle.

Ses feuilles sont très caractéristiques : elles forment à la base de la plante une rosette de feuilles oblongues, entières, appliquées sur le sol, et hérissées de longs poils blancs.

Les feuilles sont recouvertes de longs poils blancs

La Piloselle préfère des endroits secs et ensoleillés et des sols arides, sableux ou rocailleux. Elle forme des tapis denses et se reproduit essentiellement par voie végétative en émettant des stolons.

Les armes chimiques de la Piloselle

Des observations sur le terrain et en laboratoire ont montré qu’elle est capable d’empêcher la germination et la croissance d’autres espèces dans son environnement.

Ses feuilles contiennent en effet un composé appelé ombelliférone.  Son nom l’indique : cette substance est souvent présente chez les Apiacées (anciennement nommées Ombellifères; c’est la famille du cerfeuil, de la carotte ou de la ciguë).
L’ombelliférone est connue pour absorber les rayons UV, et est à ce titre utilisée dans les crèmes solaires.
Mais elle inhibe également le développement des racines. Les feuilles mortes de la Piloselle la libéreraient dans le sol et empêcheraient ainsi des plantes concurrentes, comme les trèfles, de grandir 1.

Selon d’autres sources, ce sont plutôt ses racines qui sécrèteraient l’ombelliférone, ainsi que l’acide chlorogénique (une substance présente dans le café) qui aurait la même action sur les racines 2.
Cette incertitude montre en tout cas que nous ne comprenons pas encore très bien les mécanismes mis en jeu.

Quoi qu’il en soit, la Piloselle est considérée aujourd’hui comme étant une plante à haute valeur écologique, car elle peut être utilisée comme herbicide naturel et aussi comme une solution pour remplacer le gazon, du moins sur des sols qui lui conviennent.

Nuançons le propos : ceci est vrai dans sa région d’origine. Mais la Piloselle a été introduite en Amérique du Nord et en Nouvelle-Zélande dans les années 1920, et elle y est maintenant considérée comme invasive. Et l’allélopathie est sans doute l’un des facteurs qui contribuent au succès de cette espèce dans ses nouveaux territoires. Cette hypothèse a été vérifiée chez une autre plante invasive (Centaurea maculosa, la Centaurée tachetée).
Mais, vous demandez-vous certainement, pourquoi la Piloselle n’est-elle pas envahissante chez nous, dans son habitat d’origine? Il est possible que les plantes concurrentes, ayant évolué de manière parallèle au fil des générations, se soient adaptées et résistent mieux aux composés allélopathiques que les végétaux vivant dans la nouvelle aire d’introduction 3.

Le dossier n’est pas clos.


Sources:
(1) : W. Makepeace , A. T. Dobson & D. Scott : Interference phenomena due to mouse-ear and king devil hawkweed, New Zealand Journal of Botany, 1985
(2) : Wikipedia : Piloselle, mars 2016
(3) : Vanderhoeven Sonia et al., Les espèces exotiques envahissantes, Région wallone, septembre 2006

 

A propos La gazette des plantes

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3 commentaires pour La guerre chimique chez les plantes

  1. jean masson dit :

    Bonjour article fort bien écrit; cette question d’allélopathie reste un peu ouverte, en tous cas dans ses effets démontrés même si la publi citée est bonne. Nombre d’échecs d’utilisation de cette plante pour une agriculture mieux disante pour l’environnement. EN fait les causes d’échecs sont souvent complexes et incluent la question humaine. Si cela vous intéresse, cliquez sur le lien ci-dessous pour l’usage de la piloselle en viticulture. Sans prétendre innover sur la plante, nous le sommes peut-être dans l’ampleur et dans la prise en compte globale de la viticulture, avec les savoirs et les raisonnements des acteurs au cœur de l’innovation.
    All best. Jean

    http://www.dailymotion.com/playlist/x4jpty_Alimentation-Agriculture_productions-et-filieres/1#video=x4hzo01

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  2. Ping : La Renouée du Japon : introduction | La Gazette des Plantes

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