La Gazette s’est promenée dans l’ancienne abbaye du Rouge-Cloître près de Bruxelles et y a observé une plante qui y fut sans doute cultivée autrefois par les moines dans leur jardin des simples : la Bourrache. Longtemps utilisée comme légume, elle a aujourd’hui quasiment disparu des rayons des magasins.
Le Rouge-Cloître
La Gazette des Plantes se promène régulièrement au Rouge-Cloître, un endroit prisé des ornithologues grâce à ses étangs, mais les botanistes y trouvent aussi leur bonheur!
Au 17è siècle, le prieuré était entouré de champs, de vergers et de jardins potagers nécessaires à la subsistance des chanoines.
Il est fort probable que la Bourrache y fut cultivée comme plante alimentaire et médicinale.
Il n’est donc pas surprenant de la retrouver aujourd’hui aux alentours du monastère.
D’autant plus que, bien qu’elle soit originaire d’Europe méridionale, on la rencontre maintenant à l’état subspontané sur une grande partie du continent : dans les cultures, les terrains vagues, près des fermes et des villages : un témoignage du temps où elle était un légume souvent consommé par nos aïeux.
Venant du Sud, elle préfère évidemment la lumière et la chaleur, des sols très secs et assez riches en nutriments (azote).
Au Rouge-Cloître, elle a élu domicile sur un talus herbeux orienté au sud, face au monastère.
Les fleurs
Ce qui frappe surtout quand on la voit, ce sont ses fleurs composées de 5 pétales d’un beau bleu azur étalés en étoile.
A l’extérieur et alternant avec les pétales se trouvent les 5 sépales rouge indien.
Le pédicelle est courbé, ce qui oriente la fleur vers le bas.
Chaque pétale est triangulaire et est muni à sa base d’une arête saillante plus pâle, qui sécrète un abondant nectar dont les abeilles raffolent. Autre avantage pour celles-ci : la floraison dure longtemps, de mai à septembre.
Selon François Couplan, les fleurs ont une saveur d’huître 1! Les Grecs anciens les utilisaient pour parfumer leurs boissons. Cet usage s’est perpétué de nos jours, notamment au Canada 4.
Observez ci-dessous les 5 étamines formant une sorte de colonne. Leur filet porte une protubérance bleue et est prolongé au sommet par une longue anthère presque noire.
Le pollen contenu dans ces anthères ne peut être récolté que par les bourdons, et en suivant une méthode assez particulière, dite par vibration.
L’insecte doit s’agripper aux anthères et les faire vibrer par des contractions rapides de ses ailes jusqu’à ce que les étamines entrent en résonance : les grains de pollen sont alors violemment projetés hors des anthères, et récoltés par l’insecte 2.
L’avantage de cette pollinisation par un seul type d’insecte est que le pollen a plus de chance d’être transporté jusqu’à une autre fleur de la même espèce.
Les feuilles
Les feuilles de la tige sont ovales et munies d’un bord ondulé. Elles sont portées par un long pétiole. Celles de la base forment une rosette.
Couplan précise qu’elles sont encore consommées régulièrement sur le pourtour méditerranéen 1.
Les feuilles fraîchement cueillies ont paraît-il un goût rafraîchissant de concombre. Plus vieilles, il faut les cuire pour éliminer les poils.
Elles sont parfois ajoutées aux salades ou aux sauces accompagnant les viandes et les poissons, ou bien mangées en soupe. En Toscane, on en farcit les pâtes.
Mais la Bourrache fait partie de la famille des Boraginacées, et on sait maintenant que toutes les plantes de cette famille (sauf les Pulmonaires) produisent des alcaloïdes. Il vaut donc mieux s’abstenir d’en consommer de manière régulière 3.
Ce sont des alcaloïdes pyrrolizidiniques, qui augmentent le risque de tumeurs au foie chez les animaux de laboratoire. Notez toutefois qu’aucun problème n’a jamais été relevé chez l’être humain, sans doute parce que les teneurs recelées par les plantes sont beaucoup trop faibles 5.
Dans cette famille, on trouve également la Consoude et la Vipérine. Leurs feuilles furent et sont encore utilisées dans l’alimentation.
Si vous cliquez sur les photos ci-dessus pour les agrandir, vous remarquerez que la Consoude et la Vipérine sont couvertes de poils, tout comme la Bourrache. C’est une caractéristique de la plupart des Boraginacées.
La Bourrache en tant que plante médicinale
Les fleurs ont été utilisées depuis très longtemps pour provoquer la sueur, en cas de refroidissement par exemple. Elles permettent de faire tomber une forte fièvre.
Elles renferment aussi du mucilage, une substance visqueuse constituée de polysaccharides, semblable à la gélatine, qui permet de soulager les troubles respiratoires.
La Bourrache est également connue pour ses vertus diurétiques. Et ses feuilles employées en cataplasme apaisent les irritations cutanées 5.
L’huile provenant de ses graines est traditionnellement utilisée pour favoriser l’hydratation de la peau et l’aider à conserver sa souplesse et son élasticité. Elle contient
de la vitamine E, anti-oxydante, qui protège la peau contre les effets des radicaux libres.
Elle serait exempte des alcaloïdes pyrrolizidiniques mentionnés ci-dessus 11.
En outre, on a découvert récemment que l’huile renferme de l’acide gamma-linolénique, essentiel au renouvellement des tissus cellulaires et stimulant plusieurs phénomènes hormonaux.
On ne trouve que très rarement cet acide dans le monde vivant; les huiles de poisson et l’onagre en contiennent aussi 6.
La Bourrache en Belgique
En Belgique, un arrêté royal du 2 septembre 1992 interdit la vente des médicaments à base de plantes renfermant des alcaloïdes pyrrolizidiniques. Les plantes concernées sont les suivantes : Borago officinalis (la Bourrache), Eupatorium cannabinum (l’Eupatoire chanvrine), Petasites officinales (le Pétasite officinal), Jacobaea vulgaris (le Séneçon jacobée), Senecio vulgaris (le Séneçon commun), Symphytum officinalis (la Consoude officinale), Tussilago farfara (le Tussilage) 7.
Il faut remarquer que cette interdiction ne touche pas les utilisations en tant qu’aliments et compléments alimentaires. Il est donc possible de trouver dans des pharmacies ou herboristeries belges de l’huile de Bourrache par exemple.
Et des cuisiniers belges ont employé (et emploient sans doute encore) la Bourrache dans leurs plats 8.
Cette interdiction partielle illustre 2 phénomènes typiques de notre époque.
Le premier est la lutte qui oppose les grosses entreprises pharmaceutiques d’une part et les gros distributeurs de compléments alimentaires d’autre part. La phytothérapie représente un enjeu financier considérable qui entraîne un lobbying intense des deux parties auprès des autorités nationales et européennes.
Le second phénomène est que notre société, qui réclame à juste titre toujours plus de sécurité alimentaire, risque toutefois de perdre ainsi définitivement la connaissance de toute une série de remèdes transmis par voie orale depuis des générations 9.
Un peu d’étymologie pour terminer
Comme c’est souvent le cas, l’origine du mot Bourrache est incertaine et controversée.
La première explication est que ce mot dérive de bourre, du latin burra, « étoffe grossière à longs poils », d’après sa tige et ses feuilles hérissées de poils rudes.
D’autres auteurs pensent que Bourrache viendrait plutôt de l’arabe abu r-rach, « père de la sueur », à cause des propriétés sudorifiques de la plante, connue depuis l’Antiquité.
Quant à l’épithète officinalis, elle indique que notre Bourrache était jadis vendue comme remède dans les officines des pharmaciens 10.
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