Le vert de l’hiver : une plante qui a du sang bleu

Dans notre série des plantes visibles en hiver, en voici une qui a une caractéristique étonnante. C’est la seule plante de nos régions à posséder un latex bleu.   La Gazette vous présente aujourd’hui l’aristocratique Euphorbe des bois (Euphorbia amygdaloides).


Feuilles en rosette au sommet de la tige

Aristocratique mais cependant assez commune (sauf en région flamande) : on la rencontre fréquemment dans les sous-bois herbacés, à l’ombre des feuillus tels que chênes, hêtres, charmes ou saules. Elle y forme souvent de grandes colonies grâce à ses rhizomes (ses tiges souterraines).

On l’identifie sans peine : elle est vivace et conserve ses feuilles en hiver; celles-ci sont oblongues et disposées presque en rosette au sommet de la tige.

Comme elle est douée d’une assez grande longévité, sa présence serait le signe de boisements assez anciens, selon Gérard Guillot 4.

Euphorbe des bois en hiver

Euphorbe des bois en hiver

Elle préfère normalement les sols à texture limoneuse et pas trop riches en matières organiques (du type mull actif) 5.  Elle a souvent comme voisine la Fougère mâle (Dryopteris filix-mas) et l’Anémone sylvie (Anemone nemorosa) que l’on verra bientôt fleurir (dès mars).

L'anémone sylvie

L’Anémone sylvie

Au printemps, les feuilles se retrouveront dans la partie basse de la plante

Au printemps, les feuilles se retrouveront dans la partie basse de la plante

Au printemps prochain, une hampe florale va se développer sur la tige, et les feuilles se retrouveront donc reléguées dans la partie basse de la plante comme le montre la photo ci-contre, prise à la fin du mois d’avril.

Remarquez également l’apparence étrange de son inflorescence verdâtre.

Mais nous n’en sommes pas encore là : en hiver les feuilles forment une couronne qui surplombe la plante.

Notez que la tige est rougeâtre. Lorsque celle-ci se casse, un latex s’écoule. Rien de bien étonnant car c’est le cas de toutes les euphorbes. D’ailleurs l’un des membres de la famille des Euphorbiacées n’est autre que l’hévéa, un arbre d’Amazonie dont l’homme extrait le latex pour le transformer en caoutchouc.


Le latex

Rappelons que le latex n’est pas de la sève. Celle-ci est le liquide circulant dans des vaisseaux spécialisés (le xylème et le phloème) et transportant l’eau et les sels minéraux puisés dans le sol (la sève brute) ou les sucres produits dans les feuilles (la sève élaborée).

Le latex (mot latin signifiant liquide) est aussi une substance fluide, mais il circule dans des vaisseaux distincts (appelés canaux laticifères) situés près de la surface, et sert essentiellement de moyen de défense contre les animaux herbivores, notamment les insectes . En outre il suinte lorsque la plante est blessée, formant un pansement protecteur en séchant.

Les latex sont très répandus dans le règne végétal : on en trouve dans 20.000 espèces environ réparties dans une quarantaine de familles 1. Beaucoup de plantes productrices de latex vivent dans les régions tropicales, mais certaines espèces très courantes chez nous en possèdent également : les euphorbes bien sûr, mais aussi les campanules, les pissenlits, les laitues, la chélidoine etc…


 Les latex sont très variables, que ce soit leur composition ou leur couleur. Ceux qui sont formés par les euphorbes sont tous toxiques. Ils provoquent de graves irritations  de la peau et des conjonctivites s’ils atteignent les yeux. Des cas de cécité temporaire ont été rapportés.


🔍 La toxicité des latex d’euphorbes est due à la présence de diterpènes (des molécules organiques possédant 20 atomes de carbone) et de triterpènes (des molécules ayant 30 atomes de carbone).
Ces molécules sont également connues pour être bactéricides et fongicides, ce qui est bien sûr intéressant pour la plante en cas de blessure à la tige. Mais la nature est toujours plus complexe que nous ne l’imaginons : une étude réalisée à l’Oak Crest Institute of Science (Californie) vient de montrer que les latex d’euphorbes abritent de façon surprenante diverses communautés de bactéries et de champignons! Leurs rôles et leurs interactions avec leurs plantes hôtes sont actuellement inconnus 2.


Revenons à notre Euphorbe des bois. Elle produit un latex particulier, comme nous le faisait observer récemment un ami botaniste : c’est en effet la seule plante de nos régions à fabriquer un latex qui bleuit à l’air, alors que celui des autres euphorbes est banalement blanc.

Le latex bleu de l'Euphorbe des bois

Le latex bleu de l’Euphorbe des bois

🔍 Une recherche récente menée à l’Université de Corse a trouvé que l’une des molécules diterpéniques extraites de l’Euphorbe des bois (plus précisément de la sous-espèce semiperfoliata) manifeste une très forte activité antivirale à la fois contre le virus du chikungunya et contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH, responsable du Sida) 3.

Classification 

Voici la position des Euphorbes dans la dernière classification APG IV de 2016.

 

🔍 ** : indique ce qui a changé pour les euphorbes avec l’APG IV.
Premièrement, un clade (un niveau) supplémentaire a été ajouté : celui des Super Rosidées.
D’autre part, l’ordre des Malphigiales a été enlevé du groupe des Fabidées et inclus dans un nouveau groupe appelé COM  (car il regroupe les ordres des Celastrales, des Oxalidales et des Malphigiales). Ce groupe est vraisemblablement provisoire, il résulte en fait de l’incertitude actuelle quant au placement futur de ces ordres : dans le groupe des Fabidées ou bien dans celui des Malvidées? Attendons l’APG V!

La famille des Euphorbiacées est l’une des plus grandes familles des Angiospermes (plantes à fleurs) :  elle compte 5.735 espèces dans la classification APG III, et occupe donc la 7è place au hit-parade.

Les plus grandes familles des Angiospermes (plantes à fleurs) 6:

  1. Astéracées (les Composées comme le pissenlit): 22.750 espèces
  2. Orchidacées : 21.950
  3. Fabacées (les Légumineuses comme les haricots et les trèfles) : 19.400
  4. Rubiacées (comme les gaillets): 13.150
  5. Poacées ou Graminées (les herbes): 10.035
  6. Lamiacées (comme les menthes): 7.175
  7. Euphorbiacées : 5.735

La majorité des Euphorbiacées vit dans les régions tropicales. Ces plantes sont caractérisées par leur inflorescence complexe : les fleurs sont petites et verdâtres, et n’ont souvent ni sépales ni pétales, mais elles possèdent généralement des glandes nectarifères arrondies ou en croissant. C’est d’ailleurs le cas de l’Euphorbe des bois.

Les glandes en forme de croissant de l'Euphorbe des bois

Les glandes en forme de croissant de l’Euphorbe des bois

Dans nos régions, la famille des Euphorbiacées est représentée par 2 genres très courants : outre les Euphorbes proprement dites (genre Euphorbia), vous avez tous déjà vu (sans peut-être les reconnaître) les Mercuriales (genre Mercurialis). La Mercuriale annuelle (Mercurialis annua) est une plante herbacée sans latex, que la plupart des jardiniers considèrent comme étant une « mauvaise herbe » (voir photo ci-dessous). Sa tige dressée et très ramifiée lui donne un aspect touffu. Ses feuilles opposées dégagent une odeur nauséabonde lorsqu’on les froisse. Ses fleurs, présentes de mars jusqu’en décembre, sont très petites et de couleur jaune verdâtre.

Une Mercuriale annuelle en décembre

Une Mercuriale annuelle en décembre

En ce qui concerne les Euphorbes, une dizaine d’espèces sont relativement communes en Belgique. L’Euphorbe des jardins (Euphorbia peplus) notamment (photo ci-dessous), que l’on voit pousser sur les trottoirs des villes. Elle possède également des glandes en forme de croissant.

Une Euphorbe des jardins sur un trottoir en ville

Une Euphorbe des jardins sur un trottoir en ville

Avant de quitter la forêt, jetons un dernier regard sur l’Euphorbe des bois :

Euphorbe des bois en hiver

Euphorbe des bois en hiver


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Sources :

1 : Thomas M. Lewinsohn; The geographical distribution of plant latex; Chemoecology; December 1991, Volume 2, pp 64–68
2 : Manjula Gunawardana et al.; Euphorbia plant latex is inhabited by diverse microbial communities; American Journal of Botany; Décembre 2015
3 : L-F Nothias-Scaglia; Etude de l’activité antivirale d’extraits d’Euphorbia de Corse : recherche de nouveaux diterpènes d’intérêt biologique; Université de Corse-Pascal Paoli, 2015
4 : Gérard Guillot; Guide des fleurs des forêts; Belin; 2014
5 : Tela Botanica; Euphorbia amygdaloides
6 : Wikipedia; Flowering plant; Janvier 2017

 

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