En ces mois d’hiver, sombres et maussades, de la lumière nous ferait du bien!
Les plantes aussi ont besoin de lumière. Elles se battent même entre elles pour récolter un peu du rayonnement solaire.
Voyons comment elles détectent leurs concurrents, et de quelles stratégies elles disposent dans leur lutte.
Une place au soleil
Chaque organisme vivant tente de survivre face aux aléas de son environnement et la concurrence des autres espèces.
En ce qui concerne les plantes, l’accès à la lumière et la disponibilité de l’eau sont les facteurs primordiaux de leur survie.
Les détecteurs de présence chez les plantes
S’agissant de l’accès à la lumière, comment un végétal détecte-t-il la présence d’autres plantes concurrentes qui pourraient lui faire de l’ombre?
Plusieurs signaux vont l’avertir : d’abord le toucher d’autres feuilles et la perception de certaines odeurs, suivis par des variations dans la quantité et la qualité de la lumière reçue.
1) Le végétal va d’abord se rendre compte que ses feuilles sont stimulées mécaniquement (touchées) par d’autres feuilles.
Comment cela se passe exactement n’est pas encore bien compris, mais les biologistes ont découvert que suite au frottement plusieurs messagers sont émis et transmis à l’intérieur de la plante : des hormones, des ions calcium Ca2+ etc…2
2) La plante va ensuite capter des composés volatils (des odeurs) qui contiennent vraisemblablement des renseignements non seulement sur la présence, mais aussi sur l’identité d’un voisin concurrent 3.
À ce jour, les scientifiques ne connaissent pas encore grand-chose sur la réception des composés volatils par les plantes, mis à part le fait qu’ils jouent un rôle important dans la communication avec les autres organismes, que ce soient des végétaux ou des animaux. Les plantes absorbent les composés volatils par les stomates (Les stomates sont des orifices de petite taille surtout présents sur la face inférieure des feuilles. Ils permettent les échanges gazeux entre la plante et l’air ambiant). Les composés volatils sont ensuite traités dans les tissus des feuilles.

Stomate d’une feuille de tomate : image prise au microscope électronique et colorisée (By Photohound via Wikimedia Commons)
3) Finalement, grâce à des récepteurs appelés phytochromes, le végétal décèlera une réduction de la quantité de lumière reçue, ainsi qu’une diminution du rapport entre le rouge et le rouge lointain (R:FR)
La quantité de lumière reçue dont il est question ici est le rayonnement utilisé par le feuillage vert des plantes lors de la photosynthèse. Les biologistes l’appellent PAR (photosynthetically active radiation : rayonnement photosynthétiquement actif), et il correspond plus ou moins au spectre visible, allant du violet au rouge lointain, comme le montre le graphique ci-dessous.

Spectre utilisé par la chlorophylle a et b lors de la photosynthèse (Daniele Pugliesi via Wikimedia Commons)
Avec une différence notable toutefois : la lumière verte, au centre du graphique, n’est quasiment pas absorbée par la chlorophylle. Elle est réfléchie : c’est ce qui explique que les plantes nous apparaissent vertes.
Un autre indice très important pour la plante est la diminution, dans la lumière reçue, du rapport entre le rouge (longueur d’onde entre 625 et 710 nanomètres) et le rouge lointain (« Far Red » : entre 710 et 850 nm). Lorsque la lumière est réfléchie ou filtrée par d’autres feuilles, elle est enrichie en rouge lointain et le rapport R:FR décroît en conséquence.

Variation du rapport R:FR (les valeurs sont seulement indicatives : elles dépendent de la densité de la végétation et des espèces concernées)
Non filtrée, la lumière du soleil a un rapport R:FR de ± 1,2.
Lorsque la lumière est réfléchie par d’autres feuilles, le rapport tombe à ± 0.7.
Et il peut plonger sous 0.2 quand la lumière est occultée par des feuilles.
La variation de ce rapport permet à notre végétal de faire la différence entre l’ombre d’un objet inanimé (par exemple une roche) et l’ombre d’une autre plante 4!
Trois stratégies possibles
Une plante est donc capable de détecter la présence de concurrents dans la lutte pour la lumière.
Comment va-t-elle réagir si elle en détecte? Les biologistes ont regroupé ses réponses en trois catégories.
Elle peut opter pour la confrontation : croître afin de dépasser ses voisins en hauteur et leur faire de l’ombre : c’est l’allongement vertical conflictuel, appelé également syndrome d’évitement de l’ombre.
Ou bien elle peut essayer de survivre sous un éclairage limité : c’est la tolérance à l’ombre.
Elle peut aussi pousser en s’éloignant latéralement de ses voisins : c’est l’évitement latéral.
1) L’allongement vertical conflictuel ou syndrome d’évitement de l’ombre (shade-avoidance syndrome : SAS)
La plante croît rapidement et s’engage dans une course pour la lumière, un comportement conflictuel par lequel les belligérants peuvent se priver mutuellement du rayonnement solaire.
Quels sont les éléments qui déclenchent cette stratégie?
La quantité de lumière reçue par la plante (PAR) diminue légèrement; le rapport R:FR devient lui très bas 11.
La plante interprète ces signaux comme des indices de la proximité de concurrents. Elle anticipe alors un prochain ombrage en modifiant son architecture.
=> Elle allonge promptement ses tiges et ses pétioles.
=> Les bourgeons latéraux sont inhibés, ce qui limite les ramifications horizontales : c’est la dominance apicale.
=> En outre, les feuilles se courbent vers le haut (hyponastie), se plaçant ainsi dans une meilleure position pour capter la lumière.
=> La plante va aussi avancer sa floraison, afin de pouvoir terminer le cycle de reproduction avant que l’ombre ne devienne trop importante. 5

Le syndrome d’évitement de l’ombre se rencontre dans des environnements surpeuplés, souvent des milieux ouverts comme les prairies
Cette stratégie s’observe surtout dans les milieux ouverts et surpeuplés.
Remarquez qu’en l’absence de compétition pour la lumière, l’allongement rapide de la tige consommerait trop de ressources au détriment des autres organes et accroîtrait le risque de blessure mécanique 6.
Par contre, les plantes n’adoptent pas cette stratégie conflictuelle lorsqu’elles côtoient des voisins de la même espèce avec lesquels elles peuvent coopérer 9.
Une étude récente a en effet montré que les plantes reconnaissent les voisins apparentés et réorientent alors leurs feuilles horizontalement, diminuant ainsi l’ombrage mutuel 9.
2) La tolérance à l’ombre (shade tolerance)
Dans cette deuxième stratégie, la plante ne va pas croître mais modifier sa morphologie et son fonctionnement dans le but de survivre sous un éclairage limité.
La quantité de lumière reçue par la plante (PAR) ainsi que le rapport R:FR sont tous les deux très bas. La première stratégie n’est plus réaliste : l’ombre est déjà bien installée 11.
La plante va alors ajuster sa morphologie et son fonctionnement de manière à pouvoir survivre dans ces conditions.
Attention : ces adaptations peuvent être différentes d’une espèce à l’autre !
=> La plante va rendre plus efficace la capture de la lumière, en augmentant la surface des feuilles par rapport à leur épaisseur. On aura donc des feuilles très sensibles, grandes mais fines (on peut d’ailleurs rencontrer certaines des plus grandes feuilles dans les sous-étages des forêts tropicales).
=> Elle diminue sa capacité photosynthétique : inutile d’avoir les moyens de traiter un flux de lumière important quand on est à l’ombre 7 8.
Cette stratégie est typique des plantes poussant dans les sous-bois, qu’elles soient des herbacées ou de jeunes arbres. Elles ne peuvent songer à dépasser les colosses qui les entourent, et sont par la force des choses obligées de s’adapter à l’ombre.
Les hêtraies naturelles sont une bonne illustration de cette situation. Sous les houppiers des grands hêtres, seulement 3 % environ des rayons du soleil arrivent jusqu’au sol. Les jeunes hêtres poussant à l’ombre de leurs parents n’ont pas le choix : ils doivent s’adapter et végéter, c’est le cas de le dire, à quelques mètres de hauteur pendant des décennies. Il leur faudra patienter très longtemps jusqu’à ce que l’un de leurs aînés meure et qu’une trouée se crée.
3) L’évitement latéral (lateral avoidance)
Certaines plantes vont tenter de retrouver la lumière tout en évitant les conflits. Elles vont pousser latéralement, en s’éloignant ainsi de leurs voisins gênants.
Cette stratégie ne concerne que les plantes rampantes et plus encore les « plantes clonales », c’est-à-dire celles qui possèdent des stolons ou des rhizomes.
Les plantes prennent des décisions
Des chercheurs de l’Université de Tübingen en Allemagne ont voulu savoir si une plante pouvait vraiment « choisir » entre ces stratégies et passer de l’une à l’autre en fonction de la taille et du nombre de ses voisins.
En résumé : oui. Les plantes décident de la meilleure façon de survivre compte tenu de ce qui se passe autour d’elles; elles choisissent leur réponse en fonction de la taille et de la force de leurs voisins 8 – 10.
Les chercheurs ont choisi comme cobayes des Potentilles rampantes (Potentilla reptans), des plantes appartenant à la famille des Rosacées. Ils les ont placées dans plusieurs configurations simulant différents scénarios de concurrence pour la lumière.
Lorsque ses voisins sont nombreux mais petits, la Potentille opte clairement pour la confrontation, c’est-à-dire pour une forte croissance verticale.
Lorsque ses voisins sont nombreux et grands, et qu’elle ne peut donc ni les dépasser en taille ni les éviter en s’étendant latéralement, elle adopte un comportement de tolérance à l’ombre.
Lorsque ses voisins sont grands mais peu nombreux, la Potentille privilégie la croissance latérale (par reproduction clonale).
« Une telle capacité à choisir entre différentes stratégies est particulièrement importante dans des milieux hétérogènes, là où les plantes peuvent se retrouver par hasard sous des voisins de tailles, de densités ou d’âges différents et doivent donc pouvoir sélectionner la réponse la plus appropriée« , explique M. Gruntman, l’un des chercheurs ayant mené cette étude 10.
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Sources :
1 : Raven et al.; Biologie végétale; 3e édition; De Boeck; 2014; p. 672
2 : Janet Braam; In touch: plant responses to mechanical stimuli; New Phytologist; Novembre 2004
3 : Ronald Pierik et Mieke de Wit; Shade avoidance: phytochrome signalling and other aboveground neighbour detection cues; Journal of Experimental Botany, Volume 65, Issue 11, 1 June 2014, Pages 2815–2824
4 : Wikipedia; Shade avoidance; Novembre 2017
5 : Jorge J. Casal; Shade Avoidance; The Arabidopsis Book; Janvier 2012
6 : Keara A. Franklin et Garry C. Whitelam; Phytochromes and Shade-avoidance Responses in Plants; Annals of Botany; Mai 2005
7 : Photosynthesis in sun and shade; Plants in Action; Australian Society of Plant Scientists, New Zealand Society of Plant Biologists, and New Zealand Institute of Agricultural and Horticultural Science; 2010–2016
8 : Michal Gruntman, Dorothee Groß, Maria Májeková & Katja Tielbörger; Decision-making in plants under competition; Nature Communications 8, Mai 2017
9 : María A. Crepy, Jorge J. Casal; Photoreceptor-mediated kin recognition in plants; New Phytologist, Septembre 2014
10 : David Nield; Plants Are Better at Complex Decision-Making Than We Ever Realised; Science Alert, 28 décembre 2017
11 : Gommers, Charlotte M.M. et al.; Shade tolerance: when growing tall is not an option; Trends in Plant Science , Volume 18 , Issue 2 , 65 – 71; Octobre 2012
C’est prodigieux (la stratégie des plantes et la qualité de ton article !)
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Merci, merci!
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La plante est capable de se défendre en fabriquant ses propres antibiotiques et hormones, sa stratégie devant la lumière et les divers commensaux est dans l’ordre des choses. Il ne lui manquerait qu’un système nerveux!
On ne peut être qu’en admiration devant l’unité génétique et fonctionnelle du vivant.
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