La Gazette vous présente une plante qui est devenue rare chez nous : le Lycopode en massue. Il mérite donc bien qu’on s’intéresse à lui. Nous le verrons sans ses massues, qu’il ne retrouvera qu’en été.
Nous ferons aussi un bond dans le passé afin de comprendre ce qui différencie les Lycopodes des végétaux qui les ont précédés ou suivis dans l’évolution.
Présentation
Tous les Lycopodes ressemblent à de grandes mousses, ou bien à des pousses de sapins. Leurs tiges et leurs rameaux sont en effet recouverts de petites feuilles rappelant des aiguilles de conifères.
Comme la plupart de ses frères et cousins, le Lycopode en massue est une plante rampante dont les tiges peuvent facilement atteindre 1 mètre de long.
Ces tiges portent des rameaux dressés. La tige ainsi que les rameaux sont revêtus de petites feuilles molles, très étroites et très courtes (environ 0,5 cm). Elles sont sessiles, étroitement appliquées contre la tige et plus étalées sur les rameaux.
Le Lycopode en massue sera très aisément identifiable en été, lorsqu’il aura développé ses épis caractéristiques. Nous reviendrons le voir le moment venu. Mais le Lycopode en massue est une plante vivace : comment le reconnaître en hiver?
C’est facile, il suffit de regarder ses feuilles : elles sont terminées par une soie blanche, que l’on distingue à l’œil nu.
Habitat
Notre Lycopode préfère les sols très acides, très pauvres en nutriments (azote etc.), secs à frais et assez bien ensoleillés.
C’est une espèce pionnière des milieux dénudés sur terrains acides, tels que les landes sèches à callunes.
Malheureusement ces landes ne sont plus entretenues. Comme le Lycopode en massue demande de la lumière pour croître, il disparaît lorsque les terrains ouverts sont envahis par des plantes plus hautes.
Il faut savoir que les paysans pratiquaient jadis l’étrépage : ils enlevaient sur les landes la végétation et la couche superficielle du sol et les transportaient vers les terres cultivées, enrichissant donc ces dernières et appauvrissant les premières, ce qui favorisait involontairement les espèces pionnières et donc la biodiversité.
Il peut également survivre dans les parties claires des forêts se développant sur des terrains sablonneux très acides, où il voisinera souvent les Myrtilles.

Ici, le Lycopode en massue pousse sur le talus d’un chemin forestier dans un bois clair sur sol sablonneux acide
Le Lycopode en massue se maintient parfois dans des habitats de substitution : des carrières, des talus de route, mais cela ne compense pas la perte de ses habitats primaires.
En Belgique, on le rencontre essentiellement dans les landes sèches de l’est de la Belgique, comme le montre la carte ci-dessous.
En France, il est devenu très rare en plaine et subsiste surtout dans les régions montagneuses de l’est et du centre.
Les Lycopodes dans l’évolution
Dans le grand groupe des plantes terrestres, les Lycophytes (qui comprennent les Lycopodes et d’autres plantes similaires) sont apparus il y a bien longtemps, sans doute il y a au moins 425 millions d’années, selon les fossiles retrouvés 1, donc après les mousses mais avant les prêles et les fougères.
Les Lycophytes apportent deux innovations importantes par rapport aux végétaux existant alors :
- des vaisseaux conducteurs performants qui permettent de transporter l’eau et les nutriments sur de plus longues distances (les plantes peuvent donc acquérir des tailles plus importantes) ;
- ainsi que des racines absorbant l’eau du sol.
Auparavant, la terre ferme avait été colonisée par les mousses (les Bryophytes) et des espèces analogues (les Hépatiques et les Anthocérotes).
Ces végétaux ne possèdent pas encore de vaisseaux conducteurs efficaces qui permettraient de faire parcourir à la sève de longs trajets. Certes, certaines mousses, comme les Polytrics illustrés ci-dessous, disposent déjà de tissus conducteurs, appelés « leptoïdes » et « hydroïdes ». Mais ces tissus ne sont pas lignifiés comme ceux des Lycophytes (la lignine est l’un des principaux composants du bois) et le transfert des liquides s’y fait par capillarité, ce qui limite la taille de ces plantes à 10 cm au maximum.
En revanche, durant le Carbonifère les Lycophytes se développèrent jusqu’à devenir des arbres de 30 m. de hauteur, qui dominèrent les paysages (et se retrouvent aujourd’hui dans le charbon).
Les scientifiques pensent que ces premiers arbres, en pratiquant la photosynthèse sur une grande échelle, provoquèrent une réduction importante de la concentration de CO2 dans l’atmosphère terrestre, il y a environ 380 millions d’années. Avant leur apparition, cette concentration était environ 15 fois plus élevée qu’aujourd’hui. 2.
Voici une vidéo en français sur les Lycophytes géants du Carbonifère :
L’autre « invention » majeure des Lycophytes est la racine. Les mousses ont bien des organes qui les fixent au substrat, ce sont les rhizoïdes. Mais ces rhizoïdes ne sont pas capables d’absorber ni l’eau ni les nutriments du sol, contrairement aux vraies racines. Chez les mousses, l’eau pénètre dans l’organisme par toutes les parties de la plante.
Reprenons le cours de l’évolution. Les Lycophytes seront suivis par les prêles et les fougères dont les premières espèces apparaîtront il y a environ 360 millions d’années. La différence entre les Lycophytes et leurs suivants concernent les feuilles qui vont devenir plus complexes, parcourues non plus par un seul faisceau conducteur de sève mais par plusieurs (ces faisceaux correspondant aux nervures).
Les feuilles des Lycophytes (à gauche sur le schéma ci-dessus) sont en général petites, raison pour laquelle elles sont appelées microphylles (du grec « phullon », feuille).
Elles ne contiennent habituellement qu’un seul faisceau de tissus conducteurs (une seule nervure). Notez qu’un faisceau comprend d’office plusieurs vaisseaux, puisqu’il y a la sève brute et la sève élaborée.
De même, la tige ne contient qu’un seul cylindre massif de vaisseaux conducteurs.
Les végétaux plus récents ont en revanche des feuilles plus grandes, appelées par conséquent mégaphylles (à droite sur le schéma ci-dessus), et possédant un système complexe de nervures ramifiées.
Leur tige est caractérisée par une moelle centrale entourée des tissus conducteurs.
Classification
Si vous nous avez suivis jusqu’ici, vous ne serez pas étonnés d’apprendre que les Lycophytes sont rangés dans l’armoire des Trachéophytes, l’ensemble des plantes possédant des racines et des vaisseaux conducteurs de sève.
Cette armoire contient deux tiroirs : celui des Lycophytes et celui des Euphyllophytes, les végétaux ayant développé des « vraies » feuilles (les mégaphylles dont nous avons parlé ci-avant).
Au sein du tiroir ou plutôt de la classe des Lycophytes, notre Lycopode en massue se retrouve rangé dans la famille des Lycopodiacées et plus précisément dans le genre Lycopodium.
La famille des Lycopodiacées comprend environ 400 espèces vivant surtout dans les milieux montagneux, qu’ils soient tropicaux ou alpins.
Cette famille est représentée en Belgique par 5 espèces. En plus du Lycopode en massue (Lycopodium clavatum), nous pouvons rencontrer chez nous le Lycopode des marais (Lycopodiella inundata), le Lycopode à trois épis (Diphasiastrum tristachyum), le Lycopode sélagine (Huperzia selago) et le Lycopode à feuilles de genévrier (Lycopodium annotinum). Mais il nous faudrait beaucoup de chance pour les observer car ils sont tous très rares, à l’exception du Lycopode des marais, assez commun en Campine.
Un peu d’étymologie : le mot Lycopodium vient du grec lukos (loup) et podion (pied) faisant allusion à la ressemblance avec une patte velue d’un loup des pousses des Lycopodes, recouvertes de petites feuilles.
Le mot de la fin (provisoirement)
Laissons parler frère Marie-Victorin (1885-1944), célèbre religieux et botaniste canadien, qui publia notamment la Flore laurentienne (inventaire floristique de la vallée du Saint-Laurent), et fut l’instigateur des Cercles des jeunes naturalistes du Québec (CJN), dont s’inspirèrent par la suite les Cercles des Naturalistes de Belgique (CNB) :
« Déchus du rang de tout premier plan qu’ils ont occupé durant la jeunesse du globe, les Lycopodes n’en restent pas moins des reliques précieuses d’un passé disparu et leur morphologie désormais désuète nous renseigne sur les schémas anciens et pour ainsi dire épuisés, de la vie végétale 3.«
Nous retournerons voir Les Lycopodes en massue en été, et nous nous intéresserons alors à leurs « massues », à leur mode de reproduction et aux multiples usages dont ils font l’objet. Ce sera un article explosif!
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Sources :
1 : Wikipedia; Lycopodiophyta; Novembre 2017
2 : Tropical fossil forests unearthed in Arctic Norway; Cardiff University News; Novembre 2015
3 : Claude JERÔME; Trois Lycopodes de la région de Saverne; Association des amis du jardin botanique du Col de Saverne; Bulletin 1993
Merci beaucoup, c’est beaucoup de lumière faite sur un sujet peu éclairé généralement
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Merci beaucoup pour cet article très intéressant.C’est une incitation à découvrir davantage ce monde.Je ne distinguais pas trop avant les lycophytes des bryophytes(les mousses).Désormais cette désinvolture ne sera plus permise.
Quid maintenant d’un article sur les hépatiques et les mousses ?Il serait le bienvenu.
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Très intéressant.
J’ai appris hier, au cours d’un conseil municipal, dans le Limousin, que nous avions cette plante sur un terrain communal. Elle est très rare en Creuse, pouvez vous me dire si elle est protégée?
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