Voici la suite de notre balade dans le Hageland, une région vallonnée située à l’est de Louvain.
Faisons connaissance avec la Pédiculaire des marais, une plante des prairies humides aux fleurs roses et au feuillage souvent pourpré.
Ce sera l’occasion d’en apprendre un peu plus sur la vie difficile des espèces qui vivent dans ces milieux.
Dans le billet précédent, nous étions arrivés près d’une prairie parsemée de zones roses. Nous avions constaté que ces taches étaient en réalité les fleurs du Lychnis fleur de coucou. Rapprochons-nous un peu de la prairie. Sur la photo suivante, on remarque, outre les fleurs roses, des parties où poussent des plantes plus petites et de teinte pourpre. Ce sont des Pédiculaires des marais (Pedicularis palustris).
Description de la Pédiculaire des marais
La Pédiculaire des marais est une plante pouvant atteindre 60 cm de hauteur. Moins élevée que le Lychnis, elle est toutefois nettement plus grande que sa sœur, la Pédiculaire des bois (Pedicularis sylvatica), qui ne dépasse pas 15 cm.
La tige se ramifie dès la base, et les rameaux inférieurs sont plus longs que les supérieurs, ce qui donne à la plante une silhouette pyramidale.
La teinte brun rougeâtre que l’on aperçoit de loin est due à son feuillage, les fleurs étant par ailleurs roses, comme celles du Lychnis.
Le calice (photo ci-dessous) est formé de 5 sépales, réunis en tube, couverts de poils courts et épars. C’est une autre différence avec la Pédiculaire des bois, dont le calice est entièrement glabre.
Du tube du calice émerge la corolle. Celle-ci possède deux lèvres. La lèvre supérieure est formée par deux pétales comprimés latéralement (voir ci-dessous), qui lui donnent l’allure d’un casque de teinte pourpre.
Sur chaque côté de cette lèvre supérieure on observe une dent située plus ou moins au milieu (cercle bleu sur la photo suivante). Cette dent n’est pas présente chez Pedicularis sylvatica; elle nous permet donc d’identifier avec certitude la Pédiculaire des marais.
Les deux espèces possèdent en revanche deux autres dents placées tout près du sommet de la lèvre supérieure (ellipse rouge sur la photo suivante).
Constatons également que la gorge est plus ou moins fermée : la lèvre supérieure et la lèvre inférieure sont proches l’une de l’autre. La gorge est nettement plus ouverte chez la Pédiculaire des bois.
La lèvre inférieure est beaucoup plus claire que la supérieure et composée de trois lobes.
Le pistil (l’organe femelle) émerge de la lèvre supérieure. Il est constitué de deux carpelles soudés.
Les feuilles de la Pédiculaire des marais sont alternes et profondément découpées. Elles sont pennatipartites à pennatiséquées : c’est-à-dire qu’elles sont découpées en segments, l’échancrure entre deux segments atteignant presque la nervure centrale.
Le feuillage est souvent rougeâtre. La coloration brun rougeâtre que prennent les feuilles est sans doute due à une concentration élevée en ions ferreux dans le sol. Un taux élevé d’ions ferreux est typique des zones gorgées d’eau presque en permanence.
La toxicité du fer ferreux
Un sol est normalement constitué d’éléments solides (minéraux et matière organique), formant des agrégats séparés par des espaces dans lesquels circulent de l’air et de l’eau. Cette eau, chargée en sels minéraux dissous, est appelée solution du sol.
C’est de la solution du sol que la plante tire la plupart des éléments nutritifs dont elle a besoin, excepté bien sûr le carbone qu’elle pompe de l’atmosphère.
Le fer entre dans la composition de plusieurs enzymes qui jouent un rôle dans la respiration et la photosynthèse (en participant notamment à la synthèse de la chlorophylle).
Dans un terrain bien aéré, le fer est présent dans le sol sous une forme qui est peu soluble, et la solution du sol n’en contient donc qu’une faible quantité. Il n’est d’ailleurs pas rare que les plantes aient une carence en fer.
En revanche, dans un terrain gorgé d’eau en permanence, le fer prend la forme de l’ion ferreux (Fe2+) 1, et sa solubilité augmente. La teneur en fer dans la solution du sol dépasse alors les besoins des plantes, et il devient toxique pour beaucoup d’espèces 2. L’un des symptômes de cette toxicité est l’apparition d’une coloration brun rouge sur les feuilles 3.
Certaines plantes des marais ont développé une tolérance à une concentration élevée d’ions ferreux dans le sol.
Ce sont essentiellement des monocotylédones, comme des laîches, des joncs, des linaigrettes, quelques graminées, ainsi que l’Iris des marais (Iris pseudacorus).
Seules deux dicotylédones font partie du groupe des plantes les plus tolérantes au fer : la Pédiculaire des marais et la Parnassie des marais (Parnassia palustris).
Comment ces plantes parviennent-elles à se protéger de cet abus de fer? Elles empêchent tout simplement les ions ferreux de pénétrer dans leurs racines!

La Linaigrette à feuilles étroites (Eriophorum angustifolium) est la plante à fleurs la plus tolérante au fer
Comment cela se passe-t-il?
Les plantes des milieux humides possèdent dans leurs tiges des canaux appelés aérenchymes qui leur permettent de transporter l’oxygène (et d’autres gaz) entre les parties situées au-dessus et en dessous de l’eau. Sans cet apport d’oxygène, les racines ne pourraient pas respirer.
Chez les plantes les plus résistantes au fer, une partie de cet oxygène va être libéré à l’extérieur des racines, dans ce qu’on appelle la rhizosphère (la partie du sol proche des racines).
Cet oxygène va oxyder les ions ferreux, les transformer en hydroxyde de fer, qui est peu soluble et ne pourra donc plus être absorbé par la plante mais se déposera sur les racines sous forme de plaques 3 4.
Notez que toutes les espèces des milieux humides ne sont pas tolérantes au fer. Dans le billet précédent nous vous avons montré le Lychnis fleur de coucou (Lychnis-flos-cuculi). Cette plante est très peu tolérante au fer. Comment expliquer alors qu’elle côtoie la Pédiculaire dans la prairie?
En réalité, les conditions environnementales peuvent changer rapidement, sur un mètre par exemple. Les endroits où poussent les Lychnis s’assèchent sans doute régulièrement. Et le fer qui s’y trouvait a peut-être été lessivé par l’eau et s’est concentré en d’autres coins de la prairie.
Les espèces des milieux humides les moins tolérantes au fer sont, outre le Lychnis : la Reine des prés (Filipendula ulmaria), la Grande oseille (Rumex acetosa),
la Scrofulaire aquatique (Scrophularia auriculata), la Patience aquatique (Rumex hydrolapathum), et l’Epilobe hirsute (Epilobium hirsutum) 2.
Bonjour,
j’ai besoin d’un petit complément d’information par rapport au fer.
La molécule de chlorophylle est constitué d’un »anneau » de porphyrine avec en son centre un atome de magnésium ce qui rappelle d’ailleurs la structure de l’hémoglobine mais cette fois -ci avec un atome de fer.(rappel de cours de lycée)
Ma question est : où et à quel moment intervient le fer dans la formation de la chlorophylle?
Merci de m’éclairer
J’aimeJ’aime
Bonjour Weinzorn.
Le fer n’est pas un composant de la chlorophylle, mais il est toutefois indispensable à sa synthèse. Son rôle précis est loin d’être totalement compris. Voici ce que l’on sait à l’heure actuelle.
La chlorophylle a est la forme principale de chlorophylle. Sa synthèse commence avec l’acide glutamique, un acide aminé. Celui-ci va être transformé en acide 5-aminolévulinique (en abrégé ALA pour 5-AminoLevulinic Acid). Cette transformation se déroule grâce à une enzyme, qui porte le doux nom de glutamyl-tRNA réductase. Et c’est dans le site actif de cette enzyme que le fer est absolument nécessaire (le site actif est la partie de l’enzyme qui va interagir avec les substrats, les molécules de départ, pour former les produits de la réaction).
Deux molécules d’ALA sont ensuite réduites en porphobilinogène (PBG), et quatre molécules de PBG sont ensuite couplées, formant la protoporphyrine IX. Celle-ci va s’unir avec des ions magnésium et ainsi constituer l’essentiel de la chlorophylle a.
J’aimeJ’aime