Partons à la découverte d’une prairie humide du Hageland, une région située à l’est de Louvain. Nous y rencontrerons des plantes typiques de ces milieux, comme le Lychnis fleur de coucou, la Pédiculaire des marais et la Prêle des rivières.
Nous commencerons par le Lychnis, un membre de la famille des Caryophyllacées. Et nous apprendrons ce qu’est une coronule…
Le décor : le Hageland
La Gazette des Plantes vous propose une balade dans le Hageland, une région vallonnée située dans l’est du Brabant flamand, entre les villes de Louvain, Aarschot, Diest et Tirlemont.
Le Hageland est constitué d’une série de collines allongées, orientées grosso modo du sud-ouest au nord-est, séparées par des vallées aux pentes douces.
Vue du ciel, la région ressemble un peu aux petites crêtes formées par la marée sur une plage de sable.
Rien de plus normal car ce relief a été créé par la mer!
Il y a environ quinze millions d’années, durant le Cénozoïque, la mer s’étendait jusqu’à Diest. De forts courants assemblèrent de grands bancs de sable ferrugineux. Ensuite, après le retrait progressif de la mer (il y a 7 millions d’années), ces bancs de sable entrèrent en contact avec l’air et se transformèrent en grès durs, à l’origine des collines actuelles.
Les vallées furent ensuite recouvertes d’une couche de sable et de limon apportés par le vent lors de la dernière glaciation.
Le sol étant peu fertile, la région demeura en grande partie tapissée de bois et de broussailles (hage), même après les grands défrichements du Moyen Age. Bien qu’elle soit désormais devenue très urbanisée, elle conserve toutefois quelques milieux naturels variés: des bois sur sol acide ou basique, des prairies humides, des marécages…
La photo ci-dessus montre une prairie humide, alimentée par une nappe souterraine. L’eau qui sourd est riche en minéraux et permet la croissance de quelques plantes rares. La prairie est fauchée une ou deux fois par an, et des moutons y pâturent le reste du temps.
Le Lychnis fleur de coucou
On voit qu’une bande rose coupe la prairie : ce sont les fleurs du Lychnis fleur de coucou (Lychnis flos-cuculi ou Silene flos-cuculi, les botanistes ne sont pas d’accord sur le genre! 1 – 2).
Ses fleurs sont visibles de loin car elles sont portées par une tige assez élevée (90 cm environ). Ses 5 pétales divisés en 4 fines lanières la rendent facile à identifier. On dirait que quelqu’un s’est amusé à les découper aux ciseaux!
Les Anglais l’appellent d’ailleurs ragged robin, le robin en haillons. Les fleurs sont surtout pollinisées par des papillons.
C’est une plante caractéristique des prairies humides, voire même gorgées d’eau, mais qui peuvent s’assécher à certaines périodes de l’année. Elle préfère les milieux ensoleillés, sur des sols pas trop riches, légèrement acides.
Sa floraison commence en mai, quand le coucou commence à chanter, ce qui explique à la fois son nom vernaculaire ainsi que l’épithète de son nom latin (flos-cuculi signifiant … fleur de coucou).
Elle se terminera en juillet.
Le nom Lychnis quant à lui provient du grec lychnos, lampe, car les feuilles cotonneuses d’une espèce voisine, la Coquelourde des jardins (Lychnis coronaria), étaient autrefois utilisées comme mèches pour les lampes à huile 3.
Dans l’Antiquité, on tressait des guirlandes avec les feuilles de la Coquelourde pour en couronner les vainqueurs des compétitions. Cette coutume est à l’origine de l’épithète de son nom scientifique (coronaria = couronne) 4, mais aussi de son nom anglais, Rose campion (le champion rose) 6. Par extension, plusieurs plantes des genres Lychnis et Silene furent appelées campion en anglais. Le Compagnon rouge dont nous parlerons plus loin est ainsi le Red campion.
Le Lychnis fleur de coucou appartient à la famille des Caryophyllacées. Comme la plupart des membres de cette famille, ses feuilles sont opposées et entières.

Les feuilles opposées du Lychnis fleur de coucou et le calice tubulaire avec ses 10 nervures saillantes et rougeâtres.
Sur le chemin menant à la prairie humide nous avons croisé deux autres Caryophyllacées, très communes et qui sont également en pleine floraison en mai. Arrêtons-nous pour les étudier.
Le Compagnon rouge
Il possède également 5 pétales mais ceux-ci ne sont pas découpés en 4 lanières; ils sont seulement échancrés jusqu’à la moitié de leur partie visible.
Le Compagnon rouge (Silene dioica) fleurit à la même époque que le Lychnis, de mai à juillet.
Comme son nom scientifique l’indique, il est dioïque, ce qui signifie qu’il y a des individus présentant des fleurs mâles desquelles émergent 10 étamines et des individus présentant des fleurs femelles possédant 5 stigmates. Dioïque vient de di, « deux » et du grec ancien oïkos, « maison ».
Les plantes dioïques
La diécie, c’est-à-dire le fait d’avoir des plants femelles et des plants mâles séparés, est évidemment un bon moyen pour imposer la fécondation croisée, et par conséquent pour favoriser la diversification du patrimoine génétique.
Elle est cependant relativement rare : seulement 4% des plantes à fleurs sont dioïques 8. Le désavantage de la diécie est d’accroître la difficulté de la fécondation, puisqu’elle nécessite un contact entre deux individus de sexe différent.
Les plantes dioïques les plus connues vivant dans nos régions sont l’ortie (Urtica dioica), le houx (Ilex aquifolium), les saules (Salix sp.), les peupliers (Populus sp.), le houblon (Humulus lupulus), la bryone dioïque (Bryonia dioica), et la mercuriale annuelle (Mercurialis annua).
A la base de chaque pétale du Compagnon rouge se trouvent 2 petites écailles qui forment une petite couronne blanche, appelée coronule ou paracorolle. La photo ci-dessous montre une fleur mâle; au centre la coronule entoure les étamines.
D’autres plantes possèdent également une coronule. Songez par exemple au Narcisse jaune (Narcissus pseudonarcissus).
Revenons à nos Compagnons. Sur la photo suivante on remarque que le calice des fleurs femelles est plus enflé que celui des fleurs mâles (comparez avec la première photo du Compagnon rouge plus haut). C’est normal puisqu’il renferme l’ovaire, le futur fruit.
Comme celui du Lychnis, le calice pourpre foncé porte des nervures saillantes (10 chez les fleurs mâles, 20 chez les femelles).
Le nom du genre, Silene, provient de Silène, le père nourricier du dieu Dionysos/Bacchus. En effet, la forme renflée des calices rappelle le ventre ballonné de la divinité.
Très commun, le Compagnon rouge pousse dans des endroits un peu plus ombragés et sur des sols frais mais un peu moins humides que le Lychnis fleur de coucou, comme les haies, les bords de chemins et les lisières.
Ce fut autrefois une plante magique. On utilisait notamment ses graines écrasées pour soigner les morsures de serpent. Son nom gallois, Blodyn Neidr, signifie d’ailleurs « fleur de serpent ».
D’autre part, les femmes légères pouvaient le glisser sous leur corsage pour attirer les jeunes hommes 5. Mais dans plusieurs régions il était par contre fortement déconseillé de le cueillir car c’était la fleur des fées 7.
La Stellaire holostée
Un troisième membre de la la famille des Caryophyllacées est présent en nombre le long des chemins boisés du Hageland : il s’agit de la Stellaire holostée (Stellaria holostea).
Comme toutes les Stellaires, celle-ci possède cinq pétales échancrés qui lui donnent l’aspect d’une étoile à dix branches. La corolle est assez grande (2 à 3 cm de diamètre).
Les pétales sont fendus sur la moitié de leur longueur et sont environ deux fois plus longs que les sépales. Ceux-ci sont glabres et leur bord est aminci en une membrane blanchâtre.
Holostée vient du grec holos, « entier » et osteum, « os », et signifie donc « tout en os ». Les tiges sont raides et renflées à chaque nœud comme les os des bras ou des jambes.
Selon la théorie des signatures, la plante était par conséquent indiquée dans le traitement des fractures.
La Stellaire holostée préfère la mi-ombre, des sols pas trop humides, modérément acides et pas trop riches en nutriments. Elle pousse surtout dans les haies, les bosquets et les lisières des bois de feuillus clairs. On la trouve parfois sur les bords herbeux des routes.
Ses graines sont dispersées par les fourmis 9. Cela s’appelle de la myrmécochorie (de myrméco, « fourmi » et chorie, « se mouvoir »)
Les Caryophyllacées
En nous promenant dans le Hageland, nous venons donc de rencontrer trois espèces communes de Caryophyllacées.
Ce sont surtout des plantes herbacées, caractérisées par des fleurs à 5 pétales, et des feuilles simples, entières, généralement opposées. Le nœud, le point d’insertion des feuilles sur la tige, est souvent enflé.
Cette famille compte environ 2.200 espèces vivant essentiellement dans les régions tempérées et chaudes de l’hémisphère nord. Elle occupe la 30ème position dans la liste des familles d’Angiospermes regroupant le plus grand nombre d’espèces 9.
Comme l’indique le schéma ci-dessus, elle fait partie de l’ordre des Caryophyllales. Cet ordre contient au total 38 familles, dont :
– celle des Polygonacées, contenant notamment la Patience à feuilles obtuses (Rumex obtusifolius);
– celle des Droséracées (voir Le Droséra intermédiaire, ou le dilemme cornélien d’une plante carnivore!);
– et celle des Amaranthacées, avec le Chénopode blanc.
Ce dernier est considéré par l’agriculture moderne comme l’une des « pires mauvaises herbes », bien qu’elle soit comestible et consommée depuis des millénaires! Elle se rencontre partout et devient résistante aux herbicides.
La famille des Caryophyllacées comprend 81 genres, dont 26 sont représentés en Belgique (en incluant les Lychnis dans le genre Silene).
Outre les Silènes et les Stellaires évoqués dans ce billet, La Gazette vous a déjà parlé de la Sabline à trois nervures (Moehringia trinervia), de la Saponaire officinale (Saponaria officinalis) et de la Spergulaire rouge (Spergularia rubra).

Les Céraistes sont un autre genre de Caryophyllacées qui ressemblent aux Stellaires (Céraiste aggloméré – Cerastium glomeratum)
Cette famille comprend une plante remarquable, l’une des deux espèces de plantes à fleurs vivant en Antarctique : la Sagine antarctique (Colobanthus quitensis). La seconde est une graminée, la Canche antarctique (Deschampsia antarctica). Elles poussent toutes les deux près du littoral antarctique.
Mais d’ou vient ce nom, Caryophyllacée? Du nom scientifique, et plus précisément de l’épithète, d’un membre de la famille, l’œillet cultivé : Dianthus caryophyllus. En grec ancien karuóphullon signifiait clou de girofle; ce mot grec découlerait lui-même peut-être d’une langue de l’Inde 11. Il a été attribué à l’œillet cultivé par les botanistes du 18è siècle parce que ses fleurs possèdent une odeur qui rappelle le clou de girofle.

L’œillet des Chartreux (Dianthus carthusianorum) est une Caryophyllacée qui pousse dans les lieux herbeux secs et rocheux
Merci, très intéressant !
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Merci Catherine!
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Merci pour tes articles sur les plantes des prés humides. J’apprends plein de choses intéressantes notamment sur l’origine des noms. Tes photos sont précises et belles. A bientôt
Thérèse
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