La cité des plantes : chez le Plantain corne-de-cerf, avantage aux femelles !

Poursuivons notre étude du Plantain corne-de-cerf.
Nous allons voir que chez cette espèce, les fleurs femelles ont l’avantage.
 » Attendez ! Vous vous répétez ! Nous avons vu dans le dernier billet que ce Plantain était protogyne, c’est-à-dire que les fleurs femelles deviennent mûres avant les mâles. Cela suffit non ? « 
Eh non ! Car le Plantain corne-de-cerf est aussi gynodioïque, et c’est de cela que nous allons parler aujourd’hui.


Il est gynodioïque par-dessus le marché ?

Dans un article précédent, nous avons appris que le Plantain corne-de-cerf est protogyne, anémogame et autogame (au moins partiellement). Étonnant n’est-il pas ?

Mais vous ne savez pas tout : il est également gynodioïque !

Un petit moment de désespoir vous étreint ? Pas de panique, ce n’est pas compliqué.

L’étymologie du mot va nous aider.

Commençons par la fin : « dioïque » vient  du grec oïkos (« maison »), auquel on a ajouté le préfixe di (« deux »).
Dioïque est un adjectif qui  signifie donc « qui a deux maisons ». Les botanistes emploient ce terme pour qualifier des plantes qui présentent deux sortes d’individus, en ce qui concerne la disposition des organes reproducteurs. Certains plants n’ont que des organes mâles et les autres, que des organes femelles.

Voulez-vous un exemple bien connu de plante dioïque dans nos régions ? Prenez le Houblon (Humulus lupulus).

Plant femelle de Houblon (Humulus lupulus) : fruit

« Gyno » vient lui du grec ancien gunê (« femme »).

Gynodioïque signifie simplement que certains individus présentent des fleurs hermaphrodites (ayant à la fois des organes mâles et des organes femelles) tandis que d’autres ne possèdent que des fleurs femelles.


Il y en a d’autres !

La Vipérine est gynodioïque

Les plantes gynodioïques ne sont pas courantes (moins d’1 % des espèces d’Angiospermes) 1, mais elles ne sont pas exceptionnelles non plus.

Pour vous en convaincre, citons-en quelques-unes de nos régions (outre le Plantain corne-de-cerf) 2 :

– la Vipérine commune (Echium vulgare),

– le Radis cultivé (Raphanus sativus),

– le Silène enflé (Silene vulgaris),

– le Plantain lancéolé (Plantago lanceolata),

– le Bois de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb),

– le Saxifrage à bulbilles (Saxifraga granulata),

– le Laurier des bois (Daphne laureola),

– la Betterave (Beta vulgaris),

– la Renouée du Japon (Reynoutria japonica)…

Celle-ci n’est gynodioïque que dans sa région d’origine, en Asie orientale 3 . En Europe occidentale, elle n’est en revanche représentée que par des individus femelles et ne se reproduit donc, jusqu’à présent,  que de manière asexuée (végétative) 4 .


Quel avantage y-a-t-il à être gynodioïque ?

« Si l’évolution a permis à toutes ces plantes de subsister, c’est certainement qu’elles doivent y trouver un avantage. Quel est-il? »

Cette (bonne) question intéresse beaucoup les biologistes qui essaient de comprendre les mécanismes de l’évolution. Darwin, toujours lui,  fut le premier à se pencher sur ce sujet. C’est d’ailleurs lui qui inventa le terme de gynodioecy 5.

Il ne semble pas exister une réponse unique à cette question : les explications peuvent être différentes selon les espèces considérées.
Voici quelques pistes.

Les fleurs hermaphrodites sont souvent plus grandes que les femelles (c’est logique car il faut prévoir de la place pour les organes mâles). Étant plus grandes, et par conséquent plus visibles, elles sont susceptibles de séduire plus d’insectes pollinisateurs, ce qui est bien sûr bénéfique. Mais il y a un os : elles vont également attirer plus de prédateurs, les insectes herbivores 6.

D’autre part, la plante utilise évidemment moins de ressources pour fabriquer une fleur femelle qu’une fleur complète. Elle peut employer ces ressources économisées pour produire plus de fleurs et/ou des graines plus grosses, et augmenter ainsi les chances de se reproduire 7.

En ce qui concerne notre Plantain corne-de-cerf, les résultats des études ont mis en évidence que les plants femelles présentent en effet un plus grand nombre de fleurs, ainsi que des graines plus volumineuses 8.

Les plants femelles ont un avantage sur les plants hermaphrodites


Des futures plantes dioïques ?

Beaucoup de biologistes pensent que la gynodioécie n’est qu’un état intermédiaire dans une évolution menant de l’hermaphrodisme à la dioécie.

Rappelons que la dioécie est l’état des plantes dioïques : certains individus ont des fleurs femelles et d’autres des fleurs mâles, sans présence de fleurs hermaphrodites.

La première étape (le passage de l’hermaphrodisme à la gynodioécie) est bien étayée par les avantages qu’affichent les fleurs femelles sur les fleurs hermaphrodites.
En revanche, il n’existe pour le moment que peu de preuves pour appuyer la seconde transition (de la gynodioécie à la diécie pure et dure) 9.
Affaire à suivre donc…

Les plantes gynodioïques (ici le Saxifrage à bulbilles – Saxifraga granulata)
sont-elles en voie de devenir des dioïques pures et dures ?


Pour conclure (provisoirement), nous pouvons dire que notre Plantain corne-de-cerf est un être vivant bigrement intéressant mais aussi un peu insaisissable.
Si vous le rencontrez, et que vous découvrez un pied sur lequel ne poussent que des fleurs femelles, que pouvez-vous en conclure ? Puisque le Plantain est gynodioïque (ayant par conséquent des plants femelles et des plants hermaphrodites), c’est peut-être un individu femelle.
Mais comme le Plantain est aussi protogyne, cela pourrait tout aussi bien être un individu hermaphrodite dont les organes mâles ne se sont pas encore développés !

Que cette interrogation ne vous empêche toutefois pas de dormir paisiblement en attendant le prochain numéro !


Sources :

1 : Wikipedia ; Gynodioecy ; novembre 2017

2 : Mathilde Dufay & Emmanuelle Billard ; How much better are females? The occurrence of female advantage, its proximal causes and its variation within and among gynodioecious species ; Annals of Botany ; Vol. 109 Issue 3 ; 1 février 2012 ; pp. 505–519

3 : Alberternst, B. & Böhmer, H.J. ; Invasive Alien Species Fact Sheet – Fallopia japonica ; Nobanis – Online Database of the European Network on Invasive Alien Species ; 2011

4 : Hollingsworth M. L. & Bailey J. P. ; Evidence for massive clonal growth in the invasive weed Fallopia japonica (Japanese Knotweed) ; Botanical Journal of the Linnean Society ; Vol. 133 n° 4 ; pp. 463-472 ; 2000

5 : Kaul M.L.H.; Gynodioecy – In: Male Sterility in Higher Plants – Monographs on Theoretical and Applied Genetics; vol 10; Springer; 1998

6 : Mathilde Dufay & Emmanuelle Billard; How much better are females? The occurrence of female advantage, its proximal causes and its variation within and among gynodioecious species; Annals of Botany; Volume 109, Issue 3; 1 février 2012, pp. 505–519

7 : Antoine Dornier & Mathilde Dufay; How selfing, inbreeding depression, and pollen limitation impact nuclear-cytoplasmic gynodioecy: a model; Evolution 67-9; pp. 2674–2687; The Society for the Study of Evolution; 2013

8 : Mathilde Dufay & Emmanuelle Billard; How much better are females? The occurrence of female advantage, its proximal causes and its variation within and among gynodioecious species; Annals of Botany; Volume 109, Issue 3; 1 février 2012, pp. 505–519

9 : Rachel B. Spigler & Tia-Lynn Ashman; Gynodioecy to dioecy: are we there yet?; Annals of Botany; Vol. 109 n°3; pp. 531–543; février 2012

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