Une plante mystérieuse proposée par Pascale : la réponse

Levons enfin le voile sur la plante mystérieuse découverte par Pascale.
Le billet sera varié : un peu d’identification, et puis une remontée dans le temps, jusqu’au début de l’agriculture (et même avant).
Et finalement nous accueillerons un nouveau collaborateur de la Gazette qui nous initiera à la taxonomie et la classification phylogénétique. Il répondra à la question que tout le monde se pose: pourquoi diantre cette plante a-t-elle récemment changé de nom ?


Rappels des indices

Le premier :

Le deuxième :

Et le troisième :


La famille

Vous avez quasiment tous trouvé la famille : il s’agit d’une Fabacée.
Les Fabacées, qui étaient autrefois appelées Légumineuses, constituent la troisième plus grande famille d’Angiospermes (les plantes à fleurs) par le nombre d’espèces.

Leurs fleurs sont caractérisées par une architecture particulière (voir photo ci-dessous). La corolle comporte 5 pétales : le pétale supérieur, appelé étendard, est le plus grand. Les 2 pétales latéraux, les ailes, entourent les 2 pétales inférieurs, souvent soudés entre eux et ressemblant à une carène.


Le genre

La famille étant connue, Pascale nous conseille de prendre la Nouvelle Flore de Belgique et des régions voisines (la « Flore bleue ») afin de déterminer le genre 1
Ouvrons donc cette flore à la page des Fabacées.

Premier choix :

le calice est-il fendu jusqu’à la base, en formant une ou deux lèvres ?

Réponse :

comme le montre la photo ci-dessus, le calice est nettement fendu, mais pas jusqu’à la base.

Si nous avions répondu par l’affirmative, nous aurions abouti à des arbustes à fleurs jaunes, dont l’Ajonc d’Europe (Ulex europaeus), ci-dessous.

L’Ajonc d’Europe


Deuxième choix :

les feuilles sont-elles réduites au rachis ?  (Le rachis est l’axe principal, la nervure primaire d’une feuille composée).
Sont-elles simples ou composées ?

Réponse :

les feuilles sont composées.

La photo ci-dessus montre que les feuilles ne sont pas réduites au rachis ; le limbe n’est pas simple mais composé de plusieurs paires de folioles disposées de part et d’autre de l’axe.

Nous pouvons écarter les Genêts (du genre Genista) dont les feuilles sont toujours simples.

Les feuilles simples du Genêt des teinturiers (Genista tinctoria)


Troisième choix :

les feuilles sont-elles composées-digitées, composées-trifoliées ou composées-pennées ?

Des feuilles composées-digitées ont leurs folioles disposées comme les doigts d’une main. Exemple : celles des Lupins.
Des feuilles trifoliées sont composées de 3 folioles. Exemple typique : celles des Trèfles.
Dans une feuille pennée, les folioles sont disposées de part et d’autre du rachis.

Réponse :

les feuilles sont clairement composées-pennées.

Les Luzernes (Medicago), les Mélilots (Melilotus) et certains Genêts (dans le genre Cytisus) possèdent des feuilles trifoliées, tout comme les Trèfles (Trifolium). Nous pouvons donc éliminer ces genres.

Feuille trifoliée du Genêt à balais (Cytisus scoparius)


Quatrième choix :

les feuilles sont-elles terminées par une vrille, ou bien par une foliole ?

Réponse :

les feuilles sont terminées par une vrille.

Si les feuilles de notre plante mystérieuse avaient été terminées par une foliole, nous aurions pu nous trouver face à une Vulnéraire (Anthyllis vulneraria), une Astragale (Astragalus glycyphyllos), une Hippocrépide en ombelle (Hippocrepis comosa), ou encore une Coronille bigarrée (Coronilla varia ou Securigera varia).

La feuille de la Vulnéraire est terminée par une foliole


Cinquième choix :

Il nous faut maintenant examiner le calice ainsi que les stipules :

→ les dents du calice sont-elles plutôt ovales, ou bien lancéolées / subulées (subulé signifie qui s’effile en pointe) ?

→ Les stipules sont-elles plus grandes ou plus petites que les folioles
(les stipules sont les pièces foliaires situées au point d’insertion de la feuille sur la tige) ?

Réponse :

les dents du calice sont manifestement subulées.
Et les stipules sont indubitablement plus petites que les folioles.

La plante mystérieuse n’est donc pas un Pois (genre Pisum).


Sixième choix :

les dents du calice sont-elles plus de 2 fois aussi longues que le tube, ou non ?
Et sont-elles égales entre elles ?

Réponse :

les dents du calice sont plus de deux fois aussi longues que le tube, et égales entre elles.

La plante mystérieuse ne peut donc être une Vesce (genre Vicia) ou une Gesse (genre Lathyrus).


Vesce cultivée (Vicia sativa) :
les dents du calice sont plus ou moins égales au tube.

Et puisqu’il n’y a qu’une seule espèce du genre Lens dans nos régions, nous avons également trouvé l’espèce : Lens culinaris, la Lentille cultivée.

Félicitations à : Guido Schütz, Danielle Fontaine, Claude Lerat-Gentet, Nicole Bouëzet, et Benjamin Mason qui ont trouvé la bonne réponse, et merci à toutes les personnes qui ont participé !


Ses origines

Selon des études génétiques, la Lentille cultivée dérive probablement de l’espèce sauvage Lens orientalis, aussi nommée Lens culinaris subsp. orientalis, Vicia orientalis ou Vicia lens subsp. orientalis.

Cette progénitrice est originaire d’une zone allant du Sud-Est de l’Europe (Grèce et Chypre) jusqu’à l’Asie centrale (Afghanistan et Pakistan) en passant par le Proche-Orient 2

Les populations sauvages ne sont pas de bonnes compétitrices face aux autres plantes herbacées. De plus, les herbivores les trouvent très appétissantes.
Elles se réfugient donc dans des endroits arides : des sols pauvres, superficiels, souvent empierrés, à des altitudes allant de 500 à 1.700 m. La concurrence des autres végétaux et la prédation des animaux y sont réduites. Les Lentilles sauvages y forment généralement de petites populations disjointes 6

Les deux espèces, la sauvage et la cultivée, peuvent encore être croisées entre elles et produisent des graines fertiles.


Sa domestication

Les premières traces

La Lentille fut l’une des premières plantes cultivées, et la première légumineuse (Fabacée).

Des restes carbonisés de Lentille furent retrouvés dans la grotte Franchthi, en Grèce, un site occupé par l’homme depuis le Paléolithique. Ces restes sont datés de 11.000 ans avant notre ère environ et étaient accompagnés de deux céréales, l’Amidonnier (Triticum turgidum subsp. dicoccum) et l’Orge (Hordeum vulgare) 5

D’autres graines furent découvertes sur des sites syriens (8.500 – 7.500 avant notre ère).

Il est impossible de déterminer si ces graines appartenaient à l’espèce sauvage ou à l’espèce cultivée, et donc si la plante était à cette époque simplement cueillie ou déjà cultivée.

Il faut également demeurer prudent à l’égard de restes végétaux trouvés dans les sites préhistoriques. Jouaient-ils vraiment un rôle dans l’alimentation, ou bien avaient-il été amenés avec des matériaux de construction 12

En revanche, des stocks importants de graines découverts sur un site au nord d’Israël semblent attester que la Lentille faisait bien l’objet d’une culture vers -6.800 4


Les raisons du choix

C’est une excellente question, et la réponse n’est pas évidente.

Énonçons d’abord quelques faits tirés des observations.

Les graines des Lentilles sauvages sont petites. Les plantes poussent, nous l’avons déjà mentionné ci-dessus, en populations séparées et de taille très variable mais souvent réduite (de 0 à 200 plants).
En conséquence de quoi, une étude israélienne réalisée en 2006 et 2007 a montré qu’une récolte n’atteignait en général pas 15 g par heure de collecte.

La faible productivité des Lentilles sauvages contraste fortement avec les rendements obtenus dans les populations de blé et d’orge sauvages. Là, il est fréquent de pouvoir récolter de 200 g à 1 kg de graines par heure 8

De plus, étant donné que Lens orientalis pousse souvent en compagnie d’autres Fabacées semblables telles que des Gesses (Lathyrus), des Vesces (Vicia), des Luzernes (Medicago) et des Trèfles (Trifolium), il n’est pas rare que des graines de ces espèces se retrouvent également dans la récolte 7

Ces résultats expérimentaux confortent l’idée que les Lentilles sauvages, à petites graines et faibles rendements, ne constituaient probablement pas une ressource alimentaire importante dans l’économie de subsistance des chasseurs-cueilleurs.

Le voici : les graines des Lentilles ont une teneur très élevée en protéines.

Les graines de Lens orientalis ont en moyenne une teneur en protéines allant de
20 à 35 % 9

Or, il est important de noter que la domestication des premières céréales (blés, orge), du fait de la sélection par les agriculteurs de certaines de leurs caractéristiques (notamment des graines plus grandes), entraîna corrélativement une diminution de la concentration des protéines présentes dans ces graines 10 – 11

Ceci nous fournit donc un premier indice sur le rôle possible des Lentilles (et d’autres Fabacées comme les pois) dans l’alimentation des premières communautés agricoles. Les premiers cultivateurs ont peut-être souffert de carences et se seraient rendus compte que la consommation de légumineuses leur permettait de satisfaire certains besoins fondamentaux auxquels les céréales ne pourvoyaient plus.

Les protéines sont des macromolécules présentes dans toutes les cellules vivantes. Lors de la digestion, les protéines contenues dans nos aliments sont décomposées en acides aminés indispensables pour l’organisme.

Nous avons vu que la teneur des Lentilles en protéines est élevée, mais il faut toutefois ajouter que ces protéines contiennent peu de méthionine et de cystine, deux acides aminés essentiels 16
Pas question donc de ne manger que des plats de lentilles !

Outre leur richesse en protéines, mentionnons que les Lentilles contiennent aussi des minéraux comme le calcium, le phosphore, le fer et de la vitamine B.

Il est également possible que les populations de chasseurs-cueilleurs aient tout bonnement développé un goût pour les Lentilles lors de leurs collectes dans la nature.  Mais étant donné les rendements que nous avons évoqués ci-dessus, cela devait être une friandise rare et saisonnière. La culture de parcelles de Lentilles permit peut-être aux premiers agriculteurs de satisfaire de manière plus régulière leur gourmandise.

D’autres raisons encore ont probablement joué en faveur de la domestication des Lentilles. Notamment le fait que les Lentilles tolèrent des conditions difficiles, des sols pauvres et des climats rudes.


L’évolution vers l’espèce cultivée

Nos ancêtres ont sélectionné parmi les plants de l’espèce sauvage ceux dont les gousses ne s’ouvraient pas à maturité, ce qui permettait de conserver les graines plus longtemps.

Hasard heureux pour nos ancêtres : la plante s’autopollinise, ce qui maintient la stabilité des caractères sélectionnés d’une génération à l’autre et favorise par conséquent la domestication. Remarquons, et ce n’est pas étonnant, que l’autopollinisation est très commune parmi les espèces végétales cultivées (le blé par exemple) 3


Lens culinaris aujourd’hui

En 2018, les 2 principaux pays producteurs étaient le Canada et l’Inde, suivi de loin par les États-Unis et la Turquie 13
La France est un très petit producteur (moins de 0.5 % de la production mondiale). Et jusqu’à récemment, la Lentille n’était quasiment pas présente en Belgique. Mais ces dernières années, quelques jeunes agriculteurs belges se sont lancés dans l’aventure 14

Bien que Lens culinaris ne pousse normalement pas à l’état sauvage, elle peut parfois s’échapper des cultures et se retrouver le long des chemins.

On peut aussi la rencontrer dans les zones portuaires (suite aux graines déversées sur les quais de déchargement). On l’observe de temps en temps dans des habitats urbains (pieds de mur, fissures dans le trottoir, etc.), où elle se développe vraisemblablement à partir de déchets de graines d’oiseaux 15
Mais ces cas restent très rares en Belgique, comme le montre la carte des observations durant la dernière décennie.

Observations de Lens culinaris en Belgique (4/2010 -> 4/2020)
Source : Observations.be

En France, pays producteur, les observations sont un peu plus fréquentes.

Lens culinaris : observations en Europe (2010-2020).
Source : GBIF


Le coin du gourmet

Les graines des Lentilles ne peuvent pas être mangées crues.

Elles contiennent en effet des facteurs antinutritionnels, c’est-à-dire des composés qui empêchent l’absorption des nutriments par l’organisme. En ce qui concerne la Lentille, ces facteurs sont constitués essentiellement par des tanins et l’acide phytique 17

L’acide phytique (du grec ancien phytón , « végétal ») est la principale forme de stockage du phosphore dans les plantes.
Le problème est que cet acide phytique se lie également à d’autres minéraux (le fer, le zinc, le magnésium, ou encore le calcium). Ce faisant, il empêche l’assimilation de ces minéraux par l’organisme.

Un moyen de se débarrasser des facteurs antinutritionnels est de manger des graines germées. Lors de la germination, des produits peu digestes comme l’acide phytique sont en effet décomposés, et les quantités de minéraux et de vitamines augmentent. Il faut toutefois se méfier de la contamination des graines germées non cuites par des bactéries.

Le Sureau noir (Sambucus nigra)
est une autre plante riche en lectines.

Ce n’est pas tout : les graines de Lentilles (surtout leur enveloppe) sont également riches en lectines, des protéines qui ont un rôle de défense chimique des plantes contre les animaux herbivores en perturbant le fonctionnement de leur tube digestif 18

Chez l’homme aussi, la consommation de lectines est la cause de diarrhées et de vomissements.

Heureusement, il suffit de cuire les graines de Lentilles afin de diminuer la toxicité des lectines.

Après tous ces avertissements préliminaires, nous pouvons enfin songer à les manger!

Elles peuvent être consommées de diverses manières, comme plat principal ou en accompagnement.

On peut les manger sous forme de galettes frites, ou en faire de la farine qui servira à préparer de la soupe, du ragoût ou de la purée. Mélangée à des céréales, cette farine pourra être transformée en pains ou en gâteaux.

Les recettes sont nombreuses et tentantes. En voici quelques-unes sur le Marmiton. Bon appétit !


Le coin des taxonomistes

Nous n’échapperons pas, cette fois encore, au débat taxonomique !

La taxonomie, hier et aujourd’hui

La taxonomie est la discipline qui a pour objet de classer les organismes vivants en ensembles, tels que les familles, les genres et les espèces. Ces ensembles sont appelés taxons.
Taxonomie (ou taxinomie) vient du grec taxis « classement », et de nomos « loi ».

Rappelons premièrement que la taxonomie ne sert pas qu’à classer les êtres vivants, mais également à les nommer. Comme nous l’avons déjà vu dans un billet précédent (Une introduction à la nomenclature binominale), le nom scientifique est en effet composé du nom du genre, suivi d’une épithète.

Une fleur à deux lèvres, typique des Lamiacées.
Galéopsis bifide (Galeopsis bifida)

Auparavant, on regroupait les plantes en familles, genres, espèces, etc. sur la base de critères morphologiques.
On se basait sur les ressemblances dans la forme des organes : la tige, les feuilles, les fleurs, les fruits, les racines, etc. pour en déduire des relations de parenté.

Une tige carrée, des feuilles opposées et décussées, une corolle à deux lèvres, et il y avait de bonnes chances que l’on soit en face d’une Lamiacée (photo ci-contre) …

C’était avant la découverte de l’ADN, avant le début des analyses génétiques. Désormais, la taxonomie moderne prend en compte non seulement les similitudes entre les caractères visibles, mais aussi et surtout entre des séquences d’ADN et d’ARN, des protéines etc., afin de trouver le degré de parenté entre les espèces.

Ces degrés de parenté sont fréquemment visualisés au moyen d’arbres phylogénétiques, comme celui représenté ci-dessous.

Un arbre phylogénétique ressemble à un arbre généalogique. Les rectangles figurent des groupes d’espèces, des taxons. Selon le cas étudié, ce pourraient être des familles, des genres, etc.

Chacun des nœuds de l’arbre (en gris) représente l’ancêtre commun des rectangles mis en-dessous. Au plus les rectangles sont proches, au plus les espèces incluses sont proches dans l’évolution.

Il y a cependant une différence de taille avec un arbre généalogique : tous les rectangles, y compris ceux placés en haut du schéma, symbolisent un groupe d’espèces vivant actuellement.

Dans les articles scientifiques, les spécialistes utilisent d’ailleurs de préférence une autre représentation, plus correcte visuellement, plus aisée à intégrer dans une revue, mais moins facile à déchiffrer :

Terminons cet exposé en rappelant un grand principe de la taxonomie d’aujourd’hui :

les taxonomistes essaient désormais que chaque taxon (famille, tribu, genre, etc.) soit monophylétique.

Sur le schéma suivant, l’ensemble regroupant les taxons coloriés en vert est bien monophylétique : il comprend un ancêtre commun et tous ses descendants.

En revanche l’ensemble colorié en vert dans l’arbre ci-dessous n’est pas monophylétique. L’ancêtre commun de cet ensemble a parmi ses descendants les espèces incluses dans le rectangle rouge. L’ensemble vert est dit paraphylétique.

Encore un dernier point très important : tous les taxons (classes, familles, genres etc…) sont des concepts humains, et par conséquent, arbitraires. Certes, ils apparaissent, à une époque donnée, scientifiquement pertinents en fonction des connaissances du moment, mais comme ces connaissances changent, les concepts évoluent également.
Le seul taxon plus ou moins stable est celui de l’espèce, et encore, cela se discute !


La grande majorité des flores, des bases de données et des articles scientifiques utilisent le nom latin Lens culinaris pour désigner la Lentille cultivée, et la placent donc dans un genre séparé, Lens. C’est par exemple le cas (en août 2020) pour Observation.org, Tropicos, Catalogue of Life et World Flora Online.

En revanche, Plants of the World online et Tela Botanica préconisent Vicia lens, et la mettent par conséquent dans le genre Vicia. Pourquoi ce désaccord ?

Les Gesses font partie de la tribu des Fabeae,
tout comme les Vesces ou les Pois.
Ici la Gesse des bois (Lathyrus silvestris)

Le 25 décembre 2012 parut dans la revue BMC Evolutionary Biology  une étude réalisée par une équipe dirigée par un biologiste allemand, Hanno Schaefer. Le sujet en était l’évolution et la classification des Fabeae 19

Les Fabeae sont une tribu de la famille des Fabacées, une tribu qui regroupe cinq genres : Lathyrus (les Gesses), Vicia (les Vesces), Lens (les Lentilles), Pisum (les Pois), et Vavilovia (un genre du Moyen-Orient).

Cette étude a permis à Schaefer et ses collaborateurs de dresser l’arbre phylogénétique des Fabeae le plus probable, arbre dont vous avez une version simplifiée ci-dessous (cliquez sur l’image pour l’agrandir).

Il a été réalisé en comparant des fragments d’ADN de nombreuses espèces de Fabeae. Cet arbre phylogénétique montre, comme nous l’avons expliqué dans l’encadré précédent, les relations de parenté entre les différents genres ou sections de genre, représentés par des rectangles colorés (les couleurs sont expliquées dans la légende).

Arbre phylogénétique le plus probable des Fabeae.
En vert : le genre Lens (les Lentilles).
En bleu : les différentes sections composant le genre Vicia (les Vesces).
En rose : les différentes sections composant le genre Lathyrus (les Gesses).
En orange : le genre Vavilovia.
En rouge: le genre Pisum (les Pois).
Source : Schaefer et al. (2012).
Cliquez sur l’arbre pour l’agrandir.

Rassurez-vous : nous n’aurons pas besoin d’entrer dans les détails de cet arbre. En regardant simplement les couleurs, nous pourrons dégager rapidement quelques conclusions !

Les Lentilles (en vert), les Pois (en rouge) et le genre Vavilovia (en orange) forment de petits genres parfaitement monophylétiques.

Jusqu’ici, tout va donc bien.

Mais cela se gâte si nous examinons les Vesces (les rectangles bleus). Le genre Vicia est un genre assez vaste, comprenant entre 140 et 200 espèces, selon les sources. Il a dans l’étude été divisé en plusieurs sections.

Cherchons le dernier ancêtre commun de toutes les sections du genre Vicia. Il est indiqué par une flèche bleue dans l’arbre ci-dessous.

Que constatons-nous ? Ce dernier ancêtre commun des Vesces a dans sa descendance, outre les sections du genre Vicia, également les sections du genre Lathyrus (les Gesses, en rose), ainsi que les Lentilles (en vert), les Pois (en rouge) et le genre Vavilovia (en orange).  En fait, toute la tribu des Fabeae ! Le genre Vicia n’est donc pas monophylétique.

Refaisons l’exercice pour les Gesses (les rectangles roses).
Le dernier ancêtre commun est indiqué par une flèche rose dans l’arbre ci-dessous. Le constat est le même. On retrouve dans sa descendance presque toutes les Vesces, ainsi que les Lentilles, les Pois et le genre Vavilovia.

Les genres Vicia (Vesces) et  Lathyrus (Gesses), tels qu’ils sont définis actuellement, sont donc paraphylétiques. Ils n’englobent pas tous les descendants de leur dernier ancêtre commun.


Après avoir analysé les relations de parenté au sein de la tribu des Fabeae, l’équipe de Schaefer a émis des propositions afin de rendre les genres monophylétiques, et donc conformes au grand principe de la taxonomie actuelle.

Ces suggestions sont reprises dans l’arbre ci-dessous. Il y aurait 6 changements et on aboutirait à 4 genres au lieu des 5 actuellement.

Passons-les brièvement en revue. Cela vous permettra de comprendre certaines modifications de noms apportées par Flora Gallica et Tela Botanica.

► Le changement n° 1 concerne la Gesse des rochers (Lathyrus saxatilis) qui devient une Vesce, Vicia saxatilis (le rectangle rose devient bleu).

► Le changement n° 2 a trait aux Lentilles (Lens) : elles ne forment plus un genre séparé mais sont également intégrées aux Vesces (le rectangle vert devient bleu).
Lens culinaris s’appelle désormais Vicia lens, et l’espèce sauvage devient Vicia lens subsp. orientalis.

► Le changement n° 3 intéresse les Pois : le genre Pisum disparaît pour rejoindre les Gesses (le rectangle rouge devient rose). Le Pois cultivé (Pisum sativum) est rebaptisé Lathyrus oleraceus.

► Même chose pour le genre Vavilovia, qui se fond dans les Gesses (changement n° 4 : le rectangle orange devient rose).

► Deux nouveaux genres sont créés à partir de certaines Vesces. Le premier est nommé Ervum (n° 5). La Vesce à quatre graines (Vicia tetrasperma) se transforme donc en Ervum tetraspermum.

► Ervilia est l’autre nouveau genre (changement n° 6). Nous observerons par conséquent lors de nos prochaines balades botaniques  Ervilia sylvatica à la place de Vicia sylvatica (la Vesce des bois) ; et Ervilia hirsuta au lieu de Vicia hirsuta (la Vesce hérissée).

Attention : les noms proposés par Schaefer ne sont pas (encore ?) adoptés par la majorité des flores et des bases de données. En effet, ce n’est pas la seule solution possible pour rendre les genres monophylétiques, bien que cela soit celle qui occasionnerait le moins de changements dans les noms scientifiques.

Ci-dessous, nous avons représenté une autre solution, plus analytique. Elle aboutirait à 12 genres différents et un plus grand nombre de noms modifiés. Son avantage serait par contre de mieux cerner la proximité, du point de vue de l’évolution, entre les diverses espèces de la tribu.

Il est donc souhaitable de garder à l’esprit les anciennes et les nouvelles dénominations. C’est un bon exercice pour la mémoire !


Sources :

1 : Jacques Lambinon & Filip Verloove ; Nouvelle flore de la Belgique, du grand-duché de Luxembourg, du Nord de la France et des Régions voisines ; Edition du Jardin botanique de Meise ; 2015

2 : Yadav, McNeil & Stevenson ; Lentil : An ancient crop for modern times ; Springer Science & Business Media ; 2007 ; p. 4

3 : Yadav, McNeil & Stevenson ; Lentil : An ancient crop for modern times ; Springer Science & Business Media ; 2007 ; p. 5

4 : Yadav, McNeil & Stevenson ; Lentil : An ancient crop for modern times ; Springer Science & Business Media ; 2007 ; p. 4

5 : Susan E. Allen ; Second Impressions: Expanding the Range of Cereals from Early Neolithic Franchthi Cave, Greece ; Ethnobiology Letters ; 2018 ; Volume 9 ; n° 2 ; pp. 189–196

6 : Efrat Schwartz et al. ; Wild lentil and chickpea harvest in Israel: bearing on the origins of Near Eastern farming ; Journal of Archaeological Science ; volume 35 ; n° 12 ; pp. 3173 ; décembre 2008

7 : Efrat Schwartz et al. ; Wild lentil and chickpea harvest in Israel: bearing on the origins of Near Eastern farming ; Journal of Archaeological Science ; volume 35 ; n° 12 ;
pp. 3174 ; décembre 2008

8 : Efrat Schwartz et al. ; Wild lentil and chickpea harvest in Israel: bearing on the origins of Near Eastern farming ; Journal of Archaeological Science ; volume 35 ; n° 12 ; pp. 3175 ; décembre 2008

9 : Jitendra Kumar et al. ; Protein content in wild and cultivated taxa of lentil (Lens culinaris ssp. culinaris Medikus) ; Indian Journal of Genetics and Plant Breeding ; volume 76 ; n° 4 ; novembre 2016

10 : Peleg, Zvi et al. ; Genetic analysis of wheat domestication and evolution under domestication ; Journal of experimental botany ; volume 62 ; n° 14 ; 2011 ; pp. 5051-61 doi:10.1093/jxb/err206

11 : Matthew Haas et al. ; Domestication and crop evolution of wheat and barley: Genes, genomics, and future directions ; Journal of Integrative Plant Biology ; Volume 61, n° 3 ; pp. 204 – 225 ; mars 2019

12 : Efrat Schwartz et al. ; Wild lentil and chickpea harvest in Israel: bearing on the origins of Near Eastern farming ; Journal of Archaeological Science ; volume 35 ; n° 12 ; pp. 3177 ; décembre 2008

13 : FAOSTAT ; page consultée le 18 août 2020

14 : Arnaud Pilet ; Blonde, corail ou verte, la lentille belge va-t-elle bientôt envahir notre assiette ? ; RTBF ; 28 août 2019

15 : Quentin Groom ; Lens culinaris ; Manual of the Alien Plants of Belgium ; 31/5/2012

16 : Jati et al. ; Antioxidant Activity of Anthocyanins in Common Legume Grains ; in : Bioactive Food as Dietary Interventions for Liver and Gastrointestinal Disease ; 2013 ; pp. 485-497 

17 : Jati et al. ; Antioxidant Activity of Anthocyanins in Common Legume Grains ; in : Bioactive Food as Dietary Interventions for Liver and Gastrointestinal Disease ; 2013 ; pp. 485-497 

18 : Els J.M. Van Damme ; Plant Lectins as Part of the Plant Defense System Against Insects ; in : Induced Plant Resistance to Herbivory ; Springer ; pp 285-307 ; 2008  

19 : Schaefer, H. et al. ; Systematics, biogeography, and character evolution of the legume tribe Fabeae with special focus on the middle-Atlantic island lineages ; BMC Evolution Biology ; volume 12 ; n° 250 ; 2012  

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2 commentaires pour Une plante mystérieuse proposée par Pascale : la réponse

  1. Pascale Hindricq dit :

    Merci Stéphane et Anémone, quelle mine d’informations.
    Je n’imaginais pas que cette observation ferait l’objet d’un article aussi complet et super intéressant.

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  2. Hélène Despeyroux dit :

    Merci Stéphane et jolie Anémone!
    Une étude aussi complète à partir d’une devinette….on se laisse prendre au jeu!
    Nous en redemandons!

    J’aime

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