Imaginez qu’un champignon parvienne à pirater nos organes sexuels afin de se reproduire.
Cela semble de la science-fiction, mais une équipe de botanistes a cependant découvert une situation similaire en Guyana : un champignon fabriquant de fausses fleurs afin de propager ses spores.
Scène et acteurs du drame
Les fleurs factices furent récoltées en 2010 et 2012, lors de missions botaniques dans la savane des Pacaraima, une chaîne montagneuse située en Guyana. Cette région appartient au plateau (ou bouclier) des Guyanes, qui englobe la majeure partie du Guyana, du Surinam, de la Guyane française, ainsi qu’une partie du nord du Brésil, de l’est de la Colombie et du sud du Venezuela. Cette zone est particulièrement riche en espèces endémiques.
Le champignon qui fabrique ces fleurs postiches, Fusarium xyrophilum, est une nouvelle sorte qui a été identifiée au cours de l’étude.
Le genre Fusarium contient de nombreux pathogènes qui provoquent des maladies (appelées fusarioses) dans les cultures. D’autres espèces de ce genre peuvent contaminer des denrées alimentaires et de la nourriture pour animaux au moyen de mycotoxines.
Fusarium vient du latin fusus car ses spores sont en forme de fuseau.
Deux espèces de plantes sont infectées par ce champignon ; il s’agit de Xyris setigera et Xyris surinamensis. Les Xyris sont appelés en anglais yellow-eyed grasses, les « herbes aux yeux jaunes ». Xyris est dérivé du grec xyrafi, « rasoir », une référence aux feuilles à bords tranchants de certaines espèces 4.
Ce genre, le plus important dans la famille des Xyridacées, compte plus de 250 sortes réparties surtout dans les régions tropicales et subtropicales. Elles sont particulièrement nombreuses dans les Guyanes. Leur distribution s’étend toutefois également dans les zones tempérées comme l’est des États-Unis.
Résumé de la pièce
Le champignon empêche la plante de développer ses inflorescences ; il la stérilise.
Les individus infectés paraissent semblables à leurs congénères sains, à l’exception des fleurs, qui sont constituées entièrement de tissu fongique 1.
Ces pseudofleurs montrent des structures imitant des pétales, mais sans étamines ni pistil.

Xyris surinamensis
A : apparition d’ une pseudofleur
B : pseudofleur à maturité
C : pseudofleur surmontant un fruit partiellement développé
D : fleur normale
© : Laraba et al. ; novembre 2020
Pourquoi un champignon se donne-t-il la peine d’imiter les fleurs de ces Xyris ? Pour attirer des insectes pollinisateurs, notamment des abeilles.
Certes, les pseudofleurs ne copient que grossièrement la forme des fleurs authentiques. Toutefois, lorsque les chercheurs les ont analysées, ils ont découvert qu’elles étaient des fac-similés parfaits à d’autres points de vue.
Premièrement, le champignon produit deux pigments qui réfléchissent la lumière ultraviolette précisément dans les longueurs d’onde auxquelles les pollinisateurs sont sensibles, tout comme le font les vraies fleurs de Xyris.
De plus, il fabrique des substances volatiles qui attirent ces mêmes insectes. De nouveau, au moins l’un de ces composés correspond exactement à un parfum émis par les fleurs de Xyris 2.
Les observations sur le terrain ont confirmé que les pseudofleurs étaient bien visitées par des abeilles, à l’instar des fleurs authentiques. Les contrefaçons sont par conséquent de bonne qualité.
Cette sorte de Fusarium ne peut probablement exister que sur les deux espèces de Xyris mentionnées ci-dessus, Xyris setigera et Xyris surinamensis. Bien que ces plantes soient vivaces, elles ne vivent cependant pas éternellement. Pour assurer sa survie, Fusarium xyrophilum doit donc infecter d’autres individus.
Les abeilles et autres pollinisateurs visitent les pseudofleurs, espérant être récompensés par du pollen (les fleurs de Xyris ne produisent pas de nectar). Au lieu de cela, ils se retrouvent enduits de spores du champignon, qu’ils emportent involontairement vers des Xyris voisins.

Les scientifiques ne savent pas encore si Fusarium xyrophilum est un champignon se reproduisant exclusivement de manière asexuée ou si cette espèce utilise la fécondation croisée 3.
Dans le premier cas, l’insecte pollinisateur transporte les conidies (les spores asexuées – du grec konidion, « petite poussière ») sur une autre plante où elles peuvent germer et développer un nouvel organisme fongique, un clone du parent. On pourrait comparer cela à un bouturage.Toutefois, selon les observations effectuées, Fusarium xyrophilum pourrait posséder un mode de reproduction sexuée. Il serait un champignon hétérothallique. L’hétérothallisme implique que deux individus, indistinguables morphologiquement mais différents génétiquement, sont nécessaires pour permettre la reproduction. Ils sont souvent notés A et a (ou + et –).
Les insectes pollinisateurs, en acheminant les conidies de ces deux individus sur une même plante, facilitent la reproduction croisée.
C’est du moins une hypothèse émise par les chercheurs. Ils soulignent que les populations de Xyris pourraient en fait profiter de l’infection de quelques individus. En effet, les vraies fleurs de Xyris ne durent que quelques heures, tandis que les pseudofleurs se maintiennent plusieurs jours. Elles pourraient donc attirer plus de pollinisateurs dans la zone, au bénéfice des plantes saines 5.
D’autres exemples de mimétisme floral
Le mimétisme floral le plus étudié par les scientifiques est celui de la rouille Puccinia monoica, qui s’attaque à une Brassicacée, Boechera strictae, proche cousine de nos Arabettes. Le champignon reprogramme la plante pour fabriquer des feuilles ressemblant à des fleurs. Ces pseudofleurs émettent un fluide sucré qui attire les insectes. Ceux-ci, en déplaçant les spores vers d’autres Boechera, facilitent la reproduction croisée du champignon.
Dans nos contrées, on rencontre assez fréquemment des Euphorbes petit-cyprès, Euphorbia cyparissias, à l’aspect radicalement transformé. Elles sont infestées par un champignon nommé Uromyces pisi-sativi, la rouille du pois. Il stérilise la plante, empêchant donc sa floraison, et modifie les feuilles pour qu’elles copient une inflorescence (voir photo ci-dessous) et dégagent une sorte de nectar.

Euphorbe petit-cyprès (Euphorbia cyparissias)
À gauche : inflorescence normale
À droite : plante parasitée par un champignon, Uromyces pisi, la rouille du pois.
On distingue, sur la face inférieure des feuilles de la plante parasitée, des points de couleur orange : ce sont les zones d’émission des spores du champignon.
Une situation similaire se produit lorsque les feuilles des myrtilles sont infectées par le champignon Monilinia. Il transforme les feuilles en fleurs factices qui réfléchissent la lumière ultraviolette, dégagent une odeur parfumée et suintent du sucre pour attirer les insectes pollinisateurs. Ceux-ci vont alors emporter les spores vers de nouvelles plantes 6.
Dans tous ces exemples, les pseudofleurs sont des tissus botaniques : ce sont des feuilles modifiées.
L’interaction entre Fusarium xyrophilum et les Xyris est le seul cas connu où la fausse fleur est entièrement fongique 7 !
Vous trouverez un addendum à cet article dans le billet suivant :
Champignon parasitant une fleur : un autre exemple !
Sources :
1 : Laraba et al. ; Pseudoflowers produced by Fusarium xyrophilum on yellow-eyed grass (Xyris spp.) in Guyana : A novel floral mimicry system? ; Fungal Genetics and Biology ; volume 144 ; novembre 2020 ↑
2 : Candeias Matt ; A Newly Described Fungus That Mimics Flowers ; In Defense of Plants ; 7 février 2021 ↑
3 : Laraba et al. ; Fusarium xyrophilum, sp. nov., a member of the Fusarium fujikuroi species complex recovered from pseudoflowers on yellow-eyed grass (Xyris spp.) from Guyana ; Mycologia ; volume 112 ; n° 1 ; 2020 ↑
4 : Christenhusz, Fay & Chase ; Plants of the World ; Royal Botanic Gardens, Kew ; 2017 ; p. 197 ↑
5 : Candeias Matt ; A Newly Described Fungus That Mimics Flowers ; In Defense of Plants ; 7 février 2021 ↑
6 : Simons P. ; Fungus creates fake fragrant flowers to fool bees ; The Guardian ; 17 février 2021 ↑
7 : Runwal P. ; This Flower Is Really a Fungus in Disguise ; Scientific American ; 2 février 2021 ↑
Super ! Encore une découverte à propos des champignons, Règne qui me fascine ! Merci !
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Bravo pour cet article! C’est incroyable!
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Extraordinaire.Merci pour cet article vraiment passionnant !
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Bonjour, merci pour vos articles en général et celui-ci en particulier, c’est toujours une sensation agréable que de comprendre de nouvelles choses. Je me permet une petite incursion pour vous indiquer l’existence des champignons du genre Microbotryum. Très présents en Europe occidentale, ils parasitent des plantes (surtout des Caryophyllacées) et transforment leurs anthères pour diffuser leurs spores violet sombre à la place du pollen par l’intermédiaire des insectes pollinisateurs. Par exemple, une plante très courante comme Saponaria officinalis est régulièrement parasitée par chez moi en Auvergne et c’est loin d’être la seule. La maladie se nomme le charbon des anthères. J’ai écrit un article sur wikipédia si ça vous intéresse ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Microbotryum ). Bonne continuation et au plaisir de vous lire.
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