Devinette vernale

Lors d’une promenade, nous sommes tombés sur une plante modeste, singulière et inconnue. Nous allons de nouveau faire appel à votre sagacité coutumière afin de l’identifier. 
Et nous terminerons ce billet en vous racontant une histoire printanière, dramatique et botanique, remontant à la nuit des temps… 


Examinez-la bien :

Vous rappelle-t-elle quelque chose$?

Envoyez-nous vite votre suggestion au moyen du champ «$Votre commentaire$» ci-dessous. Rassurez-vous, seules les bonnes réponses seront publiées$!


Laissons la plume, ou plutôt le calame, à Ovide et déroulons le livre III des Métamorphoses$1.

Jadis, le fleuve dieu Céphise arrêta les pas de la blonde nymphe Liriope dans ses flots tortueux, la soumit à sa violence, et la rendit mère d’un enfant si beau, que les Nymphes l’aimaient déjà dès sa plus tendre enfance. Narcisse était son nom. Le devin Tirésias, interrogé si cet enfant atteindrait une longue vieillesse, proclama : «$Il l’atteindra, répondit-il, s’il ne se connaît pas.$»

[…] Un jour que Narcisse chassait des cerfs timides, il fut aperçu par la nymphe à la voix bizarre, qui ne peut se taire quand on lui parle, qui ne sait point parler la première, Écho, dont la bouche redit les sons qui frappent son oreille. Écho était alors une nymphe, et non une simple voix. Elle vit Narcisse chassant dans les forêts. Elle le vit et l’aima. […]

Un jour que dans les bois il se trouvait écarté de sa suite fidèle, il s’écria : «§Quelqu’un est-il ici près de moi§?§» Écho répondit, «§Moi§».
Narcisse s’étonna, il regarda autour de lui, et dit d’une voix forte, «§Venez§!§»
Écho redit, «§Venez§!§»
Il regarda encore, et personne ne s’offrant à ses regards,
s’écria «§Pourquoi me fuyez-vous§?§»
Écho reprit, «§Me fuyez-vous§?§»
Trompé par cette voix proche, Narcisse dit «§Joignons-nous§».
Écho, dont cette demande venait de combler tous les vœux, répéta,
«§Joignons-nous§», et soudain, interprétant ces paroles au gré de ses désirs, elle sortit du taillis.
Elle avança les bras tendus ; mais il s’éloigna, il fuit, et se dérobant à ses embrassements, il dit : «§Que je meure avant que d’être à toi§!§». Et la Nymphe ne répéta que ces mots, «§être à toi§!§»

Écho méprisée se retira au fond des bois. Elle cacha sous l’épais feuillage la rougeur de son front, et habita dans des antres solitaires. Mais elle ne put vaincre son amour$; il s’accrut, irrité par les mépris de Narcisse. Les soucis vigilants la consumèrent$; une affreuse maigreur dessécha ses attraits$; toute l’humide substance de son corps s’évapora$; il ne resta d’elle que les os et la voix. Bientôt ses os furent changés en rochers.
Cachée dans l’épaisseur des forêts, la voix d’Écho répond toujours à la voix qui l’appelle$; mais nul ne peut voir cette Nymphe infortunée, et ce n’est plus maintenant qu’un son qui vit encore en elle.

Les autres Nymphes qui habitent les monts ou les fontaines éprouvèrent aussi les dédains de Narcisse. Mais enfin une d’elles, élevant vers le ciel des mains suppliantes, s’écria dans son désespoir$: «§Qu’il aime à son tour, sans pouvoir être aimé§!§»  Elle dit, et Rhamnusie [déesse de la vengeance] exauça cette juste prière.

Près de là était une fontaine dont l’eau pure, argentée, inconnue aux bergers, n’avait jamais été troublée ni par les chèvres qui paissent sur les montagnes, ni par les troupeaux des environs. Nul oiseau, nulle bête sauvage, nulle feuille tombée des arbres n’avait altéré le cristal de son onde. Elle était bordée d’un gazon frais qu’entretenait une humidité salutaire$; et les arbres et leur ombre protégeaient contre l’ardeur du soleil la source et le gazon.

C’est là que, fatigué de la chasse et de la chaleur du jour, Narcisse vint s’asseoir, attiré par la beauté, la fraîcheur, et le silence de ces lieux.

Mais tandis qu’il apaisait la soif qui le dévorait, il sentit naître une autre soif plus dévorante encore. Séduit par son image réfléchie dans l’onde, il devint épris de sa propre beauté. Il prêta un corps à l’ombre qu’il aimait§; il s’admira, il resta immobile à son aspect, et tel qu’on aurait pu le prendre pour une statue de marbre de Paros. Penché sur l’onde, il contempla ses yeux pareils à deux astres étincelants, ses cheveux dignes d’Apollon et de Bacchus, ses joues colorées des fleurs brillantes de la jeunesse, l’ivoire de son cou, la grâce de sa bouche, les roses et les lis de son teint§; il admira enfin la beauté qui le fit admirer.

Imprudent§! C’est à lui-même qu’il adressa ses voeux$; il fut à la fois l’amant et l’objet aimé$; il désira, et il fut l’objet qu’il avait désiré$; il brûla, et les feux qu’il alluma furent ceux dont il était consumé. Ah$! Que d’ardents baisers il imprima sur cette onde trompeuse$! Combien de fois vainement il y plongea ses bras croyant saisir son image$! Il ne sut ce qu’il vit, mais ce qu’il vit l’enflamma, et l’illusion qui trompa ses yeux aviva ses désirs.

Insensé$! Pourquoi suivre ainsi cette image qui sans cesse te fuit$? Tu veux ce qui n’est point. Éloigne-toi, et tu verras s’évanouir l’irréel objet de ton amour. L’image qui s’offre à tes regards n’est que ton ombre réfléchie$;$elle n’a rien de réel$;$elle vient et demeure avec toi$;$elle disparaîtrait si tu pouvais toi-même t’éloigner de ces lieux.

Mais ni le besoin de nourriture, ni le besoin de repos ne purent l’en arracher.
Étendu sur l’herbe épaisse et fleurie, il ne pouvait se lasser de contempler l’image qui l’abusait$;$il périt enfin par ses propres regards. Soulevant sa tête languissante, et tendant les bras, il adressa ces plaintes aux forêts d’alentour*:

«$Ô vous dont l’ombre fut si souvent favorable aux amants, vîtes-vous un amant plus malheureux que moi$? Et depuis que les siècles s’écoulent sur vos têtes, connûtes-vous des destins si cruels$?

L’objet que j’aime est près de moi$; je le vois, il me plaît$; et, tant est grande l’erreur qui me séduit, en le voyant je ne puis le trouver$; et pour irriter ma peine, ce n’est ni l’immense océan qui nous sépare$; ce ne sont ni des pays lointains, ni des montagnes escarpées, ni des murs élevés, ni de fortes barrières$; un peu d’eau seulement entre lui et moi*!

Lui-même, il semble répondre à mes désirs. Si j’imprime un baiser sur cette eau limpide, je le vois soudain rapprocher sa bouche de la mienne. Je suis toujours près de l’atteindre$; mais le plus faible obstacle nuit au bonheur des amants.$»

[…] Il dit, et retombant dans sa fatale illusion, il retourna vers l’image que l’onde lui renvoyait. Il pleura, l’eau se troubla, l’image disparut$; et la voyant s’éloigner, il s’écria$:
«$Où fuis-tu, cruel$? Je t’en conjure, arrête, et ne quitte point ton amant$; ah$! s’il ne m’est permis de m’unir à toi, souffre du moins que je te voie, et donne ainsi quelque soulagement à ma triste fureur.$»

À ces mots il déchira sa robe, découvrit et frappa son sein qui rougit sous ses coups. Telle la pomme à sa blancheur mélange l’incarnat$; telle la grappe à demi colorée se peint de pourpre aux rayons du soleil.

Mais l’onde était redevenue transparente$; Narcisse y vit son image meurtrie.
Soudain sa fureur l’abandonna$; et, comme la cire fond auprès d’un feu léger$; ou comme la rosée se dissipe aux premiers feux de l’astre du jour$; ainsi, brûlé d’une flamme secrète, l’infortuné se consuma et périt. Son teint n’avait plus l’éclat de la rose et du lis$; il avait perdu cette force et cette beauté qu’il avait trop aimée, cette beauté qu’aima trop la malheureuse Écho.

Quoiqu’elle n’eût point oublié les mépris de Narcisse, elle ne put le voir sans le plaindre.
Elle avait redit tous ses soupirs, tous ses gémissements$; et lorsqu’il frappait ses membres délicats, et que le bruit de ses coups retentissait dans les airs, elle avait de tous ses coups répété le bruit retentissant.

Enfin Narcisse regarda encore son image dans l’onde, et prononça ces derniers mots$: «$Objet trop vainement aimé$!$» Écho reprit :$«$Objet trop vainement aimé$!$»
« Adieu$!$» s’écria-t-il. «$Adieu$!$» répéta-t-elle.

Il laissa alors retomber sur le gazon sa tête languissante$; une nuit éternelle couvrit ses yeux épris de sa beauté.

Mais sa passion le suivit au séjour des ombres, et il cherche encore son image dans les ondes du Styx. Les Naïades, ses sœurs, pleurèrent sa mort$; elle coupèrent leurs cheveux, et les consacrèrent sur ses restes chéris. Les Dryades gémirent, et la sensible Écho répondit à leurs gémissements.

On avait déjà préparé le bûcher, les torches, le tombeau$; mais le corps de Narcisse avait disparu$; et à sa place les Nymphes ne trouvèrent qu’une fleur d’or, de feuilles d’albâtre au milieu de sa tige couronnée…


Source :

1 : Adapté de la traduction de G.T. Villenave ; Paris ; 1806

A propos La gazette des plantes

La gazette des plantes, un blog qui part à la découverte des végétaux qui nous entourent en Belgique
Cet article, publié dans Détente et botanique, est tagué , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

6 commentaires pour Devinette vernale

  1. Cerise dit :

    Carex humilis?

    J’aime

  2. Nicole dit :

    Bonjour.
    Je ne connais pas de réponse, mais je tiens à vous féliciter pour vos articles.
    Quel beau travail, me réjouis à chaque nouvelle parution.
    Merci beaucoup et ne changez rien.

    J’aime

  3. De Vleeschouwer Michel dit :

    Carex humilis ?

    J’aime

  4. Nathalie Simon dit :

    Je penche pour la laiche humble, Carex humilis. 🙂

    J’aime

  5. Duchemin dit :

    Carex humilis

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.