
Pour quelle raison est-elle commune, alors que ses consœurs sont rares, voire rarissimes?
Et comment se sert-elle des insectes pour transporter son pollen d’une fleur à l’autre?
Une Orchidée commune…
Nous avons vu dans le billet précédent (La germination d’une graine d’Orchidée : une entreprise délicate) que les Orchidées sont rares chez nous.
Une exception est la Listère ovale (Neottia ovata). Elle passe inaperçue la plupart du temps car elle n’est pas très spectaculaire, comme le montre la photo suivante.
Elle est pourtant bien répandue en Belgique, comme le prouve la carte des observations de cette plante réalisées en Belgique entre juillet 2013 et juillet 2018.

Observation de la Listère ovale en Belgique entre juillet 2013 et juillet 2018 (source : https://observations.be)
Pour quelle raison est-elle si répandue? Tout simplement, et contrairement à la plupart des Orchidées, parce qu’elle se plaît dans une large gamme d’habitats : sur des sols pauvres ou sur des sols riches, faiblement acides ou faiblement alcalins, modérément secs ou humides.
Son habitat de prédilection est le sous-bois herbacé et frais; elle peut pousser également en lisière de forêt, dans les haies, le bord des routes et des voies ferrées, et dans les parcs.
Dans la classification européenne des habitats (EUNIS), la Listère ovale est caractéristique des « frênaies-chênaies à gouet », dans lesquelles elle côtoie souvent le Gouet tacheté bien sûr (Arum maculatum), mais aussi la Moscatelline (Adoxa moschatellina) et le Lierre terrestre (Glechoma hederacea) 1.

La fleur du Lierre terrestre : sa lèvre supérieure est formée de deux petits pétales collés qui remontent légèrement.
Mais on trouve également la Listère ovale dans des endroits plus ensoleillés comme des prairies et des pâtures abandonnées.
Elle survit même en la présence de graminées de grande taille et de buissons, et résiste à la fenaison et à un pâturage léger.
On la verra dans ces milieux en compagnie notamment d’une Fabacée (anciennement Légumineuse), la Coronille bigarrée (Coronilla varia) et d’une autre Orchidée plus rare, la Platanthère à deux feuilles (Platanthera bifolia) 2.
Il arrive même que notre Listère ovale pousse dans les dunes de sable!
Une étude récente a en outre montré que la Listère ovale peut survivre durant des décennies à l’application d’engrais à base de calcium ou de nitrate de calcium. Il n’est donc pas surprenant qu’elle soit l’une des rares Orchidées courantes dans nos régions. Elle ne supporte par contre pas l’ajout de phosphore 5.
… Mais en déclin
Bien qu’elle ne soit pas encore considérée comme en étant en danger, la Listère ovale est cependant en déclin prononcé partout en Europe occidentale. Un déclin de 30 à 60 % selon les pays, les méthodes de comptage et les périodes de référence utilisées 6.
Les raisons de cette disparition progressive sont les suivantes : la cessation des pratiques agricoles traditionnelles telles que le fauchage et le pâturage, l’intensification de l’agriculture à l’aide des engrais, et la disparition des zones de transition douce entre les terres agricoles et les bois. Ces lisières graduelles, composées d’un ourlet de grandes herbes non récoltées, d’un cordon d’arbustes et d’arbrisseaux (prunelliers, aubépines…) et d’une bande d’arbres pionniers et clairsemés comme les bouleaux, deviennent très rares.
Une paire de feuilles superposées
Une fois n’est pas coutume, voici une plante qui n’est pas difficile à identifier à l’état végétatif grâce à ses deux feuilles superposées. Remarquez les nervures parallèles qui sont typiques des plantes monocotylédones.
Les Monocotylédones
Les Monocotylédones forment un groupe de plantes à fleurs (60.000 espèces environ). Comme leur nom l’indique, leurs graines ne possèdent qu’un seul cotylédon. Le cotylédon est une sorte de pré-feuille, contenant des réserves nutritives qui seront consommées lors de la germination et du développement de la plantule.
On trouve parmi les Monocotylédones les plantes graminoïdes (les graminées, les joncs et les laîches), les Orchidées, et d’autres plantes comme les narcisses, etc..
Comment distinguer une Monocotylédone à l’état adulte, sans ses cotylédons? Le critère le plus facile concerne les feuilles, qui possèdent la plupart du temps des nervures parallèles. Mais il existe des exceptions! Voyez plutôt…
La Jacinthe des bois (Hyacinthoides non-scripta) est une Monocotylédone dont les feuilles ont bien des nervures parallèles (photo ci-dessous).
La Parisette est également une Monocotylédone, mais les nervures de ses feuilles forment un réseau, elles sont réticulées.
En revanche, les Plantains sont des Dicotylédones, bien que leurs feuilles aient des nervures parallèles. Elles ressemblent d’ailleurs aux feuilles de la Listère.
Un deuxième critère se rapporte aux fleurs qui ont généralement une structure ternaire (3 ou 6 sépales, 3 ou 6 pétales, etc…), tandis que celles des Dicotylédones sont basées sur le chiffre 4 ou 5. Mais ici aussi des plantes dérogent à cette règle (notamment les Potamots, des Monocotylédones aquatiques)!
Revenons-en aux feuilles de la Listère. Elles sont de forme ovale, d’où son nom en français de Listère ovale et en latin de Listera ovata.
La Listère ovale possède rarement plus de deux feuilles. Celles-ci sont amplexicaules, c’est-à-dire que leur base enveloppe la tige (du latin amplexus « qui embrasse » et caulis « tige »). Au stade adulte, elles se retrouvent placées un peu en-dessous du milieu de cette tige qui peut atteindre 60 cm.
Des fleurs vertes
La plante fleurit de mai à juillet. Les fleurs sont verdâtres et regroupées en grappe lâche au sommet.
Des fleurs vertes ?
La chlorophylle est le principal pigment utilisé par les végétaux dans le processus de la photosynthèse. Elle absorbe la majeure partie de la lumière visible qui sert ensuite de source d’énergie lors de la production des matières organiques (sucres, etc…) nécessaires à la plante.
La chlorophylle n’absorbe toutefois que peu de lumière verte, qui est dès lors réfléchie : c’est pour cela que les plantes nous apparaissent vertes.
La chlorophylle est surtout présente dans les feuilles et les tiges. En général, l’enveloppe externe de la fleur (le calice formé des sépales) en contient également une bonne quantité. En revanche, les pétales sont le plus souvent blancs ou vivement colorés, afin d’attirer les insectes pollinisateurs.

En général les sépales sont verts et les pétales très colorés (Épilobe hirsute – Epilobium hirsutum)
Certaines plantes choisissent toutefois une autre stratégie : leurs pétales sont verts, ils contiennent beaucoup de chlorophylle et peuvent donc fournir une fraction non négligeable de l’énergie dont l’individu a besoin pour assurer sa reproduction.
Nous avons déjà évoqué les fleurs verdâtres des Hellébores, mais c’est également le cas (entre autres) des Mercuriales, des Chénopodes, des Alchémilles, des Plantains, des Oseilles, des Tilleuls, et des Orties…
L’inflorescence de la Listère ovale est une grappe (ou racème, du latin racemus « grappe ») : chaque fleur est munie d’une petite tige, le pédicelle (voir photo suivante). Un épi est une grappe dont les fleurs sont sessiles, sans pédicelle.
Il y a entre 15 et 100 fleurs par grappe, et elles se développent de la base vers le sommet. Chaque fleur demeure fertile durant 2 à 4 jours 7.
Examinons une fleur. Elle n’est peut-être pas spectaculaire, mais elle possède bien toutes les caractéristiques d’une fleur d’Orchidée. Tout d’abord elle est composée de 6 éléments : 3 sépales et 3 pétales.
Vous pouvez aussi les appeler tépales, puisqu’ils se ressemblent beaucoup. Ou bien distinguer les pièces placées à l’arrière, les sépales, de celles placées à l’avant, les pétales. Les tépales du haut forme une sorte de capuche pas très fermée.
Chez les Orchidées, l’un des pétales est remarquable : c’est le labelle. Labelle, quel drôle de nom! Il provient du latin labellum, diminutif de labrum, lèvre. Et il est vrai qu’étant généralement long et orienté vers le bas, le labelle fait irrésistiblement penser à une lèvre pendante.
Comme le montre la photo précédente, le labelle de la Listère ovale est fourchu. Nous pouvons donc dire que la Listère ovale possède une langue fourchue et bien pendue!
Pour clore la description de la fleur, ajoutons qu’à la base de son pédicelle se trouve une petite bractée, nettement plus courte que le pédicelle.
Et quelle est cette outre verte entre la fleur et le pédicelle, vous demandez-vous? C’est l’ovaire, le futur fruit. Nous en reparlerons plus loin.
La pollinisation
Le labelle des Orchidées sert de piste d’atterrissage pour les insectes pollinisateurs. Celui de la Listère ovale leur permet aussi de se ravitailler en carburant, c’est-à-dire en nectar.
Etant donné que les inflorescences sont verdâtres et ne se distinguent pas vraiment de la végétation environnante, elles émettent des signaux olfactifs afin de prévenir les pollinisateurs de la présence du nectar 8.
Regardez la photo suivante : le labelle est parcouru en son milieu par une bande linéaire, en légère saillie (flèche n° 1). C’est une première zone de sécrétion de nectar.
La base du labelle prend l’apparence d’une coupelle : c’est une seconde zone nectarifère (flèche n° 2).
On constate que le nectar est facilement accessible : la Listère ovale attire par conséquent une grande variété d’insectes, notamment des coléoptères, des ichneumonidae (des insectes entomophages), des symphytes, etc…4.
Ceci distingue la Listère ovale de la majorité des Orchidées, qui sont souvent très sélectives et ne permettent l’accès à la précieuse denrée qu’à une ou quelques espèces d’insectes seulement.

Les fleurs vertes émettent des signaux olfactifs pour signaler leur présence aux insectes pollinisateurs
Regardez la vidéo suivante, montrant des insectes se ravitaillant. Elle a été réalisée par Jean Claessens, un botaniste néerlandais.
Vous aurez remarqué en suivant ce petit film que les insectes, après s’être gavés de nectar, repartent en emportant (malgré eux!) un amas de matière jaune. Ce sont des pollinies : c’est ainsi qu’on appelle la masse des grains de pollen chez les Orchidées.
Pour comprendre comment cela se passe, examinons le centre d’une fleur.
Chez les Orchidées, l’organe femelle (le pistil) et l’ organe mâle (l’étamine) sont soudés en une colonne, appelée le gynostème (du grec ancien gunê « femme » et stemma « couronne »), qui est entouré d’un cercle rouge sur la photo ci-dessous .
L’étamine, l’organe mâle, se trouve en haut du gynostème. Les Orchidées de nos régions ne possèdent qu’une seule étamine. Elle est protégée par l’opercule, une petite feuille en forme de coiffe.
L’étamine produit deux sacs de pollen, les pollinies.
Une particularité du genre Neottia, auquel appartient la Listère ovale : les pollinies sont libres alors qu’elles sont généralement fixées chez les autres espèces (attachées à un disque collant appelé viscidie, du latin viscum, « glu » et du grec eidos, « aspect »).
Dans le cas de la Listère ovale, les pollinies sont placées juste au-dessus d’une lamelle blanchâtre appelée rostellum (photo ci-après), diminutif du mot latin rostrum, « bec ». Et en effet il ressemble un peu à un bec ou une gouttière. Il sépare l’organe mâle, situé au-dessus, de l’organe femelle (le stigmate), situé en-dessous, dans le but d’éviter l’autofécondation.
Le rostellum est en fait l’un des 3 stigmates (n’oublions pas que les Orchidées sont des Monocotylédones, et ont donc une structure florale ternaire, donc 3 stigmates à l’origine), qui est devenu stérile et s’est transformé. Les 2 autres stigmates ont fusionné pour former un plateau situé juste en-dessous du rostellum. Ce plateau est l’organe femelle qui réceptionnera le pollen provenant d’autres fleurs.
Le rostellum de la Listère ovale (ainsi que des autres membres du genre Neottia) est constitué de cellules très longues, remplies d’un liquide visqueux. Il se termine par une pointe très sensible.
Lorsqu’un insecte atterrit sur le labelle, il commence à lécher le nectar disponible dans la bande centrale. Il suit la piste et se tourne en fin de compte vers la base du labelle, là où se trouve la seconde source du liquide sucré. En le léchant, il touche inévitablement la pointe extrêmement sensible du rostellum, et en une fraction de seconde le fluide visqueux est expulsé, emportant avec lui les pollinies et les collant au corps du visiteur, le plus souvent sur sa tête 9.
Jean Claessens a filmé le processus, simulant l’insecte au moyen d’une aiguille :
L’insecte effrayé s’envole avec les pollinies attachées. A ce moment le rostellum se courbe vers le bas, empêchant l’accès au stigmate (l’organe femelle) et évitant ainsi l’autofécondation.
Après un laps de temps variant entre 2 heures et 1 jour, le rostellum se rétracte lentement vers le haut et expose à nouveau le stigmate aux insectes visiteurs. Certains de ceux-ci porteront peut-être des pollinies venant d’autres fleurs et, en léchant le nectar situé à la base du labelle, déposeront alors des fragments de pollinie sur le stigmate et féconderont ainsi la fleur. Plusieurs fleurs peuvent être fécondées par une seule pollinie 3 – 10.
C’est le moment de parler de l’ovaire, qui donnera le fruit après la fécondation. Il est vert comme la fleur, et muni de côtes saillantes, d’une teinte rouge-brun. Il est placé en-dessous des tépales, et est donc infère comme chez toutes les Orchidées.
Le processus de fécondation semble compliqué mais est assez efficace. En moyenne, 40 % des fleurs produisent des fruits. Ce pourcentage dépend des conditions météorologiques : il tombe à 10 % lors d’une saison pluvieuse mais atteint 100 % lorsque le temps est chaud et sec. L’autofécondation est rare, elle ne concerne que 1 % des fleurs 11 – 12.
Les graines sont ovales et bien sûr très petites, comme celles des autres Orchidées : 0,9 mm de long sur 0.2 mm de large environ. Elles sont disséminées par le vent.
Sources :
2 : Eunis; Abandoned pastures ↑
3 : Simon Harrap; Pocket Guide to the Orchids of Britain and Ireland; Bloomsbury Publishing; 2016 ↑
4 : Jean Claessens & Jacques Kleynen; Nectar As Attractant: Gymnadenia conopsea and Neottia ovata; Journal of the Hardy Orchid Society; Vol. 14, No.4; Octobre 2017↑
5 : Milan Kotilínek et al.; Biological Flora of the British Isles: Neottia ovata; Journal of Ecology 2015; n° 103; pp. 1354–1366 ↑
6 : Milan Kotilínek et al.; Biological Flora of the British Isles: Neottia ovata; Journal of Ecology 2015; n° 103; pp. 1354–1366 ↑
7 : Milan Kotilínek et al.; Biological Flora of the British Isles: Neottia ovata; Journal of Ecology 2015; n° 103; pp. 1354–1366 ↑
8 : Milan Kotilínek et al.; Biological Flora of the British Isles: Neottia ovata; Journal of Ecology 2015; n° 103; pp. 1354–1366 ↑
9 : Jean Claessens & Jacques Kleynen; Nectar As Attractant: Gymnadenia conopsea and Neottia ovata; Journal of the Hardy Orchid Society; Vol. 14, No.4; Octobre 2017↑
10 : Milan Kotilínek et al.; Biological Flora of the British Isles: Neottia ovata; Journal of Ecology 2015; n° 103; pp. 1354–1366 ↑
11 : Simon Harrap; Pocket Guide to the Orchids of Britain and Ireland; Bloomsbury Publishing; 2016 ↑
12 : Milan Kotilínek et al.; Biological Flora of the British Isles: Neottia ovata; Journal of Ecology 2015; n° 103; pp. 1354–1366 ↑
merci pour ce bel article accompagné de beaux documents très pédagogiques
J’aimeJ’aime
Et merci à vous pour ces encouragements!
J’aimeJ’aime