Voici une plante bien mystérieuse, surgissant de l’ombre du sous-bois. Ressemblant à une baguette de fée ou plutôt de sorcière, la Parisette protégerait des enchantements et des empoisonnements. Considérée autrefois comme une excellente plante médicinale, il ne faut cependant pas la mettre entre toutes les mains, car elle est toxique.
Nous poursuivons notre petite balade au Rouge-Cloître, entamée dans un billet précédent.
Nous suivons un chemin qui monte et pénétrons dans la Forêt de Soignes.
A quelques mètres dans le sous-bois apparaissent quelques plantes étranges. Du centre de la couronne de feuilles s’élève une hampe portant une fleur en forme d’étoile : c’est la Parisette à quatre feuilles (Paris quadrifolia).
Elle pousse à l’ombre dans les bois bien frais, sur des sols calcaires, argileux et assez riches en nutriments.
Elle supporte bien le manque de lumière car ses racines sont associées à un champignon qui leur fournit des éléments nutritifs en échange des sucres qu’elle fabrique 1.
On peut la rencontrer près de l’Ail des ours, la Ficaire, ou encore l’Adoxe moscatelline.
La Parisette est l’unique représentant chez nous de la petite famille des Mélanthiacées, qui regroupe une centaine d’espèces.
Elle est en régression en particulier à cause de la sylviculture. Comme elle est adaptée aux sous-bois sombres elle ne supporte pas une mise en lumière brutale qui survient lors d’une coupe rase.
Par conséquent, on la trouve de préférence dans des forêts anciennes où l’intervention de l’homme est limitée. Elle se raréfie peu à peu en Belgique et dans le nord de la France 2.
Les feuilles
Comme le montre la photo placée à gauche, la tige porte normalement à son sommet 4 grandes feuilles ovales et pointues, aux nervures bien marquées, qui forment comme une croix.
Mais ici déjà commence l’étrangeté de la plante : la « Parisette à 4 feuilles » n’en a parfois que 3, ou bien au contraire 5 ou 6! Il suffit de regarder la photo ci-dessous (cliquez dessus pour l’agrandir).
Ces feuilles sont aussi exceptionnelles pour une autre raison. La Parisette fait partie des plantes monocotylédones. Or la très grande majorité des feuilles des Monocotylédones possède des nervures parallèles, qui partent de la base du limbe et se rejoignent au sommet.
C’est le cas des Perce-neige, du Muguet, de l’Ail des ours ou bien encore des graminées comme l’Orge des rats par exemple (voir photo à droite).
Si la feuille de la Parisette a bien quelques nervures principales (3 ou 5) plus ou moins parallèles, celles-ci sont reliées par un réseau de nervures secondaires, ce qui tout-à-fait atypique pour les Monocotylédones.
Il existe une autre Monocotylédone aux feuilles « déviantes », bien plus courante d’ailleurs que la Parisette. C’est le Gouet tacheté (Arum maculatum), montrée ci-dessous.
Les fleurs
Que dire des fleurs, présentes en mai et juin, sinon qu’elles paraissent encore plus bizarres que les feuilles! Nous avons parlé plus haut du bout d’une baguette magique, mais certains croient plutôt y voir une araignée aux pattes jaunes!
Si c’est bien une fleur, où diable se trouve la corolle des pétales?
Regardez bien la périphérie de la fleur : on y remarque deux cercles de pièces.
Le cercle le plus externe doit être le calice : il comprend 4 sépales lancéolés, verts et penchés vers le bas. Ces sépales possèdent bien des nervures parallèles!
Le calice entoure un autre cercle, qui doit donc être la corolle. Celle-ci se compose de 4 pétales linéaires, verts également, et étalés horizontalement.
Au centre de la fleur se trouvent les organes reproducteurs.
D’abord les 8 longues étamines : remarquez que les anthères jaunes (ce sont les sacs à pollen) sont placées au milieu des filets, alors qu’elles sont d’habitude posées à leur sommet.
Au milieu s’élèvent les 4 stigmates bruns, les organes femelles qui réceptionnent le pollen, fixés sur l’ovaire qui donnera le fruit après fécondation. L’ovaire est dit supère car il est situé au dessus du plan d’insertion des pièces florales (sépales et pétales).
La reproduction
La pollinisation se fait essentiellement par le vent, ce qui est logique au vu de la disposition des pétales et des sépales qui n’entravent absolument pas la dissémination des grains de pollen. Mais chaque fleur peut aussi s’auto-polliniser 3.
La Parisette forme des fruits après la pollinisation. Ces baies sont toxiques pour l’homme : l’ingestion de 2 à 3 baies suffit à provoquer de sérieux troubles digestifs nécessitant un lavage d’estomac. En fait, les feuilles sont encore plus toxiques, et c’est certainement un moyen de défense que la plante a élaboré contre les herbivores.
Mais quel animal mange donc les fruits toxiques de la Parisette?
En fait, la quantité de toxines (des saponines) dans les baies est moins élevée que dans les autres organes, et ces baies sont donc parfois consommées par des mammifères qui dispersent ensuite les graines. Les oiseaux ne joueraient dans le cas des fruits de la Parisette qu’un rôle négligeable 3.
Mais certains auteurs pensent plutôt que les baies chutent tout bonnement sur place, et que les fourmis se chargent ensuite de les transporter 4.
La Gazette des Plantes lance donc un appel à tous les chercheurs disposant d’une webcam : la question de la dissémination des fruits de la Parisette reste ouverte! Préparez-vous, ils seront mûrs en juillet et août.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas tellement grâce à ses fruits que la Parisette se reproduit! Observez la photo ci-dessous : voyez comme elle forme une petite colonie dans le sous-bois.
C’est typique des plantes qui se propagent surtout au moyen de leurs rhizomes, leurs tiges souterraines qui rampent dans toutes les directions, portant des bourgeons d’où s’élèvent de nouvelles parties aériennes. Ce sont les rhizomes qui assurent essentiellement la multiplication de la Parisette, une reproduction végétative et non sexuée.
Une plante magique
Nos ancêtres ont été frappés par la belle symétrie de la Parisette. En vertu de la Théorie des signatures, ils en ont donc fait une plante apte à soigner les mouvements incontrôlés dus à l’épilepsie, que l’on assimilait à l’époque aux transes des sorcières. Et par extension, on l’employa pour guérir de la folie, ou pour se protéger des enchantements 4.
Comme elle est purgative, on l’employait également en cas d’empoisonnement. On tentait d’expulser le poison par les selles et les vomissements. Vu sa toxicité, on peut supposer que les malades mourraient guéris 5!
Selon Marie-Claude Paume, on peut appliquer les feuilles broyées sur les plaies pour favoriser une bonne cicatrisation 6.
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