
Regardons-la évoluer au fil des jours, de la fleur aux fruits. Serait-elle un tantinet cabotine, la Pulsatille ? Certains jours, elle semble en effet saluer un public invisible. Ou bien ce comportement étrange a-t-il des raisons plus pragmatiques ? Pour le savoir, et apprendre bien d’autres choses sur elle, lisez la suite sans plus tarder …
Voici le programme complet de ce troisième (et assez long) article, pour en terminer avec l’Anémone pulsatille :
-> L’anthèse
-> Le transport du pollen
-> Les feuilles
-> La fructification
-> Son habitat
-> Ses voisines
-> Son statut
-> Un peu de classification
-> Ses origines
Merci à une amie botaniste, Pascale Hindrick, qui nous a fait découvrir un très bel endroit où la Pulsatille prospère encore, ce qui a rendu possible la rédaction de cette série de billets.
L’anthèse
Dans le billet précédent, nous avons décrit en détail la fleur de l’Anémone pulsatille. Voyons maintenant comment elle évolue au fil des jours.
Sa période de floraison est courte : elle ne dure en moyenne qu’une dizaine de jours 1.
C’est l’anthèse, la période pendant laquelle une fleur est complètement ouverte et fonctionnelle (du grec anthêsis, « floraison »). Elle se produit généralement à la fin de mars ou au début d’avril en Belgique, et en avril ou en mai dans d’autres régions plus froides.
L’Anémone pulsatille est en général protogyne.
Protogyne signifie que les organes femelles (les carpelles) sont mûrs avant les organes mâles (les étamines). C’est l’un des moyens que les plantes possédant des fleurs hermaphrodites ont développés afin d’éviter l’autofécondation. Cela est d’autant plus nécessaire dans le cas de l’Anémone pulsatille que cette espèce est autocompatible : le pollen d’une fleur est parfaitement capable de féconder son ovule 3.
Rappelez-vous, nous avons parlé récemment du Plantain corne-de-cerf qui est lui aussi protogyne et autocompatible.
En fait, c’est une stratégie intéressante pour les plantes qui fleurissent au printemps, lorsque le nombre de pollinisateurs est encore réduit.
Dans l’autre approche, celle des fleurs protandres, les organes mâles (les étamines) sont mûrs avant les femelles. Ils se ratatinent ensuite afin de permettre aux carpelles de se développer en fruits.
Les fleurs protogynes voient au contraire leurs étamines demeurer fonctionnelles plus longtemps. En cas d’absence de pollinisation par des insectes, elles pourront donc déposer leurs grains de pollen sur les carpelles et, étant donné que la plante est autocompatible, la fécondation aura bien lieu 4.
Au cours de l’anthèse, la fleur peut changer plusieurs fois sa position.
D’abord droite, elle s’incline puis se redresse à nouveau.
Saluerait-elle un quelconque public ?
Signalons d’abord que ce comportement est commun à plusieurs espèces voisines de la Pulsatille. Une étude réalisée sur Anemone cernua, qui vit dans l’est de l’Asie, a trouvé que le pollen de ces plantes subit de grands dommages lors de fortes pluies. Les chercheurs en ont déduit que la courbure du pédicelle aurait pour but d’éviter ces dégâts 2.
Les plus perspicaces parmi vous auront peut-être remarqué une deuxième différence entre les deux premières photos de l’Anémone pulsatille (en plus de la courbure du pédicelle) :
Le pédicelle s’allonge durant l’anthèse.
Le pédicelle est la petite tige qui porte la fleur. Au début de la floraison, le pédicelle est très court, caché par les bractées (photo à gauche ci-dessous). Il va s’étirer au fil des jours (ci-dessous à droite) ; ce sont ses cellules qui s’allongent et qui rendent possible son fléchissement éventuel en cas de précipitations et par voie de conséquence la mise à l’abri du précieux pollen.
Le transport du pollen
Qu’advient-il de ce précieux pollen? Une étude réalisée en Allemagne, plus précisément en Bavière, dans le Jura franconien, a tenté de répondre à cette question 6.
Elle a d’abord montré que le pollen de l’Anémone pulsatille est transporté essentiellement par des abeilles (genre Apis) et des bourdons (genre Bombus).
L’autofécondation est très fréquente chez la Pulsatille.
Plus de la moitié des descendants repris dans l’échantillon étudié résultaient en effet de la fécondation de l’ovule par du pollen issu de la même plante.
35 % des nouvelles plantules provenaient du pollen de plantes voisines, et environ 15 % des enfants émanaient de pollen qui avait été transporté sur de plus longues distances.
Les chercheurs ont donc observé deux types de pollinisation : une pollinisation locale et une pollinisation à longue distance.
Dans le premier type, le plus courant (en excluant l’autofécondation), la dispersion du pollen est réalisée par de petites abeilles, longues de 4 à 10 mm. On estime qu’elles peuvent acheminer le pollen sur des distances maximales de 600 mètres, mais dans l’étude allemande, les trajets ne dépassaient pas 10 mètres. Il s’agit par conséquent de pollinisation au sein d’une même population de Pulsatilles, cas qui est de loin le plus commun.
Ces petites abeilles sont incapables de transporter le pollen entre deux sites éloignés. C’est ici qu’interviennent des insectes plus grands, l’Abeille domestique (Apis mellifera), les Bourdons des prés (Bombus pratorum) et les Bourdons des champs (Bombus pascuorum) qui sont capables de convoyer le pollen sur plusieurs kilomètres (6.6 km en moyenne dans l’étude allemande).
Cette pollinisation sur de longues distances est certes plus rare, mais elle est néanmoins vitale pour assurer le brassage génétique entre des populations différentes.
Les feuilles
Elles n’apparaissent qu’à la fin de la floraison.
Elles sont bipennées (parfois tripennées) : elles sont composées de plusieurs parties (folioles) disposées de part et d’autre de l’axe principal , et chaque foliole est elle-même pennée, subdivisée en segments plus petits (foliolules).
La fructification
Le pédicelle continue à grandir à la fin de la floraison. Il élève ainsi les fruits bien au-dessus des herbes voisines et facilite la dispersion des graines 5.
Les fruits de l’Anémone pulsatille sont des akènes, surmontés par une excroissance, une longue arête plumeuse appelée pappus.
Un peu d’étymologie nous aidera à comprendre ce qu’est un akène.
Akène vient du mot grec khainein « ouvrir », précédé du préfixe privatif a.
C’est donc un fruit qui ne s’ouvre pas. On dit aussi qu’il est indéhiscent. La déhiscence, du latin dehiscens, « s’entrouvrir », est l’ouverture spontanée d’un organe végétal, comme un fruit par exemple. L’indéhiscence est au contraire l’incapacité de cet organe à s’ouvrir.
La paroi d’un fruit indéhiscent devra être rompue ou dégradée lors de la germination de la graine afin que la plantule puisse en sortir.
L’akène est un fruit sec, donc non charnu. Il n’est par conséquent pas destiné à être mangé par un animal, qui n’officiera pas comme transporteur bénévole de la graine que le fruit renferme. L’akène de l’Anémone pulsatille est transporté par le vent grâce à son toupet plumeux. Celui-ci résulte de la transformation du style.
Une fleur d’Anémone pulsatille produit en moyenne entre 20 et 35 akènes fertiles, c’est-à-dire des akènes contenant chacun une graine 8.
Nuançons ce que nous venons de dire à propos des akènes : malgré la présence d’un pappus, la petite touffe de soies qui devrait théoriquement permettre à l’akène d’être transporté par le vent sur une longue distance, la plupart des fruits atterrissent à proximité immédiate des plantes mères 11.
Les akènes qui seront tout de même dispersés plus loin le seront essentiellement par épizoochorie, du grec epi : « sur, au dessus », zoo : « animal » et khoris : « à part, dispersé ». Ils resteront accrochés aux pelages ou plumages des bêtes passant par là, et tomberont ailleurs, au gré des déambulations de leur convoyeur.
La reproduction semble toutefois s’effectuer principalement de manière végétative.
L’Anémone pulsatille possède une racine pivotante ainsi qu’un rhizome (une racine souterraine) ramifié.
Sur ce rhizome vont croître des bourgeons qui formeront de petites rosettes de feuilles près de la plante mère. Celles-ci vont se séparer progressivement de la plante mère au fur et à mesure que le rhizome se désintégrera 12.
Son habitat
Regardons d’abord son écologie (tableau ci-dessous).
Elle préfère la lumière et les sols secs et calcaires.
Ces sols doivent en outre être pauvres en nutriments, et la matière organique ne peut pas s’y accumuler (son recyclage doit être rapide).
C’est une espèce caractéristique des pelouses calcaires subatlantiques très sèches.
C’est son milieu typique, selon la classification européenne des habitats EUNIS 7.
Rappelons qu’une pelouse est, du point de vue botanique, une formation végétale formée d’espèces herbacées de faible hauteur (ne dépassant guère 20 à 30 cm de hauteur), essentiellement des graminées 9.
Le domaine subatlantique est une zone de transition entre la façade atlantique et le centre de l’Europe. Mais on observe Anemone pulsatilla également plus à l’est, jusqu’en Pologne et les Pays Baltes, et plus au nord (au sud de la Suède).

Sources : Observation.org ; Tela Botanica ; Infoflora.ch ;
Online Atlas of the British and Irish Flora ; Floraweb ; …
Notre Anémone pulsatille se rencontrera généralement sur des pelouses situées sur des sols superficiels, calcaires et très secs. Ces pelouses se trouvent souvent sur des pentes abruptes, ou bien au sommet de falaise ou de colline.

Quelques Anémones pulsatilles dans leur habitat typique,
une pelouse sur sol calcaire et très sec, au sommet d’une colline.
En Belgique, l’Anémone pulsatille est devenue très rare : elle ne pousse à l’état sauvage qu’en Calestienne, une étroite bande calcaire coincée entre la Fagne-Famenne au nord et l’Ardenne au sud, ainsi qu’à Torgny, le village le plus méridional du pays.
En France, c’est dans le Bassin parisien, dans le quart nord-est ainsi que sur le plateau des Causses qu’elle est la plus répandue.
Ses voisines
Elle aura bien sûr comme voisines des plantes aimant tout comme elle la lumière ainsi que les terrains secs et calcaires.
Par exemple la Mélique ciliée ci-dessous, une belle Poacée.
Voici quelques autres habitantes de ces pelouses calcaires sèches :
Son statut
L’IUCN (International Union for Conservation of Nature) range l’Anémone pulsatille dans la liste des espèces quasi menacées 10.
Elle a disparu de nombreux sites au cours des dernières décennies à la suite des bouleversements que l’agriculture a connu. La diminution du pâturage a entraîné l’envahissement de nombreuses pelouses calcaires par des graminées dominantes, souvent suivies par un reboisement ; tandis que l’utilisation massive des engrais élimine les plantes oligotrophes, celles qui vivent sur des sols pauvres (du grec oligo, « peu », et trophein, « nourrir »).
Elle subsiste essentiellement dans des réserves naturelles ou alors dans des zones difficilement exploitables par l’homme.
Un peu de classification
L’Anémone pulsatille fait partie de la grande famille des Renonculacées, cela au moins fait l’unanimité. Comme toutes les plantes de cette famille, elle contient de la ranunculine, un composé instable qui se transforme, lorsque la plante est blessée, en protoanémonine toxique.
Mais dans quel tiroir, dans quel genre la mettre ? Est-ce une Anémone ou une Pulsatille ? C’est ici que les botanistes s’empoignent.
Rappelons d’abord que la classification scientifique utilise une combinaison de deux mots pour désigner de manière non ambiguë une espèce (qu’elle soit une plante, un animal, ou une bactérie … ). C’est Carl von Linné, naturaliste suédois, qui généralisa cette nomenclature binomiale au 18e siècle.
Le premier mot correspond au genre ( par exemple Anemone ). Le second terme, l’épithète, sert à désigner l’espèce au sein de ce genre ( par exemple nemorosa, pour l’Anémone des bois ).
Linné rangea notre Pulsatille dans les Anémones, et lui donna le nom d’Anemone pulsatilla.
Petite parenthèse : pulsatille vient du latin pulsatus , « battu par le vent », les aigrettes qui coiffent les akènes étant agitées par le moindre souffle.
C’est justement la présence de ce pappus surmontant l’akène qui incita les botanistes à distinguer plusieurs espèces semblables et à les caser dans un nouveau genre appelé Pulsatilla. Anemone pulsatilla fut alors rebaptisée en Pulsatilla vulgaris 14.
Toutefois, au début du 21e siècle, les analyses génétiques montrèrent que les Anémones et les Pulsatilles descendaient d’un ancêtre commun. Cela amena beaucoup de taxonomistes à regrouper à nouveau ces espèces en un seul et vaste genre, Anemone sensu lato, les Anémones au sens large 13.
Cela se reflète lorsque l’on consulte les grandes bases de données de taxinomie : Pulsatilla vulgaris est la dénomination préférée par Catalogue of Life , tandis que Anemone pulsatilla est préconisé par ITIS, The Plant List et Tropicos.
Mais le débat n’est pas clos : plusieurs scientifiques préconisent d’éclater le genre Anemone s.l. en plusieurs genres plus petits, notamment le genre Anemone s.s. (stricto sensu, au sens strict) et le genre Pulsatilla 15.
À suivre donc…
Ses origines
Les analyses phylogénétiques ont en tout cas permis de lever un coin du voile sur l’origine et l’évolution des diverses espèces de Pulsatilles.
Leur ancêtre était probablement une Anémone qui vivait en Asie centrale il y a environ 25 millions d’années 16. Le climat était alors plus chaud et humide, et la région était recouverte de forêts à feuillage persistant ou semi-persistant.
Mais à la suite de la collision entre la plaque indienne et la plaque eurasienne, toute la zone se souleva et le climat devint plus froid et aride. Les forêts disparurent et furent remplacées par de grandes prairies. L’aïeule de nos Pulsatilles dut s’adapter à ce nouvel environnement.
Selon quelques études récentes, ces contrées d’Asie centrale furent vraisemblablement le berceau de nombreuses autres espèces de plantes xériques (du grec xêros, « sec »), des plantes qui vivent dans les milieux arides.
Les prairies s’étendirent durant le Pliocène (qui débuta il y a ± 5 millions d’années) et le Quaternaire (± 2.5 millions d’années), colonisant les plaines de l’Europe. Les premières Pulsatilles suivirent l’expansion de ces steppes et se diversifièrent en plusieurs espèces au fil du temps, dont bien sûr notre Anémone pulsatille.
Sources :
1 : Weryszko-Chmielewska E. et al. ; Ecological aspects of the foral structure and flowering in Pulsatilla species ; Acta Agrobotanica ; Volume 70 ; n° 3 ; p. 4 ; 2017 ↑
2 : Shuang‐Quan Huang et al. ; Why does the flower stalk of Pulsatilla cernua (Ranunculaceae) bend during anthesis? ; American Journal of Botany ; Volume 89 ; Issue 10 ; octobre 2002 ; pp. 1599-1603 ↑
3 : Torbjörn Lindell ; Breeding systems and crossing experiments in Anemone patens and in the Anemome pulsatilla group (Ranunculaceae) ; Nordic Journal of Botany ; Volume 18 ; n° 5 ; pp. 549 – 561 ; mars 2008 ↑
4 : Pat Willmer ; Pollination and Floral Ecology ; Princeton University Press ; juillet 2011 ; p. 75 ↑
5 : Kevin Walker ; Pulsatilla vulgaris ; Plantlife International ; avril 2011 ; p. 17 ↑
6 : Michelle F. DiLeo et al. ; Contemporary pollen flow as a multiscale process : Evidence from the insect‐pollinated herb, Pulsatilla vulgaris ; Journal of Ecology ; Volume 106 ; n° 6 ; novembre 2018 ; pp. 2247-2248 ↑
7 : EUNIS ; E1.27 – Sub-Atlantic very dry calcareous grassland ; European Environment Agency
8 : Kevin Walker ; Pulsatilla vulgaris ; Plantlife International ; avril 2011 ; p. 16 ↑
9 : Wikipedia ; Pelouse ; juin 2019 ↑
10 : IUCN ; The IUCN Red List of Threatened Species ; Version 2019-1 ↑
11 : Szczecińska, Monika et al. Genetic Diversity and Population Structure of the Rare and Endangered Plant Species Pulsatilla patens (L.) Mill in East Central Europe ; PloS one ; volume 11 ; n° 3 ; 22 mars 2016 ↑
12 : Walker, Kevin & Pinches, Clare ; Reduced grazing and the decline of Pulsatilla vulgaris Mill. (Ranunculaceae) in England ; Biological Conservation ; volume 144 ; n° 12 ; pp. 3098–3105 ; 2011 ↑
13 : Hoot, Sara & Meyer, Kyle & Manning, John ; Phylogeny and Reclassification of Anemone (Ranunculaceae), with an Emphasis on Austral Species ; Systematic Botany ; Volume 37 ; n° 1 ; pp. 139-152 ; 2012 ↑
14 : Wikipedia ; Gewöhnliche Kuhschelle ; mars 2019 ↑
15 : Wikimedia Commons ; Categories for discussion/2016/02/Category:Anemone pulsatilla ; mars 2019 ↑
16 : Gábor Sramkó et al. ; Evolutionary history of the Pasque-flowers (Pulsatilla, Ranunculaceae): Molecular phylogenetics, systematics and rDNA evolution ; Molecular Phylogenetics and Evolution ; volume 135 ; juin 2019 ; pp.45-61 ↑