Une plante utilisée dans la médecine traditionnelle chinoise a évolué rapidement afin de devenir moins visible, selon une étude récente.
La raison probable de cette évolution : une pression humaine.
Fritillaria delavayi est une plante qui pousse sur les pentes des Monts Hengduan, au sud de la Chine, et au sud-est du plateau tibétain.
Ces montagnes sont considérées comme un point chaud de la biodiversité. Elles abritent pas moins de 12 800 espèces de plantes à graines (Angiospermes et Gymnospermes), tandis que la France métropolitaine en possède moins de 5 000 1.
Souvenez-vous. La Gazette des Plantes vous avait parlé il y a quelques mois des points chauds abritant des espèces végétales rares : La banalité de la rareté.

Forêt de conifères dans les Monts Hengduan
© : NoGhost (Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International)
Cette biodiversité est menacée par la surexploitation forestière et le surpâturage, mais aussi par une collecte excessive de plantes et d’animaux pour la pharmacopée traditionnelle chinoise.
C’est ce dernier danger qui guette Fritillaria delavayi, une cousine de la Fritillaire damier (Fritillaria meleagris) dont nous vous avons déjà parlé dans la Gazette.
Les herboristes locaux la récoltent depuis 2 000 ans, et broient les bulbes pour fabriquer une poudre censée soigner la toux. Mais avec l’élévation du niveau de vie en Chine, la demande et par conséquent les prélèvements se sont intensifiés ces dernières années.
Et il faut grosso modo 3 500 bulbes pour produire un seul kilogramme de poudre, d’une valeur d’environ 480 dollars 2.
Les fleurs de cette espèce, d’un vert jaunâtre, se dressent isolées au milieu des éboulis couvrant les pentes des montagnes. Elles ne passent donc pas inaperçues.

Fritillaria delavayi parmi des éboulis rocheux
© Yang Niu, Current Biology n° 31 – novembre 2020 – Elsevier
Toutefois, des chercheurs d’une équipe sino-britannique ont remarqué que certains individus sont extrêmement difficiles à trouver, leurs feuilles se distinguent à peine du fond rocheux gris ou brun, comme le montre la photo ci-dessous 4.

Un individu en tenue de camouflage
© Yang Niu, Current Biology n° 31 – novembre 2020 – Elsevier
Des plantes qui se camouflent sont rares, mais on en connaît d’autres, surtout dans des milieux ouverts comme des pentes rocheuses.
Selon une étude plus ancienne, réalisée par la même équipe, et consacrée à une autre plante alpine ayant adopté une stratégie de dissimulation, Corydalis hemidicentra, la couleur des feuilles change en fonction d’une combinaison différente des deux pigments de base : la chlorophylle et les anthocyanes. Ces derniers permettent de créer des teintes rouges ou grises qui correspondent à un arrière-plan rocheux.
Un troisième mécanisme, la présence au sein des tissus de bulles d’air sans pigment, se traduit par l’apparition de nuances blanchâtres 6.

Anémone se camouflant
Les formes cryptiques (cachées) de ces plantes subissent environ 20 % de dommages en moins et ont un taux de survie jusqu’à 40% plus élevé que les formes non cryptiques (vertes). C’est donc une stratégie efficace pour lutter contre la prédation des herbivores (ruminants et insectes) 7.
Les scientifiques ont d’abord pensé que la même cause était à l’œuvre dans le cas des Fritillaria delavayi.
Mais les chercheurs n’ont observé aucun herbivore dans la zone qu’ils ont étudiée, et spécifiquement aucun yak (un grand ruminant à longs poils de l’Himalaya).
En outre, d’autres enquêtes ont montré que les rongeurs évitent généralement de consommer les bulbes (ceux des Fritillaires mais également ceux d’autres espèces, à l’exception des Tulipes). Ces bulbes contiennent vraisemblablement des composés chimiques qui les rendent toxiques pour les herbivores 3.

Les rongeurs évitent de consommer les bulbes de nombreuses espèces
Ici : des perce-neige (Galanthus nivalis)
Au grand étonnement des chercheurs, ce camouflage des Fritillaria delavayi semble être une réponse évolutive suite à une pression venant des hommes.
En effet, ils ont constaté que plus la cueillette est importante dans une zone donnée, plus la coloration des feuilles change et plus les plantes deviennent invisibles pour les cueilleurs.
Questions
Il faut d’abord insister sur un premier point : ce que les chercheurs ont trouvé est une corrélation (un lien) entre les deux phénomènes, ce qui ne signifie pas obligatoirement que le premier (la collecte) est la cause du second (le camouflage). C’est toutefois une présomption assez forte.
La réponse est affirmative : une étude antérieure, au sujet cette fois de Corydalis benecincta, a montré qu’il n’y avait pas de différence significative en ce qui concerne la performance photosynthétique entre les plants verts et les plants cryptiques 5.
De même, l’attraction visuelle que les fleurs exercent sur les insectes pollinisateurs (des bourdons) ne change pas significativement entre les formes grises et vertes.

Une autre Fritillaire camouflée
© Yang Niu, Current Biology n° 31 – novembre 2020 – Elsevier
Sources :
1 : Hang Sun et al. ; Origins and evolution of plant diversity in the Hengduan Mountains, China ; Plant Diversity ; volume 39 ; n° 4 : 2017 ; pp. 161-166 ↑
2 : Jonathan Lambert ; These plants seem like they’re trying to hide from people ; ScienceNews; 20 novembre 2020 ↑
3 : Paul D. Curtis et al. ; Relative Resistance of Ornamental Flowering Bulbs to Feeding Damage by Voles ; HortTechnology ; Volume 19 ; n° 3 ; pp. 499-503 ; janvier 2009 ↑
4 : Yang Niu et al. ; Commercial Harvesting Has Driven the Evolution of Camouflage in an Alpine Plant ; Current Biology ; n° 31 ; pp. 1-4 ; novembre 2020 ↑
5 : Yang Niu et al. ; Grey leaves in an alpine plant: a cryptic colouration to avoid attack ? ; New Phytologist ; volume 203 ; n° 3 ; août 2014 ; pp. 953-963 ↑
6 : Yang Niu et al. ; Divergence in cryptic leaf colour provides local camouflage in an alpine plant ; Proceedings of the Royal Society B ; volume 284 ; n° 1864 ; octobre 2017 ↑
7 : Yang Niu et al. ; Grey leaves in an alpine plant: a cryptic colouration to avoid attack ? ; New Phytologist ; volume 203 ; n° 3 ; août 2014 ; pp. 953-963 ↑
Intéressant. Quant à Anémone, son mimétisme n’est pas parfait : je l’ai repérée assez vite. Pour ce qui est de la dernière photo, elle serait plus parlante si elle n’était pas en noir et blanc. Cela dit, et trêve de plaisanterie, cet article est fort intéressant. L’évolution trouve des parades à la prédation. C’est plutôt encourageant. Dommage que les pangolins ne se soient pas adaptés eux aussi…
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Merci Jean-Paul. Il est vrai qu’on jurerait presque que la dernière photo est en noir et blanc (avec des nuances mauve pâle cependant) !
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