Que s’est-il passé à Goffontaine cet été ?

Cet été, un fait inattendu s’est produit dans la vallée de la Vesdre, dans l’est de la Belgique. Un événement que l’on peut attribuer directement et indirectement au réchauffement climatique. Des dizaines de plantes très rares chez nous, voire inconnues, sont apparues dans une prairie alluviale. Que s’est-il passé.? Lisez la première partie de notre dossier. 


La plus ravissante vallée qu’il y ait au monde

La Vesdre est une rivière qui prend sa source dans les Hautes Fagnes et parcourt 72,5.km avant de se jeter dans l’Ourthe, peu avant son confluent avec la Meuse.

Sa pente forte (0,73.% en moyenne) et sa vallée encaissée en font une rivière torrentielle.

Victor Hugo passa par là bien sûr. Quelle localité belge n’a-t-il pas visitée.?
Laissons-lui la plume.1.

Hier, à neuf heures du matin, comme la diligence de Liège à Aix-la-Chapelle allait partir, un brave bourgeois wallon ameutait les passants, se refusant à monter sur l’impériale, et me rappelant par l’énergie de sa résistance ce paysan auvergnat qui avait payé pour être dans la boîte, et non sur l’opéra. J’ai offert de prendre la place de ce digne voyageur, je suis monté sur l’opéra, tout s’est apaisé, et la diligence est partie.

Bien m’en a pris. La route est gaie et charmante. Ce n’est plus la Meuse, mais c’est la Vesdre. […]

La Vesdre est une rivière-torrent qui descend de Saint-Cornelis-Munster, entre Aix-la-Chapelle et Duren, à travers Verviers et Chauffontaines, jusqu’à Liège, par la plus ravissante vallée qu’il y ait au monde. Dans cette saison, par un beau jour, avec un ciel bleu, c’est quelquefois un ravin, souvent un jardin, toujours un paradis. — La route ne quitte pas un moment la rivière. Tantôt elles traversent ensemble un heureux village entassé sous les arbres avec un pont rustique devant chaque porte ; tantôt, dans un pli solitaire du vallon, elles côtoient un vieux château d’échevin avec ses tours carrées, ses hauts toits pointus et sa grande façade percée de quelques rares fenêtres, fier et modeste à la fois comme il convient à un édifice qui tient le milieu entre la chaumière du paysan et le donjon du seigneur. Puis le paysage prend tout à coup une voix bruyante et joyeuse ; et, au tournant d’une colline, l’œil entrevoit, sous une touffe de tilleuls et d’aulnes qui laissent passer le soleil, cette maison basse et cette grosse roue noire inondée de pierreries qu’on appelle un moulin à eau.

C’est un trou de verdure où chante une rivière
(Rimbaud – Le dormeur du val)

La Vesdre à Nessonvaux

Entre Chauffontaines et Verviers la vallée m’apparaissait avec une douceur virgilienne. Il faisait un temps admirable, de charmants marmots jouaient sur le seuil des jardins, le vent des trembles et des peupliers se répandait sur la route, de belles génisses, groupées par trois ou quatre, se reposaient à l’ombre, gracieusement couchées dans les prés verts. Ailleurs, loin de toute maison, seule au milieu d’une grande prairie enclose de haies vives, paissait majestueusement une admirable vache digne d’être gardée par Argus. J’entendais une flûte dans la montagne.


Verviers, capitale de la laine

De temps en temps la cheminée d’une usine ou une longue pièce de drap séchant au soleil près de la route venait interrompre ces églogues.

Victor Hugo termine son évocation bucolique de la vallée de la Vesdre en mentionnant l’industrie de la laine. Et celle-ci joue justement un rôle essentiel dans notre histoire.

Jusqu’au 15e.siècle, Verviers ne fut qu’un modeste village. Mais les eaux plutôt acides de la Vesdre, venant des Hautes Fagnes, qui dégraissent facilement et sont par conséquent propices au lavage des toisons, attirèrent les artisans.3.

La Vesdre canalisée à Verviers (2007)

La production s’effectua d’abord à domicile. Au 17e.siècle, des marchands drapiers apparurent et utilisèrent la force motrice de la rivière pour réaliser des opérations demandant un matériel plus important, comme le foulage.

La concentration des entreprises continua au 18e.siècle. Elle fut favorisée par l’absence de structure (corporation, compagnonnage) dans la région, ce qui laissa le champ libre aux premiers capitalistes.4. En 1799, à la demande de quelques industriels locaux, un mécanicien anglais (William Cockerill) s’installa à Verviers pour automatiser certaines activités.

Ouvreuse-loup de 1810 : servait à déchirer les masses de laine
Visible au Centre touristique de la Laine et de la Mode (CTLM)

Grâce à cette mécanisation, le 19e.siècle devint l’âge d’or de l’industrie lainière dans la vallée. Verviers fut alors considérée comme l’une des capitales mondiales de ce secteur, en compagnie de Bradford (Yorkshire).

Mais le développement des fibres synthétiques au cours du 20e.siècle entraîna le déclin inexorable de cette activité.

Maisons et anciens bâtiments industriels le long de la Vesdre (2007)

Les adventices lainières

Au 19e.siècle, les industriels verviétois importaient de la laine venant principalement d’Australie, d’Argentine et d’Afrique du Sud.

C’est en 1797 qu’un premier petit troupeau de 26.moutons mérinos (une race originaire d’Espagne) fut amené du Cap de Bonne Espérance à Port Jackson, le port de Sydney. Tout au long du 19e.siècle, les éleveurs australiens procédèrent à des croisements de leurs moutons avec d’autres lignées de la même race, provenant d’Europe et d’Afrique du Sud. Ils obtinrent ainsi des bêtes plus grandes et plus robustes qui pouvaient produire jusqu’à 10.fois plus de toison que la variété originelle. Leur laine était plus fine, plus dense, plus propre, plus élastique et plus résistante, et donc mieux adaptée à l’industrie textile lainière en pleine expansion en Europe.18.

Moutons mérinos paissant dans l’outback australien

Les fruits de certaines espèces végétales s’attachent aisément aux poils des moutons lorsqu’ils broutent dans les pâtures.

Ce mode de dissémination des semences, appelé zoochorie, présente l’avantage pour les plantes de faire franchir de grandes distances à leurs graines, et favorise par conséquent l’expansion de l’espèce.

Une partie de ces graines et d’autres débris végétaux était cependant éliminée avant la tonte, par un lavage des animaux. Cela facilitait la coupe des poils et permettait de diminuer les coûts de transport, la laine lavée étant plus légère. Le troupeau était simplement conduit dans un ruisseau ou une mare creusée à cet effet.20.

Des fruits, notamment d’Erodium crinitum, dans des poils de mouton

Au début du 19e.siècle, les moutons étaient tondus à l’aide de cisailles appelées forces.

Le premier décompte quotidien authentifié renseigne un total de 30.moutons tondus par jour en 1835. Le procédé fut ensuite mécanisé par un éleveur australien, Frederick York Wolseley. En 1892, un tondeur du Queensland parvenait à couper les poils de 321.bêtes quotidiennement.19.

Anciennes forces utilisées pour la tonte

Les fibres voyageant des antipodes jusqu’en Europe, il était vital de réduire au maximum les coûts de transport. La laine était par conséquent comprimée en balles par des presses placées dans le hangar de tonte.

Ces ballots étaient déchargés au port d’Anvers, puis transportés jusqu’à Verviers par chemin de fer.

Ballot de laine

Nous avons vu plus haut que les moutons étaient lavés avant la tonte. Malgré cela, les ballots exportés vers l’Europe contenaient encore beaucoup d’impuretés. Ils subissaient par conséquent un nouveau lavage avant la filature.

En 1868, le Verviétois Eugène Melen va métamorphoser cette étape en inventant le Léviathan. C’était une machine imposante, composée de six bains d’eau chaude additionnée de savon et de carbonate de soude, de tapis roulants et de compresseurs.

Machine à laver la laine.: le léviathan

Au 19e.siècle, les effluents (les eaux utilisées pour le nettoyage) étaient rejetés directement dans la Vesdre, avec les graines qu’ils contenaient.

Les industries lainières déversant leurs eaux usées dans la Vesdre

Ces graines se déposaient en aval sur les berges ou dans les prairies alluviales lors des inondations récurrentes de la rivière.

La Vesdre a un caractère torrentiel, comme nous l’avons déjà souligné ci-avant. On dénombre au moins quatorze inondations catastrophiques durant le 19e.siècle, et encore onze entre 1900 et 1956. Par rapport à celles ayant eu lieu avant la révolution industrielle, leurs effets ont été amplifiés par deux actions humaines.: la canalisation du cours d’eau et les travaux d’assèchement entrepris par l’État dans l’Hertogenwald, la grande forêt située au nord du massif des Hautes Fagnes. Ces travaux ont détruit nombre de marais qui retenaient l’eau en temps de pluie.21.

La Vesdre inondant une prairie en aval de Verviers

Les semences apportées lors des débordements pouvaient germer lorsque les conditions climatiques leur étaient favorables.

Regroupées sous les locutions adventices lainières ou wool aliens, elles formèrent vraisemblablement le contingent le plus important des plantes exotiques observées en Belgique entre 1880 et 1960.2.

La Mauve de Nice (Malva nicaeensis) fut observée en tant qu’adventice lainière
dans la vallée de la Vesdre en 1882

Le déclin de l’industrie de la laine entraîna la disparition progressive de ces adventices qui ne furent plus signalées dans la vallée à partir des années.70, et seulement sporadiquement dans le reste du pays, essentiellement aux environs des ports.

Les semences qui ne germèrent pas demeurèrent toutefois enterrées et constituèrent ainsi un stock dormant, appelé la banque de graines du sol (Soil seed bank).

La longévité des graines dans le sol va de presque zéro (elles germent dès qu’elles atteignent la terre) à plusieurs centaines d’années. Des études ont montré que les semences de certaines familles de plantes ont en moyenne une durée de vie brève, notamment chez les Apiacées et les Brassicacées, tandis qu’elle est nettement plus longue pour d’autres taxons, comme les Malvacées et les Amaranthacées. Au sein d’une même famille, des disparités importantes existent cependant. En outre, les graines des espèces européennes semblent avoir une viabilité plus courte que celles provenant d’Asie du Sud et d’Australie.22.

Inflorescence du Chénopode blanc (Chenopodium album), une plante très commune (Amaranthacées).
Viabilité des graines.: 50.% après 12.ans, 32.% après 20.ans, 1.% après 78.ans .24.

La durabilité d’une semence ne dépend pas seulement de ses caractéristiques intrinsèques. Les conditions environnementales du sol, telles que le type de substrat, l’humidité et la température, jouent un rôle primordial.

Voici quelques chiffres. Des semences des genres Leucospermum, Liparia et Acacia collectées au début du 19e.siècle dans la région du Cap, en Afrique du Sud, ont germé après au moins 203.ans. La datation au carbone.14 indique même un âge compris entre 218 à 270.ans.23.
Le record appartient au palmier dattier Phoenix dactylifera. Entre 2005 et 2007, on est parvenu à faire germer une graine de 1900.ans environ, récupérée dans les fouilles de Massada, une forteresse surplombant la mer Morte. Le plant fut nommé Methuselah, «.Mathusalem.» d’après le personnage biblique.25.


Juillet 2021 : la pire catastrophe naturelle en Belgique

Entre le 14 et le 16.juillet, des inondations dramatiques touchèrent l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. En Belgique, 209 des 262.communes du sud du pays furent affectées, il y eut 100.000.sinistrés et plus de deux milliards de dégâts. Et 39.morts.5.

La vallée de la Vesdre fut particulièrement éprouvée, des façades et des maisons étant emportées par le courant. Les ravages y furent amplifiés par la canalisation de la rivière, une retombée de l’industrialisation de la région au 19e.siècle.

La Nature déchire ses manuscrits, démolit sa bibliothèque
(Francis Ponge – La fin de l’automne)

Pepinster (vallée de la Vesdre) : certaines maisons se sont écroulées sous la force de l’eau 
© Christophe Licoppe, European Commission (17 juillet 2021)

Une étude a été réalisée par une équipe internationale de 39.chercheurs, dont des experts de l’IRM (Institut Royal Météorologique de Belgique). Steven Caluwaerts, chercheur à l’IRM, a déclaré.:

«.Les précipitations extrêmes se produisent tout le temps et il est impossible de dire si les quantités [de juillet 2021] ne seraient pas tombées sans le changement climatique. Par contre, cette étude indique bel et bien que le réchauffement climatique augmente à la fois la probabilité et lintensité de ces précipitations extrêmes.».6.


La prairie alluviale de Goffontaine

Localisation

Goffontaine est un hameau de la commune belge de Pepinster. Selon Jean-Jacques Jespers, goffontaine signifierait une source dans une fondrière (lieu souvent envahi par l’eau et généralement marécageux).8.

De l’autre côté de la Vesdre se trouve la réserve naturelle de Goffontaine, créée en 2005. Totalisant 4,5.hectares, elle est à cheval sur les communes de Trooz et de Pepinster, au bord d’un méandre de la rivière, à l’est du village de Fraipont. Elle est constituée de trois anciennes prairies de fauche, qui furent utilisées auparavant comme pâtures à chevaux.9.

Localisation de Goffontaine dans la vallée de la Vesdre

Le portail consacré à la biodiversité en Wallonie précise, en ce qui concerne cette réserve, que son intérêt biologique est très moyen, en raison de lutilisation intensive des herbages, de leur amendement et de leutrophisation du milieu.

La prairie qui va nous intéresser aujourd’hui est la plus méridionale des trois.

Situation de la prairie alluviale étudiée
Vue partielle de la prairie (septembre 2022)

Les répercussions des inondations

En juillet 2021, la Vesdre recouvrit la prairie sous deux mètres d’eau et y amena des dizaines de milliers de déchets en tout genre.: des pneus, des emballages, des bidons de produits, ainsi que des millions de petites billes de plastique provenant d’une usine située en amont de Pepinster.10.

Des centaines de personnes, des volontaires pour la plupart, participèrent alors à un gigantesque effort de nettoyage, coordonné par un agent du Département de la Nature et des Forêts. Cette mobilisation est illustrée sur le blogue Infotrooz.

Une autre conséquence calamiteuse des crues de juillet.2021 est l’envahissement des rives de la Vesdre par la Renouée du Japon. À Goffontaine, des machines étrépèrent bien le terrain à la fin de l’année.2021 afin de l’extirper, mais ce fut peine perdue. Elle réapparut au printemps suivant, et se développa avec une belle vigueur.11.

Les berges de la Vesdre envahie par la Renouée du Japon

Les engins de chantiers effectuèrent d’autres travaux dans la prairie. Ils enlevèrent notamment une partie de la berge en béton, qui s’était déjà en partie effondrée avant les événements et que les inondations avaient déstabilisée davantage.

Ils creusèrent en outre un large chenal à la place de la canalisation qui enfermait auparavant le Songnon, un petit affluent de la Vesdre. L’objectif étant que les eaux de la Vesdre puissent pénétrer dans ce chenal lors des débordements.12. L’épaisse couche de terre ainsi retirée fut reversée sur le talus bordant la prairie.

Le chenal creusé dans la prairie

La prairie de Goffontaine connut donc, après les inondations, d’importants travaux de terrassement : étrépage du terrain afin d’ôter les débris, creusement d’un chenal,…


Été 2022 : un été très chaud et sec

L’été.2022, marqué par plusieurs canicules et une grave sécheresse, a été le plus chaud jamais enregistré en Europe, selon le service européen sur le changement climatique Copernicus.7.

En Belgique, l’Institut royal météorologique a également indiqué que l’été.2022 s’est révélé le plus sec depuis 1991.


… accompagné d’apparitions surprenantes

Le 4.juillet.2022, Simon Valentini, un jeune étudiant suivant un master en biologie à l’Université de Liège, longeait la prairie de Goffontaine lorsqu’il vit plusieurs Datura officinaux.
Datura stramonium est une espèce naturalisée chez nous depuis plusieurs siècles, mais Simon ne l’avait jamais remarquée sur ce site.

Datura stramonium var. tatula à Goffontaine

Le Datura officinal appartient à la famille des Solanacées (de même que la pomme de terre, la tomate ou encore la belladone). Comme la belladone et contrairement aux pommes de terre et aux tomates, le Datura est entièrement toxique.: les tiges, les feuilles, les fleurs et les graines contiennent des alcaloïdes puissants. Les effets de l’ingestion vont de la tachycardie aux hallucinations, voire à la mort. C’est du reste en tant que narcotique qu’il fut importé en Europe au 18e.siècle.13.

En Belgique, le Datura officinal a été introduit par l’intermédiaire des laines et des céréales, et vraisemblablement aussi par d’autres vecteurs.15. Datura stramonium fait donc partie des adventices lainières. Par conséquent ses graines étaient selon toute vraisemblance présentes dans le sol de la prairie, et puisqu’il pousse volontiers sur des terrains dénudés, comme l’était le site de Goffontaine après les inondations et les travaux de terrassement, son apparition durant l’été n’est pas étonnante.

Zoom sur un fruit de Datura stramonium

Examinez le fruit sur la photo précédente. Il est recouvert d’épines, et peut donc aisément s’accrocher au pelage de grands animaux, facilitant ainsi la dispersion des graines. Les botanistes appellent zoochorie ce mode de propagation. Notons toutefois que ces épines ne sont pas toujours présentes sur les fruits, l’espèce étant connue pour sa variabilité importante.

Disons d’abord que le Datura stramonium est aujourd’hui devenu subcosmopolite, son aire de répartition s’étendant sur plusieurs continents. C’est une adventice parfois envahissante dans les cultures de coton, de maïs ou de pommes de terre.

Sa compétitivité est essentiellement due à deux facteurs.
Premièrement, les feuilles sont concentrées dans le quart supérieur de la plante, ce qui provoque une forte atténuation de la lumière aux étages inférieurs, et empêche le développement des concurrents.
Deuxièmement, sa croissance est indéterminée, c’est-à-dire qu’elle n’est limitée que par le dépérissement de l’individu.14.

Le fruit du Datura officinal est une capsule qui s’ouvre selon quatre valves correspondant aux quatre carpelles. Les graines noires sont attachées au centre sur leurs placentas.

Le nom Datura vient du sanskrit dhattūra, qui désignait le Datura metel.

Jusqu’à une date récente, on pensait que les espèces du genre Datura poussaient naturellement à la fois dans le Nouveau et dans l’Ancien Monde. Cette supposition était étayée par des informations historiques.

Mais en 1991, des études taxonomiques de David Symon et Laurie Haegi (deux botanistes australiens) montrèrent de manière convaincante que tous les Daturas sont d’abord apparus en Amérique.17. Pour eux, les données tirées des sources anciennes reposaient sur des confusions. Les Daturas ne seraient arrivés dans l’Ancien Monde qu’après Christophe Colomb.

Le débat fut relancé en 2008 par deux autres biologistes, R..Geeta, qui travaillait à ce moment à la State University de New York, et Waleed Gharaibeh de l’Université de Jordanie. Ils acceptèrent une origine nord-américaine pour tous les Daturas, mais réfutèrent la conclusion qu’aucune espèce de ce genre n’était connue dans l’Ancien Monde avant le 16e.siècle. En s’appuyant sur d’anciens textes arabes et indiens, datés du 4e au 14e.siècle, ainsi que des représentations iconographiques du sud de l’Inde, du 9e au 13e.siècle, ils exposèrent des preuves de la présence précolombienne d’au moins une espèce de Datura dans l’Ancien Monde.26.

Pour réconcilier les données taxonomiques et historiques, il faut donc admettre qu’au moins une espèce de Datura (en l’occurrence le Datura metel) atteignit l’Asie du Sud durant le premier millénaire de notre ère, avant de se disperser à partir du 9e.siècle en Asie occidentale et puis en Europe.

Les graines de cette espèce pèsent environ 14.mg, ce qui est considérablement plus gros que le poids des semences habituellement transportées par le vent. Le portage par des oiseaux est peu probable, car les fruits sont des capsules sèches n’attirant pas ces animaux.

La propagation par l’eau (hydrochorie) peut par contre être envisagée. La paroi interne du fruit est composée de tissus spongieux, ce qui autorise la flottaison dans l’eau de mer. On peut supposer que le Datura ait d’abord été amené par l’homme de l’Amérique centrale vers l’Équateur et le Pérou, où il fut utilisé dans des rituels religieux. Les courants océaniques auraient ensuite permis le voyage de graines de l’Amérique du Sud jusqu’en Polynésie. De là, de nouveau par l’entremise de l’homme, il aurait gagné l’Asie du Sud-Est.

Ce ne sont bien sûr que des hypothèses, mais rappelons qu’on envisage le même genre de parcours pour une autre plante américaine, la patate douce (Ipomoea batatas). Des preuves archéologiques témoignent en effet de sa culture en Polynésie vers 1.000 ou 1.100 de notre ère.27.

Calvo, Paco & Lawrence, Natalie
Planta Sapiens.: Unmasking Plant Intelligence.– p..61
Little, Brown Book Group

Sources :

1.: Victor Hugo.; En voyage, tome.I, lettre.VIII.; 1838.

2.: Filip Verloove.; Catalogue of neophytes in Belgium.; Scripta Botanica Belgica.; National Botanic Garden (Belgium).; Volume 39.; 2006.; p..39.

3.: Dossier pédagogique.; Maison de l’Eau – Aqualaine.; p..15.

4.: Freddy Joris.; Les grandes étapes de l’histoire sociale verviétoise de 1709 à 1909.: Première partie.; Best Of Verviers.; juin.2009.

5.: Eric Deffet.; Les inondations ont fait 39.morts. Derrière un nombre, des noms.; Le Soir.; 9.septembre.2022.

6.: Pascale Bollekens.; Inondations en Belgique.: une étude établit le lien entre réchauffement climatique et pluies torrentielles en Europe de l’Ouest.; RTBF.; 24.août.2021.

7.: Belga, édité par M. Allo.; Climat.: l’été.2022 le plus chaud jamais enregistré en Europe, selon le service Copernicus.; RTBF.; 8.septembre.2022.

8.: Jean-Jacques Jespers.; Dictionnaire des noms de lieux en Wallonie et à Bruxelles.; Éditions Racine.; 2005.; p..288.

9.: Goffontaine.; La biodiversité en Wallonie.; page consultée le 4.octobre.2022.

10.: Réserve naturelle de Goffontaine.: Où en est-on.?.; Le Passeur (d’idées).; 3.octobre.2021.

11.: Renouée du Japon.: le retour.; Le Passeur (d’idées).; 25.juin.2022.

12.: Réserve naturelle domaniale de Goffontaine (3c/3).; Le Passeur (d’idées).; 28.juin.2022.

13.: Hélène Gervais.; Datura stramonium.; Le Centre de ressources des espèces exotiques envahissantes.; 17.août.2021.

14.: Cavero et al..; Competition between maize and Datura stramonium in an irrigated field under semi‐arid conditions.; Weed Research.; n°.39.; pp..225-240.; 2002.

15.: Quentin Groom.; Datura stramonium.; Manual of the Alien Plants of Belgium.; 2011.

16.: Richard Evans Schultes & Albert Hofmann.; The Botany and Chemistry of Hallucinogens.; Thomas.; 1979.; pp..283-288.

17.: David Symon & E. Haegi.; Datura (Solanaceae) is a New World Genus.; Royal Botanic Gardens Kew and Linnean Society of London.; Volume Solanaceae.III.; 1991.; pp..197-210.

18.: Merino sheep introduced.; National Museum Australia.; page consultée le 30.octobre.2022.

19.: Sheep shearing is probably the most iconic activity in rural Australia.; State Library – New South Wales.; page consultée le 31.octobre.2022.

20.: On the land.:wool.; Old Treasury Building.; page consultée le 31.octobre.2022.

21.: Paul Delforge.; Comment faire barrage à une montée des eaux violente et soudaine.?.; Institut Destrée.; 10 août 2021.

22.: Walters C. et al..; Longevity of seeds stored in a genebank.: species characteristics.; Seed Science Research.; Volume.15.;  p..1 ; 2005.

23.: Matthew I. Daws et al..; Two-hundred-year seed survival of Leucospermum and two other woody species from the Cape Floristic region, South Africa.; Seed Science Research.; Volume.17.; n°.2.;  pp..73-79.; juin.2007.

24.: Common Lambsquarters.; Michigan State University.; page consultée le.6/11/2022.

25.: Sarah Sallon et al..; Germination, Genetics, and Growth of an Ancient Date Seed.; Science.; Juillet 2008.

26.: Geeta, R. et Gharaibeh, W..; Historical evidence for a pre-Columbian presence of Datura in the Old World and implications for a first millennium transfer from the New World.; Journal of Biosciences.; n°.32.; pp..1227–1244.; décembre 2007.

27.: When did sweet potatoes arrive in the Pacific – Expert Reaction.; Science Media Centre.; 13.avril 2018.

A propos La gazette des plantes

La gazette des plantes, un blog qui part à la découverte des végétaux qui nous entourent en Belgique
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3 commentaires pour Que s’est-il passé à Goffontaine cet été ?

  1. Pasquet France dit :

    Merci. C’est passionnant.

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  2. Cramponnée à ma chaise dit :

    C’est tout un voyage ! mais le lecteur est lâché en plein suspense…Vivement la suite !

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  3. celadon7 dit :

    Des stramoines il y en a beaucoup en Loir et Cher friches et terrains de cultures , Les bords de Loire sont envahis de Jussie et d’autres végétaux dits invasifs

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