Dans le nord des États-Unis ainsi qu’au Canada les Hêtres meurent et les scientifiques recherchent fébrilement une explication à cette épidémie. Ils soupçonnent l’action d’un microbe plutôt que d’un insecte. C’est l’occasion pour la Gazette de parler des points faibles du Hêtre.
Une maladie décime plusieurs espèces de Hêtres dans certaines parties de l’Amérique du Nord, et pourrait bien se propager rapidement dans tout l’hémisphère septentrional.
Des scientifiques de l’Ohio State University viennent de lancer l’alerte : une maladie décime les Hêtres dans certains comtés des états de l’Ohio et de Pennsylvanie, ainsi que dans la province de l’Ontario au Canada 1.
Endroits où la maladie a été signalée (fin 2018)
Il s’agit d’une maladie apparemment mortelle qui a été découverte pour la première fois en 2012 sur des Hêtres d’Amérique (Fagus grandifolia). Elle semble désormais se répandre rapidement et vient d’être détectée sur des plants de Hêtre européen (Fagus sylvatica) et de Hêtre oriental (Fagus orientalis), poussant dans des hêtraies de l’Ohio.
Encore éloignée de nos forêts européennes par conséquent, mais dans un monde dominé par les échanges internationaux, cette maladie pourrait bien se propager prochainement dans tout l’hémisphère septentrional.
Cette maladie est caractérisée par l’apparition de bandes vert foncé entre les nervures.
Le premier symptôme qui caractérise cette maladie est l’apparition de bandes vert foncé entre les nervures des feuilles les plus basses, comme le montre la photo ci-dessous 2.
Dans un stade plus avancé, l’ensemble de la feuille s’assombrira et se recroquevillera, et les bourgeons ne se formeront plus. L’arbre mourra ensuite, généralement dans un délai de 3 ans. Les jeunes individus semblent être les plus vulnérables.

Le premier symptôme de la maladie se traduit par l’apparition de bandes foncées entre les nervures des feuilles
© Jim Chatfield ; Buckeye Yard and Garden onLine ; Ohio State University
Puisque cette pathologie s’attaque en premier lieu aux feuilles, les spécialistes l’ont appelée BLD pour « Beech leaf disease » (maladie de la feuille du Hêtre).
Elle est entrée dans une phase de progression rapide, et les forestiers américains craignent que les Hêtres aient le même destin que les frênes qui luttent actuellement contre deux fléaux : d’une part la chalarose provoquée par un champignon invasif, et d’autre part l’agrile du frêne, un insecte coléoptère dont les larves consomment la sève de l’arbre.
On soupçonne des microbes, mais lesquels ?
Comme les feuilles ne sont ni trouées ni mâchées, le coupable n’est probablement pas un insecte herbivore. Les indices pointent plutôt vers une maladie infectieuse.
Les suspects sont activement recherchés dans 4 groupes : virus, champignons, bactéries ou nématodes (de petits vers ronds dont certains parasitent les plantes) 3.
Rappelez-vous : la Gazette des Plantes a déjà évoqué les nématodes dans l’article intitulé « Que de monde dans le sol ».
Afin de déterminer ce qui tue les Hêtres, les chercheurs de l’Ohio prélèvent de l’ADN et de l’ARN des microbes présents sur les feuilles des individus malades et les comparent ensuite avec ceux des micro-organismes vivant sur des arbres sains, situés loin des zones infectées.
Ils espèrent ainsi découvrir un coupable potentiel 4.
Les Hêtres de nos régions sont eux aussi souvent les victimes de maladies graves.
Ce fut par exemple le cas dans les Ardennes entre 1999 et 2002. Les investigations ultérieures ont montré qu’un brusque coup de froid durant l’automne 1998 avait fortement affaibli les Hêtres en provoquant des lésions dans leur écorce fine et dans les tissus situés juste sous celle-ci. Ces lésions attirèrent ensuite des scolytes, des insectes xylophages, ainsi que des champignons se nourrissant de lignine 5.
Les pertes furent considérables, mais la maladie fut enrayée après quelques années.
Une autre maladie qui attaque fréquemment ces arbres est appelée le chancre du Hêtre. Le processus est similaire : un insecte, la cochenille du hêtre, Cryptococcus fagisuga, attaque l’écorce de l’arbre, créant une lésion. Ensuite des espèces de champignons du genre Neonectria peuvent pénétrer dans l’arbre par la blessure et l’envahir, menant finalement à la mort de l’individu 6.
Le Hêtre a quelques points faibles : son écorce fine, ses racines peu profondes et son succès !
Son écorce notamment : elle est fine et peut être assez aisément blessée par des insectes, ce qui laisse la porte ouverte à des champignons pathogènes, comme nous l’avons vu ci-dessus.
En temps normal l’arbre peut toutefois résister aux agressions en produisant des substances nocives pour ses attaquants.
Comme tous les organismes vivants, c’est quand il est affaibli qu’il est le moins apte à se défendre efficacement. Ceci nous amène à parler de son deuxième « talon d’Achille » : son système racinaire.
Avertissement préliminaire !
L’enracinement d’un arbre dépend des circonstances locales : la profondeur de la roche-mère, la compacité du sol, le niveau de la nappe phréatique, etc.
On peut certes observer des tendances qui caractérisent une espèce particulière, mais elles peuvent être ponctuellement infirmées, ou confirmées.
Les racines du Hêtre adoptent usuellement une structure dite « en couronne » parce que les plus grosses sont disposées … en couronne (voir dessin ci-dessous) et plongent obliquement dans le sol, en suivant une inclinaison d’environ 45°. C’est en fait l’architecture adoptée par beaucoup de feuillus comme le Charme, les Érables et les Tilleuls 8.
Mais il n’est pas rare que le Hêtre déploie ses racines principales horizontalement, parallèlement à la surface. On parle alors d’un enracinement traçant, fréquent également chez l’Épicéa ou le Frêne 11.
Rien n’empêche bien sûr l’arbre de posséder une structure mixte mêlant de robustes racines horizontales et d’autres descendant obliquement dans la terre 10.
Un Hêtre adulte peut également, mais c’est plus rare, posséder une racine pivotante 12. Une racine pivotante est une grosse racine verticale qui prolonge le tronc dans le sol (voir dessin suivant).
Les racines des jeunes arbres sont normalement toutes des racines pivotantes, mais celles-ci se transforment ensuite en fonction de l’espèce et des conditions environnementales. À l’état adulte, dans nos régions, les Chênes, les Pins et les Sapins sont les seuls arbres qui conservent (généralement) cette architecture 13.
Une étude réalisée en Slovaquie a toutefois observé que les Hêtres peuvent former des racines pivotantes robustes lorsque la nappe phréatique est située loin de la surface 14.
Les racines du Hêtre exploitent, de manière intensive, un volume de sol relativement petit. Il est par conséquent beaucoup plus sensible aux sécheresses.
Le problème n’est pas que ses racines soient horizontales ou disposées en couronne. Le problème est qu’elles exploitent, de manière très intensive, un volume de sol relativement petit 16.
L’étude que nous avons citée ci-dessus a trouvé que la largeur maximale du système racinaire des Hêtres examinés n’atteignait pas 6 m., pour une profondeur maximale de 120 cm 15.
Une largeur de moins de 6 m., ce n’est vraiment pas beaucoup. La configuration des racines des arbres est très souvent irrégulière, mais nombre de chercheurs estiment cependant qu’elles occupent un espace deux à huit fois plus large que la couronne 17.
Et par conséquent, lorsque l’eau vient à disparaître des couches superficielles du sol durant une période de sécheresse, le Hêtre est pris au dépourvu. Il est beaucoup plus sensible à l’absence prolongée de pluie que les Chênes par exemple, dont les racines s’enfoncent plus loin pour aller chercher l’humidité là où elle subsiste 7.
Le Hêtre a lui besoin d’une atmosphère humide et des précipitations bien réparties tout au long de l’année.
Une troisième faiblesse du Hêtre est due à son succès ! Il est devenu en effet l’un des arbres les plus fréquents dans les forêts européennes depuis quelques milliers d’années.
Prenons l’exemple de la Belgique : le Hêtre y est la quatrième essence la plus répandue comme le montre le graphique ci-dessous (données de 2011).

En % des surfaces boisées
Les surfaces non productives (voiries, étangs, landes, coupe-feu) étant exclues
Source : Société Royale Forestière de Belgique
http://www.srfb.be/fr/les_forets_belgique
En outre il ne faut pas oublier que les conifères, et en premier lieu l’Épicéa, ont été plantés dans nos régions vers la moitié du 19e siècle, afin de reboiser rapidement les forêts qui avaient été décimées pour répondre aux besoins de la métallurgie. Les conifères mis à part, le Hêtre est en fait le deuxième arbre le plus répandu après les Chênes.
Lorsqu’une espèce devient dominante dans un milieu donné, elle va attirer différents agresseurs en leur offrant gîtes et couverts en abondance. Ces attaquants peuvent pré-exister ou évoluer à partir d’un autre organisme (bactérie, champignon etc.) qui se spécialise afin de profiter des circonstances. C’est l’un des dangers bien connus des monocultures.
Dans un système naturel, cette prédation est tout à fait normale et bénéfique puisqu’elle favorise en fin de compte la diversité en espèces.
Relisez à ce propos l’article intitulé « La police des forêts tropicales humides ».
Le Hêtre n’est pas la seule victime d’une trop grande profusion : l’Épicéa a fait l’objet en Belgique de plusieurs attaques de scolytes (des petits insectes xylophages) en 2018 9.
Et nous avons déjà évoqué ci-dessus les malheurs du Frêne, un autre feuillu fréquent chez nous.
Plusieurs raisons concourent à cette domination du Hêtre. Mais ce sera le sujet d’un article futur !
Sources :
1 : Carrie J. Ewing & al. ; Beech leaf disease: An emerging forest epidemic ; Forest Pathology ; 25 décembre 2018 ↑
2 :Jim Chatfield ; Diagnostics of Beech Leaf Disease: The Ultimate Beech Read ; Buckeye Yard and Garden onLine ; Ohio State University ; octobre 2018 ↑
3 : Carolyn Wilke; A Mysterious Disease Is Killing Beech Trees ; The Scientist ; 22 janvier 2019 ↑
4 : Ohio State University ; Beech trees are dying, and nobody’s sure why ; ScienceDaily ; 9 janvier 2019. ↑
5 : Louis-Michel Nageleisen & Olivier Huart ; Problèmes sanitaires d’actualité en hêtraie : la maladie du Hêtre dans les Ardennes ; Revue forestière française ; n° 2 ; 2005 > ↑
6 : Wikipedia ; Chancre du Hêtre ; décembre 2018 ↑
7 : Paul Brown ; Weatherwatch: how drought threatens Britain’s beech trees ; The Guardian ; 18 février 2019 ↑
8 : Walter Larcher ; Physiological Plant Ecology: Ecophysiology and Stress Physiology of Functional Groups ; Springer ; 2003 ; p. 13 ↑
9 : Christian Du Brulle ; Des chênes plutôt que des épicéas pour sauver les forêts wallonnes ; Daily Science ; 9 novembre 2018 ↑
10 : P. Čermák1 & F. Fér ; Root systems of forest tree species and their soil-conservation functions on the Krušné hory Mts. slopes disturbed by mining ; Journal of Forest Science ; n° 53 ; 2007 ; p. 563 ↑
11 : Steffen Rust et al. ; The root systems of Fraxinus excelsior and Fagus sylvatica and their competitive relationships ; Forestry ; n° 73 ; p. 501 ; mai 2000 ↑
12 : O. Mauer & E. Palátová ; Root system development of European beech (Fagus sylvatica L.) after different site preparation in the air-polluted area of the Krušné hory Mts. ; Mendelova univerzita (Brno) ; 2011 ; p. 150 ↑
13 : John Roberts et al. ; Tree Roots in the Built Environment ; Centre for Ecology and Hydrology (Great Britain) ; 2006; p. 44↑
14 : J. Kodrik et al. ; Root biomass of beech as a factor influencing the wind tree stability ; Journal Of Forest Science ; 2002; n° 48 ; p. 558 ↑
15 : J. Kodrik et al. ; Root biomass of beech as a factor influencing the wind tree stability ; Journal Of Forest Science ; 2002; n° 48 ; p. 550 ↑
16 : John R. Packham et al. ; Biological Flora of the British Isles: Fagus sylvatica ; Journal Of Ecology ; Volume 100 ; Issue 6 ; novembre 2012 ; pp. 1557-1608 ↑
17 : Ellyn Shea; How Wide Do Tree Roots Spread ? ; Deeproot ; 22 septembre 2014 ↑
Bonjour,
On savait depuis La Fontaine et son « Chêne et le roseau »que le roi de forêt n’était pas aussi gaillard qu’on le pensait et que les grands arbres aussi pouvaient avoir leur talon d’Achile.Après l’orme européen, l’olivier,le frêne ,maintenant le hêtre sont en danger,il y a de quoi s’interroger sur les causes de ces maladies de nos proches chlorophyliens .
Sont-ce notre développement techno-industriel ,notre consommation insatiable qui dérêglent tout,qui scient la branche sur laquelle nous reposons.
Il serait peut-être urgent de s’interroger ,même à revoir nos modes de vie et d’être!
Christian
J’aimeJ’aime