
Allons-y pour cette deuxième étape.
Les étamines
Nous avons donc appris dans le billet précédent que la fleur de l’Anémone pulsatille est protégée par six sépales disposés sur deux rangs. Continuons notre exploration et examinons maintenant le centre de la fleur.
Les étamines jaunes, qui tranchent nettement sur les sépales violets, sont très nombreuses, ce qui est typique de la famille des Renonculacées.
Des étamines, l’Anémone pulsatille en compte vraiment beaucoup : de 200 à 280 par fleur (la moyenne étant ± 233) 3.
À titre de comparaison, on en trouve une cinquantaine chez l’Anémone des bois.
Les étamines externes sont stériles et nectarifères.
Observez les étamines les plus externes (photo suivante) : elles sont nettement plus petites et ne produisent pas de pollen. Elles sont en effet stériles, et les botanistes les nomment staminodes (du latin stamen , « fil », qui a donné également « étamine »).
En revanche, elles possèdent à leur base des glandes sécrétant du nectar 1.
Rappelons que le nectar est un liquide sucré, moyen coûteux mais efficace que de nombreuses plantes ont trouvé afin d’attirer les insectes qui transporteront leur pollen.
Une fleur d’Anémone pulsatille compte en général de 20 à 30 staminodes 4.
Les glandes nectarifères
Leur position n’est pas fixée au sein de la fleur, contrairement aux autres organes.
Prenons quelques exemples au sein de la famille des Renonculacées.
Voici d’abord l’Anémone la plus commune, l’Anémone des bois (Anemone nemorosa).
Zoomons sur le centre de la fleur (photo suivante). On remarque d’abord les organes mâles, les étamines coiffées par les anthères jaunes qui contiennent le pollen.
Ces étamines entourent les organes femelles (les carpelles), qui comprennent les stigmates blancs et les ovaires verts (sans jeu de mots) qui donneront plus tard les fruits.
Une étude assez récente a découvert que ce sont les ovaires qui fabriquent ici la substance sucrée. Plus précisément leur épiderme 2.
La situation est semblable chez le Populage des marais (Caltha palustris), le nectar y étant exsudé par la base des carpelles.
L’Ancolie commune (Aquilegia vulgaris) met son nectar à un tout autre endroit. Ses sépales externes alternent avec les pétales internes, de couleur identique. On reconnaît toutefois facilement les pétales, car ils sont terminés par un éperon recourbé, pointant vers le ciel. C’est dans cette sorte de crochet que le nectar est stocké. Seuls des pollinisateurs disposant d’une très longue langue peuvent venir s’y rassasier.
On retrouve des éperons nectarifères dans d’autres familles comme les Violacées et les Balsaminacées.
Autres espèces, autre méthode : les Renoncules et les Ficaires ont installé leurs glandes nectarifères dans de petites fosses à la base des pétales. Elles ont en outre veillé à la signalisation : des écailles foncées, qui contrastent avec le jaune éclatant du reste des pétales, indiquent la voie aux pollinisateurs.
Terminons ce rapide tour d’horizon des glandes nectarifères chez les Renonculacées en évoquant les Hellébores. Ceux-ci on trouvé une solution singulière : ils ont simplement transformé leurs pétales en cornets remplis jusqu’à la moitié de nectar.
Le pistil
Au centre de la fleur, le pistil est formé d’un grand nombre de carpelles libres.
Au milieu des étamines se trouve une colonne : c’est le pistil ou gynécée, composé des organes femelles, les carpelles. Ils sont de la même couleur que les sépales, créant de ce fait un fort contraste par rapport aux étamines, un signal attractif pour les pollinisateurs (abeilles solitaires et domestiques, coléoptères, papillons).
Les carpelles sont libres, ce qui est une autre caractéristique des Renonculacées. Il y en a beaucoup (de 70 à 200). Précisons que l’abondance des carpelles n’est pas le fait de toutes les Renonculacées, contrairement à celle des étamines. Prenez par exemple les Aconits. La fleur de l’Aconit tue-loup (Aconitum lycoctonum) ne renferme que 2 à 5 carpelles, comme on peut le voir sur la photo ci-dessous, à droite.
Des bractées très poilues.
Protégeant le bouton floral dans un fourreau gris, les bractées sont divisées en segments linéaires et couverts de poils soyeux.
Il n’y a pas que les bractées qui soient poilues chez la Pulsatille ! Regardez la tige :
Et elle a également oublié d’épiler la surface externe de ses sépales !
Les poils des plantes
Précisons d’abord que les botanistes, qui sont des gens très simples (hum…), appellent les poils des plantes des trichomes (du grec ancien trikhoma « croissance de poil »). Les trichomes sont souvent constitués de cellules vivantes, tandis que les poils des animaux sont des amas de cellules mortes.
Ces trichomes peuvent remplir des rôles différents selon les espèces.
Des poils longs, denses, ou dressés, peuvent servir de barrière physique pour empêcher l’accès des insectes herbivores.
Exemple : des poils crochus gênent considérablement la progression des invertébrés 6.

Les plantes de la famille des Boraginacées sont souvent recouvertes d’un tapis dense de trichomes, première ligne de défense contre les herbivores.
(Myosotis des bois – Myosotis sylvatica)
Il faut ajouter que la plupart des ces trichomes sont composés de silice, de carbonate de calcium, ou encore de phosphate de calcium, et ne sont pas facilement digérables par les animaux (mais il y a des exceptions bien sûr) 5.
Cette barrière physique peut être complétée par des armes chimiques contenues dans des glandes.
Ces glandes renferment des substances répulsives telles que des terpènes, des composés phénoliques, des alcaloïdes et d’autres encore.
Les trichomes glandulaires ne sont pas rares puisqu’ils se retrouvent sur environ 30 % des espèces de plantes vasculaires (lycopodes, prêles, fougères, conifères et plantes à fleurs) 11.
Certains trichomes servent de pièges.
On songe évidemment aux plantes carnivores telles que le Droséra intermédiaire (Drosera intermedia). Sa feuille est abondamment recouverte de poils rouges qui se terminent par des glandes, à l’instar des trichomes glandulaires que nous venons d’évoquer. Mais chaque glande du Droséra est couronnée d’une goutte de liquide visqueux. Un insecte qui se pose sur la feuille va être englué par cette substance visqueuse, avant d’être digéré par la plante.
Les plantes carnivores ne sont pas les seules à utiliser leurs trichomes pour attraper des insectes.
Les extrémités des poils d’autres plantes, apparemment banales, exsudent elles-aussi une sorte de colle qui prend au piège toute une série d’invertébrés. Vous vous demandez sans doute quelle est la différence avec les espèces carnivores ? Eh bien, dans l’état actuel de nos connaissances, il ne s’agit pour ces plantes que d’un moyen de défense et non d’une façon de se procurer de la nourriture supplémentaire.
Il ne faut pas se rendre dans des pays lointains pour trouver des exemples de semblables plantes : prenez simplement le Céraiste aggloméré (Cerastium glomeratum), très commun partout.
Les trichomes de ses feuilles et de ses tiges ont des bouts collants et on peut y trouver régulièrement des morceaux d’insectes englués 7.
Ces insectes pris au piège ne sont pas perdus pour tout le monde : des prédateurs, des araignées ou des punaises notamment, s’en repaissent 10.
Ceux-ci se sont adaptés afin de ne pas être incommodés par la glu des trichomes, par exemple en étant recouverts d’une épaisse couche de graisse 9.
Les trichomes, des systèmes d’alarme.
Une étude a montré que les trichomes glandulaires de la tomate (Solanum lycopersicum) servent d’alarmes contre les prédateurs. Lorsqu’une chenille ou un papillon heurte un trichome et le casse, cela entraîne rapidement l’activation de moyens de défense contre les herbivores, notamment la production et le stockage de composés toxiques dans les feuilles 8.
Il serait très étonnant que les résultats de cette recherche ne puissent pas être étendus à d’autres espèces.

Les trichomes glandulaires sont fréquents dans les familles
des Astéracées (Séneçon visqueux),
des Lamiacées (Menthe aquatique)
et des Solanacées (Douce-amère)
Les trichomes servent d’isolants
Les poils entravent les déplacements de l’air près de la surface de la plante, et créent ainsi une couche isolante, empêchant une trop rapide évaporation.
Ils améliorent par conséquent la résistance à la sécheresse 13.
Ils réfléchissent également une partie du rayonnement solaire, notamment les rayons UV, et protègent ainsi les tissus sous-jacents, plus fragiles, particulièrement dans des milieux chauds, secs et ouverts 12.

Trichomes sur la Germandrée petit-chêne (Teucrium chamaedrys),
une Lamiacée qui préfère les milieux secs
La couche isolante que les trichomes aménagent permet pareillement à la plante de se protéger du gel. C’est vital pour des espèces qui fleurissent tôt, comme l’Anénome pulsatille 14.
La forme de la fleur
La forme en bol de la fleur peut faciliter la réflexion de la lumière et élever la température au cœur, là où se trouvent les organes de reproduction (étamines et pistil). Des écarts de 6 à 10° entre le centre et le milieu ambiant ont effectivement été trouvés pour quelques espèces voisines : Anemone patens et Anemone alpina 15.
La fleur devient alors plus attractive pour les insectes pollinisateurs, surtout au début du printemps, et le développement de l’ovaire en fruit est facilitée.

L’Anémone de prairie (Anemone patens) ressemble à l’Anémone pulsatille.
Elle s’en distingue par ses feuilles basales.
© Viktar Palstsiuk via Wikimedia commons
Sources :
1 : T. C. E. Wells & D. M. Barling ; Pulsatilla Vulgaris Mill. (Anemone Pulsatilla L.) ; Journal of Ecology ; Vol. 59 ; No. 1 ; mars 1971 ; p. 275 ↑
2 : Claudia Erbar & Peter Leins ; Nectar production in the pollen flower of Anemone nemorosain comparison with other Ranunculaceae and Magnolia (Magnoliaceae) ; Organisms Diversity & Evolution ; n° 13 ; septembre 2013 ↑
3 : Weryszko-Chmielewska E. et al. ; Ecological aspects of the foral structure and flowering in Pulsatilla species ; Acta Agrobotanica ; Volume 70 ; n° 3 ; p. 4 ; 2017 ↑
4 : Weryszko-Chmielewska E. et al. ; Ecological aspects of the foral structure and flowering in Pulsatilla species ; Acta Agrobotanica ; Volume 70 ; n° 3 ; p. 4 ; 2017 ↑
5 : Adeel Mustafa, Hans-Jürgen Ensikat, Maximilian Weigend ; Mineralized trichomes in Boraginales: complex microscale heterogeneity and simple phylogenetic patterns ; Annals of Botany ; Volume 121 ; Issue 4 ; pp.741–751 ; 14 mars 2018 ↑
6 : Farmer, Edward E. ; Leaf Defence ; p. 49 ; Oxford University Press ; 2014 ↑
7 : Farmer, Edward E. ; Leaf Defence ; p. 50 ; Oxford University Press ; 2014 ↑
8 : Tooker, John et al. ; Trichomes as sensors ; Plant signaling & behavior ; volume 5 ; n° 1 ; pp. 73-75 ↑
9 : Dagmar Voigt, Stanislav Gorb ; Locomotion in a sticky terrain ; Arthropod-Plant Interactions ; Volume 4 ; n° 2 ; p. 69 ; 2010 ↑
10 : Farmer, Edward E. ; Leaf Defence ; p. 50 ; Oxford University Press ; 2014 ↑
11 : Glas, Joris J et al. ; Plant glandular trichomes as targets for breeding or engineering of resistance to herbivores ; International journal of molecular sciences ; volume 13 ; n° 12 ; pp. 17077-17103 ; décembre 2012 ↑
12 : George Karabourniotis, Dimitris Kotsabassidis, Yiannis Manetas ; Trichome density and its protective potential against ultraviolet-B radiation damage during leaf development ; Canadian Journal of Botany ; volume 73 ; n° 3 ; pp. 376-383 ; 1995 ↑
13 : George Grammatikopoulos, Yiannis Manetas ; Direct absorption of water by hairy leaves of Phlomis fruticosa and its contribution to drought avoidance ; Canadian Journal of Botany ; volume 81 ; n° 12 ; pp. 1278-1284 ; 2003 ↑
14 : Weryszko-Chmielewska E. et al. ; Ecological aspects of the foral structure and flowering in Pulsatilla species ; Acta Agrobotanica ; Volume 70 ; n° 3 ; p. 1 ; 2017 ↑
15 : Weryszko-Chmielewska E. et al. ; Ecological aspects of the foral structure and flowering in Pulsatilla species ; Acta Agrobotanica ; Volume 70 ; n° 3 ; p. 2 ; 2017 ↑
Au risque de me répéter, tes articles, et celui-ci en particulier, sont vraiment exceptionnels. Chapeau bas !
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